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Pharmacie sous enseigne, un concept qui peine à être adopté ?
Les officines sous enseigne restent minoritaires dans le paysage pharmaceutique français. En cause : le besoin d’indépendance des titulaires, une réticence aux changements de la part de la profession et le coût. La jeune génération semble toutefois plus encline à adopter ce dispositif.
Proposée depuis de nombreuses années, la pharmacie sous enseigne doit encore faire ses preuves. La majorité des pharmaciens boudent ce dispositif qui permet de rendre visible l’identité d’un groupement au sein des officines membres. « Le concept d’enseigne est mûr, mais il se développe doucement dans un milieu encore assez conservateur », constate Alain Berthaud, président de Labo Pharma Conseils. Selon le dernier panorama de cette agence, un peu plus de 7 100 pharmacies seraient sous enseigne en France, sur un total de 19 900 officines. « L’enseigne représente aujourd’hui 35 % du parc des officines », résume Alain Berthaud.
Une offre globale
Bien que la majorité des installations sous enseigne concerne uniquement la façade, la plupart des groupements proposent également un aménagement intérieur complet, avec une offre de produits et de services qui « s’affine de jour en jour avec des concepts dignes des grands retailers », souligne Alain Berthaud. Si la plupart des groupements n’imposent pas l’enseigne à leurs adhérents, l’incitation est forte. À l’instar de Giropharm, qui a récemment lancé Girosignature, un panel de services assortis d’une mise sous enseigne extérieure et intérieure obligatoire. « Aujourd’hui, nous comptons 300 pharmacies à l’enseigne, sur les 500 qui ont adhéré à Giropharm », informe Gilles Unglik, son directeur général et opérationnel. De son côté, le groupement Leadersanté propose quatre franchises : Leadersanté, Côté Pharma, Artisan Pharma et Groupapharm. « L’enseigne est obligatoire pour les deux premières offres, optionnelle chez Artisan Pharma et n’est pas proposée chez Groupapharm. Nous n’imposons pas des travaux d’aménagement intérieur, mais la façade est obligatoire », détaille Alexis Berreby, président de Leadersanté Groupe et titulaire de la Pharmacie Moderne, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). 70 % du réseau est sous enseigne Leadersanté ou Côté Pharma. Pour sa part, la coopérative Wellcoop, à travers son groupement Objectif Pharma, dispose de deux offres d’enseigne : Wellpharma et Anton & Willem. « La première est orientée sur la prévention santé tandis que la seconde est spécialisée en médecine naturelle », précise Michel Dailly, directeur général d’Objectif Pharma. Sur les 500 adhérents que compte le groupement, 105 sont sous enseigne Wellpharma et 75 sous enseigne Anton & Willem. « Cette dernière, très standardisée, repose sur une mise au concept total de l’officine comprenant l’aménagement intérieur et la façade », pointe Michel Dailly.
Un besoin d’indépendance
Adhérent Giropharm de longue date, Christophe Beaurain, titulaire de la Grande Pharmacie de Paris, à Roubaix (Nord), envisage de sauter prochainement le pas. Il devrait passer sous enseigne Girosignature début 2025. Une décision longuement mûrie, puisque ce pharmacien est installé depuis 30 ans. « Jusqu’alors, je ne voyais pas comment l’enseigne pouvait me permettre de me différencier par rapport aux autres officines de la ville », indique-t-il. En effet, l’emplacement (gare, centre-ville, rond-point, etc.) et le titulaire, qui est en général connu dans la ville, caractérisent en premier lieu la pharmacie. « Certains pharmaciens déjà bien établis considèrent qu’ils n’ont pas besoin de l’artifice de l’enseigne. Dans ce cas, on peut comprendre qu’ils n’aient pas envie de s’engager dans des travaux », analyse Alain Berthaud (Labo Pharma Conseils). Christophe Beaurain évoque aussi un besoin d’indépendance cher à de nombreux pharmaciens. « J’avais envie d’être libre dans le choix de ma façade et de l’aménagement intérieur, je craignais de déléguer cette partie-là au groupement », explique-t-il. L’ensemble des experts interrogés ont mis en avant ce frein moral. « Certains pharmaciens pensent que l’enseigne est antinomique avec leur indépendance. Or, il s’agit seulement d’un habillage. Le pharmacien reste indépendant dans l’exercice de son métier », assure Michel Dailly (Objectif Pharma). Au-delà de cette question d’indépendance, Alexis Berreby (Leadersanté) estime que la profession est assez réticente au changement. « Notre métier est très protégé et l’Ordre national des pharmaciens a tendance à bloquer juridiquement certaines évolutions. Il s’est, par exemple, fermement opposé à la carte de fidélité, autorisée depuis quelques années. Cela n’aide pas à faire évoluer les mentalités et à créer une appétence pour les enseignes du côté des pharmaciens », déclare-t-il. Le coût peut également calmer certaines ardeurs. Il faut débourser en moyenne 15 000 euros pour refaire une façade. L’enveloppe d’un réaménagement intérieur est, elle, plus variable et dépend de la superficie et de l’orientation voulue par le titulaire. De fait, certains groupements, tels que Giropharm et Leadersanté, proposent un accompagnement financier, comme le booster d’apport. Il s’agit d’un crédit destiné à aider un pharmacien à acheter une officine lorsque son apport est trop faible. « Nous pouvons également financer jusque 30 % du coût de la façade », précise Gilles Unglik (Giropharm). Avec, toutefois, un point de vigilance. « Lorsqu’il y a un soutien financier à l’installation, il peut s’instaurer une dépendance entre le groupement et le pharmacien », met en garde Michel Dailly (Objectif Pharma).
