Groupement d’officines : se concentrer pour mieux régner ?

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Groupement d’officines : se concentrer pour mieux régner ?

Publié le 13 novembre 2024 | modifié le 29 novembre 2024
Par Audrey Fréel
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Depuis cette rentrée, le mouvement de concentration des groupements d’officines s’est intensifié dans l’Hexagone, et les prochains mois s’annoncent tout aussi dynamiques. L’intérêt de ce choix ? Il leur permet, entre autres, de peser plus lourd face aux laboratoires et aux grossistes.

Gros rachat ou prise de participation plus modeste, les dernières semaines ont été marquées par de nombreuses opérations de croissance externe dans l’univers des groupements de pharmacies d’officine. La plus colossale est sans aucun doute l’acquisition d’Apothera par le groupement coopératif Giropharm en septembre dernier. En absorbant un groupe important, Giropharm compte bien se tailler la part du lion dans ce secteur en pleine mutation. La nouvelle entité représente 1 800 pharmacies partenaires à travers la France (1 300 adhérents au sein d’Apothera et 500 officines dans le giron de Giropharm) et un chiffre d’affaires cumulé de 4 milliards d’euros. Ce rapprochement lui permet de se placer comme l’un des plus gros acteurs du secteur, avec 9,2 % des parts du marché officinal français. Même ambition pour Hygie 31, qui a conclu une nouvelle alliance stratégique en septembre. La société forte des enseignes pharmacies Lafayette, Pharmacyal et Pharmacorp, est devenue actionnaire majoritaire du groupement Quartz composé de 115 pharmacies localisées à Paris et en Île-de-France. Cette opération fait suite au rapprochement avec Magdaléon en début d’année et cinq autres opérations depuis 2021. Hygie 31, soutenue par le fonds d’investissement Latour et BPI France, accompagne désormais 7 % des pharmacies françaises. « Nous comptabilisons 1 233 pharmacies adhérentes (927 sur les groupements régionaux et 306 pour l’enseigne Lafayette) et devrions finir l’année avec à peu près 1 400 officines », précise Hervé Jouves, président d’Hygie 31. 

Modèle coopératif contre financiarisation

Si le rachat d’Apothera par Giropharm représente une opération d’envergure, qualifiée de « coup du siècle », par Alain Berthaud (Labo Pharma Conseils), il se distingue également par son caractère inédit dans le paysage de la pharmacie. Gilles Unglik (Giropharm) explique qu’il s’agit « de la première fois qu’une coopérative de pharmaciens rachète des parts à des fonds d’investissement ». Jusqu’alors, le capital d’Apothera était en effet détenu par plusieurs fonds, dont Connect Pro, Sofipaca, Smalt Capital et Société Générale Capital. Un fonctionnement radicalement différent du modèle coopératif. « Les logiques d’investissement ne sont pas les mêmes : le but des coopératives est de pratiquer son métier de façon libre et indépendante. De l’autre côté, les fonds d’investissement ont pour moteur le fait de créer de la valeur et de la croissance rapidement », détaille Olivier Urrutia (FCA). Pour Gilles Unglik, cette opération contribue à lutter contre la financiarisation de la profession et à renforcer l’indépendance du pharmacien. Il espère que ce mouvement pourra inspirer d’autres groupements coopératifs. « Cela permettrait de rééquilibrer le secteur, entre les groupements qui ont le statut de coopérative et ceux qui sont possédés par des fonds », souligne-t-il. Le Sénat a d’ailleurs rendu fin septembre son rapport sur la financiarisation de l’offre des soins. S’il ne compte pas interdire la financiarisation, ce dernier préconise toutefois de mieux la réguler afin d’empêcher tout risque de concentration de l’offre de soins et de désertification médicale.

