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Un apothicaire de famille

Publié le 1 mai 2010
Par Jean-Claude Pennec
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Installés en 1978 dans la pharmacie héritée de leur père, Christian et Claude Richard fabriquent depuis leurs propres préparations et des gammes de cosmétiques aujourd’hui réputées. Ils viennent de franchir une nouvelle étape, avec tout autant de succès, en développant le laboratoire Saint Côme qui fabrique des assainisseurs d’atmosphère.

Boiseries vieillies, produits à l’étiquetage hors du temps, mortiers, balances, collections de pots, têtes de mort… Il suffit d’en passer le seuil pour se rendre compte que la Pharmacie La Croix blanche n’est pas comme les autres. C’est là, en 1978, au croisement de la rue Musette et des halles, dans le cœur historique de Dijon (Côte-d’Or), que Christian et Claude Richard, alors jeunes diplômés de la faculté de pharmacie de la capitale bourguignonne, ont démarré le métier, sur les pas de leur père. Ardent défenseur de la profession, ce dernier s’y était installé en 1954. Christian et Claude, ses jumeaux, avaient alors à peine cinq ans.

Les nouveaux titulaires se souviennent fort bien du début de leur aventure, lorsqu’ils devinrent salariés de leur père. « Nous travaillions à la pharmacie depuis deux ans. Un jour, mon frère et moi nous sommes regardés. Nous ne nous reconnaissions pas du tout dans la parapharmacie, pour laquelle on demande seulement au pharmacien de devenir la caution des produits qu’il vend », déplore Christian Richard. La prise de conscience que leur métier pouvait leur échapper est d’autant plus forte que leur père avait monté par le passé une association régionale de pharmacie qui privilégiait des produits maison tels Succirectal, Promoctal ou encore Algisedal. « On avait été élevés là-dedans, c’est notre culture », clame fièrement Christian.

« Le pharmacien sait tout faire »

L’herboristerie, que la pharmacie a toujours privilégiée, va devenir le point de départ de l’aventure dans laquelle vont s’engager les jumeaux. Durant deux années, ils suivront à Paris un enseignement pour se spécialiser en nutrithérapie et en phytothérapie, à une époque où commence l’engouement des Français pour les produits « verts ». Suivant l’exemple de leur voisin charcutier qui s’est forgé une renommée dans toute la ville en fabriquant lui-même ses produits, Christian et Claude Richard décident de faire de même avec les gélules de plantes, capsules d’huiles et autres préparations cosmétiques qu’ils entendent commercialiser. « Car le pharmacien sait tout faire », revendique Claude Richard.

Les deux frères achètent les machines nécessaires à la fabrication de leurs futurs produits et les matières premières en grande quantité, pour obtenir les meilleurs prix. Sacrifiant leurs dimanches et leurs vacances, ils vont jusqu’à imaginer leurs propres conditionnements. « Nous sommes tous les deux bricoleurs, un peu touche-à-tout et inventeurs », annonce Christian. Toutefois, pour l’habillage et la présentation, c’est Claude qui réalisera des prouesses, dessinant, décorant, inventant une véritable grammaire stylistique pour représenter leurs produits.

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Les produits maison réalisent 50 % du CA

Le rayon cosmétique de la Pharmacie La Croix blanche, tel qu’il existe aujourd’hui, va naître véritablement en décembre 1978. Depuis, plus de 150 produits sont entrés au catalogue : dentifrices, crèmes de jour, de nuit, antiacné, laits démaquillants, bains douche… Sans oublier les déodorants, dont l’un d’entre eux se vendra à plus de 6 000 exemplaires par an. Avec ce plaisir simple que procure le travail bien fait, les deux frères affirment n’y voir rien que de très banal : « Ces produits sont intemporels. Il n’y a pas besoin de rajouter de la vitamine C pour séduire… » Et ils ne cultivent aucun secret, puisque toutes les formules des produits commercialisés figurent sur les boîtes. Aujourd’hui, 50 ?% du chiffre d’affaires de la pharmacie est réalisé par le catalogue de produits cosmétiques, une vente sur cinq se faisant via Internet.

