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Wolfgang Mähr, membre du directoire de Celesio

Publié le 20 novembre 2010
Par Marie Luginsland
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« Le Moniteur » : En mai 2009, l’arrêt de la CJUE tombe comme un couperet pour Celesio, qui avait fondé sa stratégie future sur la création d’une chaîne de pharmacies nommée DocMorris…

Wolfgang Mähr : Le jugement est de mon point de vue clair et irrévocable. Tout d’abord, nous avons acheté DocMorris pour la valeur et la notoriété de la marque. Mais, en même temps, il nous donne de la visibilité dans la manière dont nous pouvons faire évoluer notre entreprise. Cela aurait été une option de créer des chaînes de pharmacies dans des marchés libéralisés. Par exemple en Allemagne où nous aurions certainement franchi le pas si le jugement avait été positif. Ne serait-ce que pour protéger notre activité de répartition. Car notre expérience en Angleterre ou en Norvège nous l’a appris : si vous n’avez pas de chaîne et que vous n’êtes « que » grossiste-répartiteur, vous êtes très vite expulsé du marché.

Désormais, la seule possibilité pour Celesio est-elle de diversifier ses activités ?

Celesio est depuis longtemps une entreprise diversifiée, mais nous ne voyons pas dans un avenir proche une libéralisation intervenir sur le marché européen de la pharmacie. Parallèlement, nous devons veiller à créer de la croissance pour Celesio. Et nous avons conçu un programme de croissance, « Agenda 2015 », doté de trois piliers : l’optimisation de nos activités, l’assainissement de notre portefeuille par des cessions ou des acquisitions, et enfin l’innovation. Il s’agit par exemple d’optimiser nos chaînes de pharmacies actuelles que nous détenons dans sept pays : la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Belgique, la République tchèque, l’Italie, la Norvège, et maintenant la Suède où nous ouvrirons d’ici à la fin de cette année 40 à 50 nouvelles pharmacies DocMorris. A l’exception de la Grande-Bretagne, tous les autres pays seront « rebrandés » au fur et à mesure. Dès l’année prochaine, la marque actuelle existant dans un pays sera changée et le concept sera établi pour celle de DocMorris.

La Suède est donc le laboratoire de ce nouveau concept ?

Oui, nous avions déjà commencé en Allemagne avec des pharmaciens indépendants, mais c’est en Suède que le concept est appliqué véritablement pour offrir une alternative aux pharmacies d’Etat. Une image jeune, sympathique, fraîche : cette image de la pharmacie est très bien perçue par le consommateur. Ce qui veut dire qu’à moyen terme, de l’Italie à Stockholm en passant par l’Irlande, toutes les pharmacies DocMorris se ressembleront, mais avec quelques petites variantes dans l’aménagement intérieur. DocMorris a un assortiment, qui correspond à la marque, couvrant l’ensemble de l’Europe. Cependant il y aura en supplément un assortiment spécifique au pays.

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Vous détenez aujourd’hui quelque 2 300 pharmacies. Que signifie pour vous ce positionnement en tant que pharmacien ?

Le plus important pour nous est le contact avec le consommateur. Ce que nous savons très bien faire en tant que pharmacien. Et nous allons l’appliquer à l’avenir dans des coopérations étroites avec des pharmaciens indépendants. Nous allons mettre à leur disposition nos banques de données et les systèmes de pharmacie clinique que nous détenons par le biais de nos joint-ventures, cela afin de les aider à tenir le rôle auquel ils se sont destinés : des spécialistes de la santé. Cela pourra également s’inscrire dans le cadre de coopérations comme DocMorris en Allemagne ou Pharmactiv en France [1 264 pharmacies dont 230 sous enseigne Optimum, NdlR].

En France, la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » va donner au pharmacien de nouvelles possibilités pour se positionner dans le suivi des soins. Pensez-vous que vous aurez un rôle à jouer ?

Le pharmacien français a désormais plus de devoirs envers le consommateur et il serait tout indiqué d’aborder ce marché et d’offrir cette option. Pour l’instant, nous n’avons rien arrêté, mais nous observons de près l’application de la loi et nous allons être très certainement présents dans ce secteur. Il y a actuellement en France une évolution extrêmement intéressante.

Comment pensez-vous procéder ?

Dans le domaine de la pharmacie clinique et des banques de données, nous pouvons apporter notre soutien en tant que spécialistes parce que nous disposons des systèmes [de banques de données]. En Allemagne, nous détenons déjà un contrat avec une caisse d’assurance maladie. Je vois une grande opportunité de développement pour l’OCP, lequel pourra mettre ces systèmes à disposition du marché français afin de lui offrir de biens meilleurs résultats.

Cependant, vous avez fermé quelques sites en France au cours des dernières années. Allez vous poursuivre ce mouvement ?