Des rapprochements qui ont du sens

De même, Leadersanté pourrait faire une annonce d’ici les prochains mois. Il fut l’un des premiers groupements à réaliser une opération de croissance externe, avec le rachat de Côté Pharma en 2018. Le groupement propose actuellement quatre franchises (Leadersanté, Côté Pharma, Artisan Pharma et Groupapharm) et regroupe 950 officines. « Nous nous intéressons au mouvement de massification mais il faut que cela ait du sens, avec une complémentarité de services ou d’implantation. Nous ne sommes pas uniquement dans une logique d’optimisation financière », indique Alexis Berreby, président de Leadersanté. De son côté, la coopérative Astera a réalisé plusieurs opérations de croissance externe ces derniers mois. Déjà à la tête du réseau Santalis, elle a acquis le groupement régional Paraph en août 2023 et a lancé, début 2024, un nouveau réseau nommé Uniq. Enfin, en juin 2024, elle a mis la main sur la coopérative Pharmadom, qui délivre notamment l’enseigne Well & Well. Désormais, Astera regroupe 962 adhérents. Les derniers mois ont également été dynamiques pour Evecial qui a réalisé trois prises de participation majoritaires en septembre. La plateforme de groupements de pharmacies d’officine réunit désormais Boticinal, Officinal, Ceido, Dynamis, Be Pharma, Flexi Plus pharma et Solipharm. Elle totalise aujourd’hui près de 400 officines pour un volume d’affaires de 1,2 milliard d’euros. Par ailleurs, Univers Santé (Univers Pharmacie, Escale Santé, Pharm O’Naturel, Univers Matériel Médical et Forum Santé) est en cours de négociation avec trois à quatre groupements et envisage de réaliser quatre à cinq acquisitions par an. Une ambition forte pour ce groupe qui compte actuellement 450 officines.

Un paysage très morcelé

Ces exemples l’attestent : le mouvement de massification des groupements est en marche. « Le secteur de la santé est en proie à de forts mouvements de concentration. Nous l’avons constaté il y a quelques années pour les établissements de soins privés, les cliniques et les laboratoires d’analyse, et nous l’observons de plus en plus dans le secteur des officines », analyse Olivier Urrutia, délégué général de la Fédération du commerce coopératif et associé (FCA). Le paysage reste toutefois très morcelé dans l’Hexagone. Selon Gers Data, la France recensait 150 groupements et fédérations de pharmacies en septembre. « 92 % des pharmacies françaises appartiennent au moins à une structure comme un groupement, une fédération ou un GIE [groupement d’intérêt économique, ndlr] », informe David Syr, directeur général adjoint de Gers Data. Groupements régionaux ou nationaux, fédérations, coopératives… Les typologies de groupements sont à présent très variées. « Il est compliqué pour les pharmaciens de choisir un groupement compte tenu du nombre présent sur le marché », constate Alain Berthaud, président de Labo Pharma Conseils. Selon ce dernier, les groupements peuvent être classés en quatre grandes catégories : ceux gérés par des fonds d’investissement, les groupements coopératifs, les groupements détenus par la répartition pharmaceutique et les indépendants regroupés en fédération. « Aujourd’hui, les cinq premiers groupements en nombre d’adhérents pèsent 24 % du chiffre d’affaires de la pharmacie », révèle David Syr.

Une accélération du mouvement

Au fil des années, les rapprochements entre groupements se sont multipliés. Le mouvement a été initié en 2017 avec l’acquisition de Forum Santé par Univers Pharmacie et la naissance du groupe PSD qui associe trois groupements (Pharma Group Santé, G1000 Pharma et Népenthès). Leadersanté a emboîté le pas l’année d’après, avec le rachat de Côté Pharma puis en 2020 en mettant la main sur Groupapharm. Si ces opérations sont restées plutôt marginales jusqu’en 2021, elles se sont multipliées depuis. L’an dernier, pas moins de cinq opérations d’envergure ont été menées à bien, dont la naissance d’Apsagir, issue de la fusion entre Apsara et Agir Pharma. Cette confédération de dix acteurs a ensuite mis la main sur le groupement local Trentactiv cette année. Et 2024 se montre particulièrement dynamique, avec de nombreuses annonces faites depuis le mois de janvier.