Une aide pour les nouvelles missions
Si les réticences restent nombreuses, les personnes ayant franchi le pas mettent en avant plusieurs avantages, à commencer par un gain de temps. « Nous n’avons plus besoin de nous creuser la tête sur l’agencement, le graphisme intérieur, la musique, la communication, etc. », souligne Christophe Beaurain. Par ailleurs, selon des études de Giropharm, le chiffre d’affaires hors ordonnance progresserait de près de 17 % dès le passage à l’enseigne et la fréquentation de 7 %. Cela permet aussi de faciliter la mise en place des nouvelles missions. Un argument qui a fait mouche auprès de Christophe Beaurain, mais également de son épouse, à la tête de la Grande Pharmacie du Rond-point, à Hem (Nord), passée sous enseigne Giropharm en 2019. « J’ai pris cette décision après un agrandissement de ma pharmacie, afin de m’aider dans les nouvelles missions », explique Sandrine Beaurain. D’une superficie de 330 m2, son officine comprend notamment une salle de vaccination, des espaces de rendez-vous santé, un espace click and collect et un corner dévolu aux prothèses capillaires. « Les missions des pharmaciens se diversifient, ce qui nécessite un réaménagement. Dans ce condiv, il est parfois opportun d’adhérer à une offre d’enseigne », note Alain Berthaud (Labo Pharma Conseils). L’aménagement est ainsi en adéquation avec la stratégie de l’officine. Cela offre une meilleure homogénéisation des pratiques. « Les adhérents d’une même enseigne bénéficient d’outils et de moyens communs, de produits exclusifs et de services qui permettent de mieux fidéliser la clientèle », relate Michel Dailly (Objectif Pharma). Naturalité, offres commerciales dynamiques, proximité avec les patients, etc. Chaque concept d’enseigne répond à une typologie d’officine précise. Certains l’utilisent comme un élément de différenciation, à l’instar de Rebecca Falcetta, qui va bientôt s’installer sous l’enseigne Anton & Willem, à Gérardmer (Vosges). « Il s’agit de ma première installation. Ce concept d’enseigne va me permettre de me distinguer des pharmacies voisines car il est très porté sur la naturalité », souligne-t-elle.
Les jeunes moins réticents
Cet exemple le prouve, les primo-accédants semblent plus enclins que leurs aînés à passer sous enseigne. « Les jeunes générations voient moins l’enseigne comme un frein. Il y a aujourd’hui plus d’avantages à adopter ce concept du fait de l’évolution du métier », confirme Michel Dailly. Un avis partagé par Alexis Berreby, le président de Leadersanté Groupe : « La contrainte crée une remise en question. La réflexion sur l’enseigne est donc plus prégnante aujourd’hui, d’autant que la profession est en mutation profonde, avec beaucoup de projets de cession et de transfert d’officine. » Toujours selon Alexis Berreby, si le sujet monte en puissance chez les futurs installés, il reste un travail pédagogique important à réaliser du côté des pharmaciens déjà établis. « La mise sous enseigne devrait être amenée à progresser, mais ce ne sera probablement pas disruptif car notre profession a une maturation lente », note-t-il. Des propos corroborés par Alain Berthaud, qui estime que 40 % du parc pourrait être sous enseigne d’ici 5 à 6 ans. « La croissance devrait se poursuivre car les petites pharmacies tendent à disparaître au profit des plus grandes et le marché des groupements se concentre avec une forte volonté de développer les enseignes », explique-t-il. Dans un secteur pharmaceutique en pleine mutation, les enseignes semblent avoir trouvé leur rythme de croisière.
La croix verte, une enseigne commune et protégée
Enseigne officielle des pharmacies françaises, la croix verte est juridiquement protégée depuis 40 ans. Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens a déposé ce symbole, à titre de marque, auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) le 24 avril 1984. Cela lui confère une exclusivité d’exploitation et le droit d’en définir les règles d’usage. Ainsi, seuls les pharmaciens inscrits à l’Ordre ont la possibilité d’utiliser la croix verte. De même, le caducée, l’autre emblème des officines, est protégé depuis 1967. L’Ordre agit systématiquement contre tout dépôt de marque et tout emploi abusif de ces deux signes. « L’apposition de la croix verte et du caducée ou d’un symbole approchant sur un produit peut laisser penser que celui-ci présente des propriétés thérapeutiques ou curatives et qu’il a été fabriqué ou distribué sous le contrôle d’un pharmacien », explique le régulateur. Dans l’Hexagone, l’usage de la croix verte s’est démocratisé au XIXe siècle. Avant cela, les enseignes pharmaceutiques utilisaient la croix rouge mais elles ont progressivement abandonné ce symbole au profit de la croix verte, en lien avec la création de la Croix-Rouge en 1864. En 1913, une loi française a interdit l’usage de la croix rouge comme enseigne des pharmacies.