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La face cachée du générique
Comment les laboratoires de génériques font-ils pour développer leur gamme aussi vite ? Ont-ils des bottes secrètes ? Si elles n’ont rien d’inavouable ou de dissimulé, leurs stratégies sont parfois étonnantes. Visite dans les coulisses du générique.
Pour s’imposer aux premières places sur le marché du générique, où beaucoup reste à faire, l’une des conditions essentielles est de savoir développer beaucoup plus rapidement que ses concurrents une gamme de produits répondant aux nécessités du marché de la substitution. Un critère déterminant pour les pharmaciens d’officine. « Les génériqueurs sont contraints d’aller vite et bien en matière d’offre », confirme Stéphane Joly, président des laboratoires Ivax. Dans cette course effrénée, « une des préoccupations importantes du laboratoire est que son générique puisse arriver à point nommé, au moment où le princeps tombe dans le domaine public », expose André Delhaye, directeur des opérations France et export chez Arrow Génériques. Mais étant encore dans une période d’investissements forts, les génériqueurs sont confrontés à un dilemme : mettre le plus rapidement possible sur le marché un générique au prix de revient industriel le plus bas possible.
Princeps : accords rapides mais peu rentables. De fait, c’est souvent la nécessité d’aller vite qui conduit aux accords les plus étonnants : ceux signés entre génériqueurs et laboratoires de princeps ! Même si de tels accords restent minoritaires.
En effet, un fabricant de génériques qui est en retard sur un lancement (fausse piste, dossier gelé, problème de fournisseur…) peut s’adresser, acculé, au laboratoire de princeps pour sortir son générique !
Deuxième cas de figure, le plus courant : c’est le laboratoire du princeps qui prend les devants. Les laboratoires sollicitent alors des génériqueurs pour leur proposer des accords de licence assortis ou non d’un « droit de préentrée » les autorisant à commercialiser une copie d’un princeps avant même que son brevet soit échu. Cette manoeuvre est purement opportuniste et défensive. Pour profiter d’un avantage concurrentiel déterminant en termes de notoriété et d’implantation, les génériqueurs sont prêts à faire de nombreux sacrifices comme payer le prix fort et rogner sur leurs marges. Parmi les accords de licence les plus connus, citons ceux passés par GSK sur leur antibiotique Amoxicilline-acide clavulanique (Augmentin) avec Biogaran et RPG Aventis, celui de Lilly avec RPG Aventis concernant la fluoxétine (Prozac).
« Les trois quarts des génériques vendus sous la marque RPG sont des répliques parfaites des princeps », souligne Jacques Lhomel, directeur général de RPG Aventis. Ce responsable ne cache pas que cette politique n’est pas la plus économique, mais il ajoute que « toute différenciation forte sur ce marché a un coût et une valeur ».
Fréquents au démarrage des génériques, les accords de licence sont devenus aujourd’hui très ponctuels. « Ce type d’accord ne peut s’inscrire dans une stratégie globale, explique Maurice Chagnaud, directeur marketing et ventes chez Merck Génériques, car le laboratoire de génériques ne dispose d’aucune visibilité à long terme et ne maîtrise pas sa rentabilité. » Chez Biogaran, « sur 120 spécialités commercialisées, une douzaine seulement ont fait l’objet d’accords de licence », précise Erick Roche, directeur des opérations marketing-ventes chez Biogaran.
Dans toute stratégie, il faut peser les avantages et inconvénients. « Si le laboratoire de génériques s’adresse au laboratoire de princeps, il est assuré d’obtenir plus rapidement l’autorisation de mise sur le marché et les risques inhérents à cette obtention seront limités, mais le prix sera forcément plus cher, résume Vincent Bouldoires, directeur des affaires pharmaceutiques et du développement chez Ivax. A contrario, s’il s’oriente vers un nouveau développement dont le dossier d’AMM a été déjà vendu à quatre ou cinq de ses concurrents avant lui, le prix sera moins élevé. »
Le princeps dicte ses conditions. Sur les conditions financières de ces accords, rien ne filtre, mais aux dires de Philippe Ranty, président de GNR-Pharma, les laboratoires de princeps dictent leurs conditions et la marge de négociation du génériqueur est très faible. Et la rentabilité pas assurée. Outre le prix d’achat d’une AMM, le laboratoire de princeps, en tant que fabricant et fournisseur du génériqueur, va lui faire supporter des coûts supplémentaires mais peut aussi lui réclamer des royalties sur les ventes. « Nous leur rétrocédons dans ce cas une partie de notre marge ou de notre chiffre d’affaires », précise Stéphane Joly. Le « licencieur » peut donner l’exclusivité de l’exploitation des données d’AMM à un seul laboratoire, ou au contraire s’accorder le droit de donner une seconde licence sur le même produit à quelqu’un d’autre.