Une activité à la réglementation très stricte

Le rayon cosmétique de la Pharmacie La Croix blanche va rencontrer très vite le succès, allant jusqu’à susciter de l’incompréhension chez certains confrères dijonnais. Il faut dire que l’officine a également l’outrecuidance de fermer entre 12 et 15 heures chaque jour, une semaine en février et tout le mois d’août. C’est ce qui lui vaudra probablement la visite un jour de l’inspecteur régional de la DDASS. « A peine arrivé il commençait déjà à nous menacer du pire !, raconte Christian. Nos produits l’intriguaient… » L’inspecteur s’en ira finalement en laissant un jugement positif, révélant certes quelques manquements mais tout en indiquant la marche à suivre pour rectifier le tir.

Car l’activité de cosmétique pharmaceutique est encadrée par une réglementation stricte : elle doit être déclarée en préfecture et au centre antipoison, le dossier technique doit respecter scrupuleusement quinze points et, surtout, les locaux de fabrication doivent être aux normes et situés dans l’officine même. En l’espace de quatre mois, les deux frères se mettent en totale conformité avec la réglementation. « Il a fallu travailler d’arrache-pied », se souvient Claude. Pour plus de sûreté, ils font appel à Luc Rochette, expert en toxicologie à la faculté de Dijon. Avec lui, ils bâtissent 30 dossiers cosmétiques à l’intention de l’inspection de la pharmacie. Le résultat est concluant. Il en est de même lorsqu’en 2005 la loi impose le retrait de tout élément animal dans les compositions. Là encore, si les contrôles réalisés par la DRASS et la DGCCRF relèvent quelques manquements, tout fut remis dans l’ordre dans les mois qui suivirent.

3 000 pharmacies françaises référencent Aromaspray

Mais l’esprit créatif et entrepreneurial de Christian et Claude Richard ne va pas s’arrêter là. Les frères jumeaux ont l’idée de créer un assainisseur d’atmosphère. Ils démarrent avec deux ou trois formules standard puis passent à sept, puis dix formules. Les Aromaspray se vendent par milliers.

Succès oblige, Christian et Claude Richard créent le laboratoire Saint Côme, les assainisseurs d’atmosphère n’étant pas soumis à la législation pharmaceutique. Le local est implanté à proximité, sur 500 mètres carrés et 36 commerciaux parcourent l’Hexagone pour commercialiser les produits. En peu de temps, le laboratoire Saint Côme, dirigé par Claire Dumas, pharmacienne, fille de Claude, dépasse le million d’euros de chiffre d’affaires avec seulement 11 produits au catalogue. D’où l’idée de développer 5 nouvelles notes aromatiques et de trouver de nouveaux marchés, notamment à l’export. Aujourd’hui, les Aromaspray figurent dans les présentoirs de 3 000 pharmacies françaises et sont exportés vers la Belgique et certains pays d’Afrique comme le Cameroun.

Il y a quelques années, l’officine a fait peau neuve.? Rez-de-chaussée et premier étage sont reliés par de superbes escaliers en bois. Au sous-sol, dans de vénérables caves, une salle blanche pour les cosmétiques a vu le jour. A l’étage, l’herboristerie couvre plusieurs pièces. En coulisse, invisibles du public, des espaces de rangement ont été créés.? Quant aux façades de la Pharmacie La Croix blanche, uni­ques en leur genre, elles ont reçu trois fois un prix par la Ville de Dijon. Et ses titulaires pourraient bien recevoir un prix pour leur sens de l’initiative…

Envie d’essayer ?

L’AVANTAGE

• Une reconnaissance du cœur de métier du pharmacien et un retour aux fondamentaux : le pharmacien peut et « sait tout faire ».

LES DIFFICULTÉS

• Préparations, manipulations et stocks demandent de disposer d’un minimum de surface.

• Le respect de la réglementation pharmaceutique stricte qui encadre ces activités.

LES CONSEILS DE CHRISTIAN ET CLAUDE RICHARD

• « Privilégiez toujours la qualité. »

• « Faites-vous aider pour mettre en place les premières préparations, les plus simples. Les fournisseurs de matières premières peuvent être de précieux conseil. »

• « Inventez un nouveau packaging. Ainsi, nos herbes sont présentées sobrement, compactées dans un papier transparent. »

• « Pour obtenir les mélanges, une petite bétonneuse-malaxeuse électrique donne de bons résultats. »

• « Plutôt qu’acheter par petites doses, achetez tout de suite en quantité (bidons, etc.). »

• « N’hésitez jamais à remettre à niveau vos connaissances. »