Peser plus lourd dans les négociations

Selon les experts interrogés, ce mouvement de consolidation devrait encore gagner du terrain dans les années à venir. « D’ici cinq à sept ans, nous pourrions tendre vers 20 à 30 grands groupements de pharmacies en France », estime Gilles Unglik, directeur général de Giropharm. Des propos corroborés par Alexis Berreby (Leadersanté) : « À terme, les industriels pourraient ne s’adresser qu’à des groupements constitués de 1 000 à 2 000 pharmacies. Pour assurer leur survie, les petits groupements devront probablement rejoindre un groupe de plus grande ampleur. » Cette mutualisation permet en effet de peser plus lourd dans les négociations avec les grossistes et laboratoires, qui sont eux-mêmes dans un élan de concentration. Cette massification des achats offre ainsi de meilleures conditions commerciales aux pharmacies adhérentes. « Il est dans l’intérêt du secteur de se fédérer autour de grandes structures. Le morcellement des groupements fait actuellement le jeu des laboratoires et des grossistes. Si les pharmacies veulent sauvegarder leurs marges, elles ont besoin d’être défendues par des groupements qui pèsent sur le marché », estime Thomas Nepveux, directeur général d’Evecial. Un avis partagé par Nicolas Lion, dirigeant de Flexi Plus Pharma, un groupement régional créé en 2021 et qui est tombé dans l’escarcelle d’Evecial en septembre dernier. « Nous affichions une forte croissance qui nous permettait de rester indépendants mais il est important de se projeter à moyen et long terme. Notre structure restait assez légère. Nous avons décidé de rejoindre Evecial pour assurer notre pérennité et offrir de nouvelles opportunités à nos adhérents », explique-t-il. Cette concentration du marché permet aussi une meilleure mutualisation des moyens et le développement de nouvelles offres de santé. Un enjeu de taille, alors que les officines doivent prendre le virage de la digitalisation et déployer les nouvelles missions du pharmacien. « Nos différentes opérations de croissance nous ont permis de développer notre présence dans certaines régions, de mutualiser nos ressources et d’acquérir des savoir-faire supplémentaires, afin de créer une proposition de valeur plus forte vis-à-vis de nos pharmaciens et partenaires », confirme Gaëlle Madoux, directrice générale du pôle retail d’Astera. De même, avec l’acquisition d’Apothera, Giropharm a ajouté plusieurs cordes à son arc. « Apothera dispose d’un organisme de formation, d’une centrale d’achat et d’une marque propre de parapharmacie. Ces offres représentent de nouvelles opportunités pour nos adhérents », se réjouit Gilles Unglik.

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Garder la singularité de chaque entité

Si les rachats se multiplient dans le secteur, ils semblent se distinguer des opérations de fusion/absorption, dans lesquelles l’entité qui absorbe se substitue à la société acquise. « Nous observons plutôt des groupements organisés en constellation. Les entités rachetées gardent leur propre fonctionnement et ne sont pas absorbées dans le groupe qui les a acquises », commente David Syr. C’est notamment le cas des groupements d’Hygie 31, qui conservent un ADN propre. « Bien que notre approche soit basée sur des prises de participation majoritaires, les dirigeants des groupements avec lesquels nous avons conclu un rapprochement gardent leur indépendance et restent à la tête de leur société », assure Hervé Jouves. Le fait de conserver la singularité de chaque entité permet d’apporter une réponse à chaque typologie d’officine, que ce soit pour les pharmacies évoluant dans les grandes villes ou celles dites de proximité, localisées dans des milieux ruraux ou périurbains. « Nous avons fait le choix de garder l’ADN de chacun des réseaux de la coopérative car ils apportent une réponse différente, adaptée aux besoins particuliers des officines, selon leur typologie », commente Gaëlle Madoux (Astera). Et Thomas Nepveux (Evecial) d’ajouter : « L’uniformisation des offres ne peut pas fonctionner. Tout l’enjeu est de réussir à se fédérer autour de valeurs communes tout en proposant des solutions pertinentes pour chaque modèle d’officine. » Néanmoins, il est ardu, pour certains pharmaciens, de s’y retrouver dans cette jungle d’offres proposées par les groupements. « On assiste à présent à une course aux adhérents de la part de certains groupements, dans une perspective de cession, ce qui tend à complexifier le marché et rendre plus concurrentielles les offres entre les différents groupements », observe d’ailleurs Gaëlle Madoux (Astera). Alors que la pharmacie est en pleine mutation, le phénomène de massification des groupements semble enclenché. Reste à savoir qui seront les grands gagnants de cette course aux rachats.

Chiffres-clés

  • 150 : C’est le nombre de groupements et fédérations de pharmacies recensées en France actuellement, selon Gers Data.
  • 10 000 : C’est le nombre d’officines sous forme de coopérative ou de commerce associé, soit environ la moitié des pharmacies française, selon la FCA.