Dernière possibilité : le laboratoire de princeps peut céder l’AMM du princeps. C’est ce qu’a fait GSK pour Tagamet avec les laboratoires Entéris. « Le prix de cession du dossier va dépendre de la courbe du produit, explique Frédéric Thomas, manager senior au cabinet Arthur D. Little, pôle santé. Si le produit ancien est encore dans la force de l’âge, il sera cédé 1,5 à 2,5 fois son chiffre d’affaires. Si le produit est sur le déclin, un laboratoire peut le racheter moins d’une fois le chiffre d’affaires. » Entre coûts d’investissement et coûts d’exploitation, les laboratoires de génériques ont parfois bien du mal, compte tenu des aléas du marché, à rentabiliser une telle opération.
Pour la rentabilité, limiter la sous-traitance. Ce sont effectivement les soucis de rentabilité qui poussent de plus en plus les fabricants de génériques à développer leurs produits à l’intérieur de leurs propres structures. Ils disposent de leurs laboratoires de développement, gardant ainsi une maîtrise totale des produits, de la réalisation des dossiers d’enregistrement aux études en passant par le choix des fournisseurs. Autre intérêt : ils peuvent dupliquer les AMM pour les revendre à d’autres laboratoires de… génériques et, d’ailleurs, ne s’en privent pas.
« La rapidité d’enregistrement d’un dossier dépend de la qualité du travail de développement », précise Philippe Ranty, en ajoutant que l’indépendance en ce domaine est un gage de bonne fin. En effet, la sous-traitance peut parfois jouer des vilains tours au laboratoire. Un dossier qui coince au niveau d’un façonnier et c’est le lancement du produit qui est retardé, l’enregistrement à l’Afssaps d’un nouveau façonnier réclamant environ neuf mois.
De nombreux génériqueurs en France (Teva Classics, GNR-Pharma, Merck Génériques, EG Labo, Ratiopharm, Ivax…) appartiennent à des groupes ayant une politique mondiale ou européenne des génériques, disposant, en principe, d’un précieux gisement interne. De par leur dimension internationale, ces groupes vont progressivement abreuver leurs filiales françaises en produits présents sur l’ensemble des marchés mondiaux.
« Malgré ce « sourcing », tous les génériqueurs ne sont que partiellement producteurs et commercialisent des génériques qu’ils ne fabriquent pas eux-mêmes », fait remarquer Jean-Jacques Zambrowski, consultant en stratégies et économie de la santé.
Dans le portefeuille Biogaran, les deux tiers des produits sont issus d’un développement interne et un tiers provient de l’extérieur. Ces proportions sont à peu près identiques chez GNR-Pharma. Chez Merck Génériques, la sous-traitance en matière de fabrication représente moins de 20 % de la gamme.
La France et ses tracasseries. « Certaines molécules sont spécifiques au marché français (par exemple la trimétazidine) et, de ce fait, la filiale ne peut pas faire travailler les usines du groupe », nuance Maurice Chagnaud. « Les développements conduits par un groupe générique étranger ne sont souvent que le reflet des génériques commercialisés sur son marché domestique », ajoute Erick Roche.
Ainsi, un des grands leaders du générique en Allemagne dispose d’une large gamme… que ne peut exploiter sa filiale en France, car elle ne répond pas aux exigences de l’Afssaps. En matière d’enregistrement des dossiers, « Novartis dispose dans le monde de neuf centres de développement, mais paradoxalement très peu de produits qui en sont issus peuvent être enregistrés en France », déplore Philippe Ranty. Parmi eux, le centre d’Aubervilliers assure le développement de trois molécules par an répondant aux besoins locaux du marché français. C’est pourquoi, selon Maurice Chagnaud, l’appartenance à un grand groupe ne veut rien dire si, derrière, il n’existe pas « une stratégie de développement mondial des génériques. Merck Génériques est l’une des plus grosses filiales du groupe et pèse suffisamment pour influer sur les décisions prises à l’international. Tous les acteurs ont la capacité de mettre sur le marché un générique dès le lendemain de la chute du brevet d’une molécule « blockbuster », mais il faut pouvoir aussi conduire des projets spécifiquement pour le marché français ».