Non, au contraire, nous sommes en train d’augmenter le nombre de nos implantations. Nous venons d’en réaliser une à Carhaix [dans le Finistère] et une seconde est en cours.

Et en ce qui concerne l’innovation, en quoi un grossiste-répartiteur peut-il être innovant ?

En Europe, il n’y a actuellement aucune institution permettant de combler les déficits en matière de prise en charge des soins pour le consommateur. Ainsi, des études prouvent qu’au bout d’un an de thérapie, moins de la moitié des patients chroniques, par exemple hypertendus, suivent encore leur traitement. L’innovation en la matière est notre joint-venture avec Medco qui aide les patients à comprendre leur traitement. Cela a pour conséquence des économies sanitaires. Les patients sont en meilleure santé et, avant tout, les complications sont évitées. Résultat, les coûts baissent, et même si les dépenses en médicament augmentent sensiblement, les autres frais comme ceux liés à l’hospitalisation diminuent.

Peut-on parler d’une nouvelle stratégie ?

Nous avons actuellement 70 projets qui vont permettre à Celesio d’atteindre un Ebitda de plus de un milliard d’euros en 2015. Pour résumer, notre stratégie s’appuie sur des nouvelles activités dans les marchés existants, par exemple, les joint-ventures, ou sur des affaires existantes dans de nouveaux marchés. C’est le cas pour l’achat du grossiste-répartiteur Panpharma au Brésil.

Vous n’êtes pas les premiers à avoir fait le chemin de la répartition à la distribution. Qu’est ce qui vous distingue d’Alliance Boots, qui a un parcours similaire ?

Nous nous distinguons moins d’Alliance Boots dans la répartition – nous faisons tous la même chose – que dans notre format des officines et dans notre définition de la pharmacie. Boots est par définition un drugstore. Et nous, nous sommes une pharmacie. Boots réalise ainsi la majorité de son chiffre avec des produits qui ne sont pas des médicaments, par exemple dans la vente de cosmétiques, de sandwiches et de boissons. Pour nous, la majorité de notre activité consiste dans le service, les médicaments prescrits et l’OTC, un segment que nous voulons étendre définitivement et qui devra croître davantage que les autres segments.

Pourtant, vous avez cédé les parts que vous déteniez auprès du répartiteur allemand Anzag à Alliance Boots. Ce qui lui a permis d’entrer sur le marché allemand. Comment expliquez-vous une telle décision ?

Derrière cette décision, il y a le constat qu’Anzag n’était plus une participation stratégique ! Lorsque quelques actionnaires cédaient leurs parts, nos participations subissaient une telle fluctuation sur le marché que notre résultat s’en ressentait. Parfois jusqu’à une dizaine de millions d’euros… Cela avait une influence car ce n’était pas prévisible. Pour nous, cela est intéressant d’avoir un nouvel acteur sur le marché allemand et nous allons observer de près son évolution.

Avec la cession de vos parts Anzag à Alliance Boots, les pharmaciens craignent un oligopole de la répartition en Allemagne. En 2007, vous avez acheté DocMorris…Vous aimez provoquer les pharmaciens ?

Je ne comprends pas cette crainte avec la vente d’Anzag. Il y a des projections qui, au contraire, font état d’une plus grande compétitivité. En ce qui concerne DocMorris, je crois que les pharmaciens ont été surpris. Nos concurrents ont tout fait pour les déstabiliser. Depuis, ils ont reconnu qu’il n’y avait aucune menace. Beaucoup de titulaires voient aujourd’hui en DocMorris une chance. Celle d’utiliser une marque lorsque la situation empire et que la marge se réduit. Beaucoup de pharmaciens utilisent ce système de franchise pour obtenir plus de bénéfices de façon durable. Les tensions se sont calmées.

Y a-t-il encore des moyens de s’étendre en Europe ?

Depuis le jugement de la CJUE, nous ne voyons pour ainsi dire plus de tendances de libéralisation du marché des pharmacies en Europe, et il ne s’agira plus désormais que de petites opérations dans la distribution comme le rachat l’année dernière du répartiteur flamand Flandria. Les marchés sont en grande partie consolidés. Se pose alors la question de savoir si l’Europe vaut encore le coup. Nous avons une régression du nombre d’habitants et des systèmes sociaux que nous ne pouvons financer. La question est donc de savoir où se trouve l’avenir. Nous voulons être moins dépendants de la livre britannique, sur laquelle notre résultat est fondé pour 50 %, et nous voulons nous libérer de la réglementation des Etats.

A quels marchés émergents pensez-vous, hormis le Brésil où vous êtes présents depuis un an avec Panpharma ?

Le plus important dans notre activité est la compréhension des hommes, et l’Amérique latine me semble être pour cette raison le continent le plus proche de nous. Il est fort probable que nous allons nous y investir dans les prochaines années.