Les « marchands d’AMM » encore très sollicités. Lorsque les génériqueurs ne développent pas le produit en interne ou ne traitent pas avec les laboratoires de princeps (voir page 30), d’autres solutions de rechange s’offrent à eux. Celle notamment de frapper à la porte de fabricants étrangers de génériques implantés dans des pays où la molécule est déjà génériquée (la France est réputée pour son retard en matière d’expiration des brevets).
Les laboratoires de génériques peuvent également faire appel aux « marchands d’AMM ». Ce sont des sociétés de développement de dossiers d’AMM qu’ils gèrent eux-mêmes ou sous-traitent (auprès d’autres laboratoires de recherche et développement) tout ou partie des étapes du développement que sont la fabrication des lots pilotes, les analyses sur principe actif, la formulation galénique, les études de bioéquivalence…
Des sociétés comme Galenix, CLL ou Creapharm ont pignon sur rue : elles possèdent leurs propres laboratoires analytiques et galéniques. Ces sociétés, très au fait des dates d’échéances des brevets des médicaments princeps, débutent ces études de développement très amont et de leur propre initiative (deux ou trois ans avant).
A l’approche de l’expiration du brevet, elles peuvent ainsi proposer aux génériqueurs des dossiers « clés en main », avec souvent un contrat de fourniture imposé, mais elles peuvent aussi travailler pour le compte de donneurs d’ordres. Pas étonnant que peu de temps après l’échéance du brevet de Prozac, plusieurs génériqueurs avaient dans leur musette un générique de la fluoxétine à proposer aux pharmaciens !
La profession d’« intermédiaire » existe également sur ce marché. Elle consiste à mettre en relation l’offre et la demande. Mais ces « brers » (Substipharm, IDD…) peuvent également être impliqués dans les opérations de développement et de constitution de dossiers d’autorisation de mise sur le marché.
Plus surprenant, les laboratoires de génériques se courtisent entre eux et trouvent le moyen de faire affaire ensemble : mise en commun de compétences complémentaires, passation de contrats de fournitures, ventes réciproques de dossiers, et même troc.
De fait, parmi toutes les voies possibles, développement interne, recours aux « marchands d’AMM », accord avec un fabricant de princeps, les génériqueurs sont confrontés à des arbitrages permanents entre investissements et rentabilité. La place de leader impose d’avoir une stratégie ambitieuse, et l’on peut comprendre que certains challengers ne briguent pas forcément la plus haute marche du podium.
A retenir
Les laboratoires de génériques sont capables de lancer un produit pratiquement dans les jours qui suivent la chute d’un brevet dans le domaine public.
– Faire fabriquer son générique par le laboratoire de princeps est la formule la plus sûre mais aussi la plus onéreuse.
– Les marchands d’AMM, qui préparent les dossiers avant expiration des brevets, ont encore de beaux jours devant eux.
– Les études de stabilité et de bioéquivalence ne sont pas autorisées en France tant que le brevet est actif. Le développement doit alors être conduit en dehors de l’Union européenne.
– Mise en commun de compétences complémentaires, passation de contrats de fournitures, ventes réciproques de dossiers, trocs…, tout est possible entre génériqueurs.
« Une logique de grande distribution »
En faisant affaire avec les génériqueurs, les fabricants de princeps parviennent encore à tirer leur épingle du jeu. « La motivation du laboratoire de princeps est simple, selon Jean-Jacques Zambrowski : si générique il doit y avoir, autant le contrôler. En outre, sur le plan industriel, laisser tourner une ligne de production coûte moins cher que d’investir dans une nouvelle. » « Nous sommes dans une logique de grande distribution », confesse Stéphane Joly à propos des relations entre laboratoires de princeps et laboratoires de génériques.
Tout d’abord, le laboratoire de princeps peut vendre une AMM bis obtenue à partir d’une copie du dossier d’AMM originel. Il peut aussi ne pas la céder mais désigner un laboratoire de génériques comme exploitant, ou encore lui délivrer une autorisation de faire référence aux données initiales qui restent sa propriété, pour que le génériqueur puisse déposer son propre dossier d’AMM. Cette dernière solution est moins rapide. La cession d’une AMM bis peut être adossée ou non à un contrat de fourniture du produit fini (« supply agreement »). Ce dernier est lui-même conclu pour une durée déterminée (deux, trois, quatre ans…) ou peut prévoir une clause de sortie. « Il n’y a pas deux accords de licence identiques, assure Jacques Lhomel, tous les cas de figure sont possibles. »
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