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La guerre de la com’

Publié le 19 décembre 2009
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Après la croisade en 2008 de toute la profession contre l’ennemi commun Leclerc, l’année 2009 a vu au contraire certains de ses représentants faire leur propre communication. Des groupements ont délibérément franchi la ligne jaune pour tester l’Ordre !

Plusieurs groupements ont mis le feu aux poudres cette année en franchissant le Rubicon. Objectif : forcer l’Ordre à changer les règles du jeu en matière de communication. Sur le premier semestre 2009, PHR a notamment lancé la campagne de communication « Vous donner toutes les raisons de nous préférer » à destination du grand public. Avec à la clé, une levée de boucliers prévisible des instances professionnelles, mais aussi de nombreux pharmaciens de base. « L’Ordre me reproche de créer un réseau dans le réseau, mais la profession doit comprendre que demain il n’y aura plus un seul mode d’exercice », s’explique Lucien Bennatan, président de PHR.

Déjà en janvier de cette année, le Conseil national de l’Ordre s’insurgeait contre la publicité « Mon conseil santé » faite par Giphar dans la presse nationale et dans les officines adhérentes.

L’Ordre débouté en référé contre PHR

A la suite d’une seconde vague radio réalisée avec l’acteur Richard Berry, l’instance ordinale assignait le groupement pour sa communication grand public et réclamait une amende de 100 000 euros et une astreinte de 1 000 euros par jour de retard si la communication n’était pas retirée. En juillet, l’Ordre a été finalement débouté de l’ensemble de ses demandes concernant le référé. Mais la bataille judiciaire n’est pas terminée, le dossier doit être maintenant jugé sur le fond.

Bien décidé à faire bouger les lignes, Plus Pharmacie ne lâche pas prise non plus, mais sa communication, plus axée sur les prix, semble paradoxalement avoir moins provoqué le courroux ordinal. De même que celle de Réseau Santé en Bretagne, comparant les prix des laits en pharmacie et en GMS. Elue l’été dernier à la présidence de l’Ordre, Isabelle Adenot s’est dit déterminée à lutter contre certaines formes de communications qui peuvent laisser à penser qu’il y aurait des « réseaux dans le réseau », et donc contre les campagnes apparaissant discriminatoires vis-à-vis de confrères. Isabelle Adenot a clairement annoncé au début de son mandat qu’elle poursuivra les actions en justice engagées par son prédécesseur.

La loi HPST permettra de se différencier

Dans ces conditions, difficile d’imaginer que les syndicats et l’Ordre, défenseurs de l’intérêt collectif, et les enseignes, soucieuses de faire valoir leurs différences, parviennent un jour à s’entendre. Qu’est-ce qui pourrait bien changer la donne aujourd’hui, alors que le spectre de l’ouverture du capital s’est éloigné et que les fondements de la pharmacie à la française ne sont plus menacés dans l’immédiat ? La loi HPST ? « Oui ! répond Lucien Bennatan, car elle porte en son sein le germe de la différenciation. Certaines missions sont opposables au pharmacien mais d’autres sont facultatives, sur lesquelles le Code de santé publique n’interdit pas de communiquer. »

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Brigitte Bouzige, présidente du Giphar, tient le même discours : « Les mentalités évoluent, les nôtres comme celles des patients. La profession est à la croisée des chemins. La loi HPST nous emmène vers l’officine spécialisée, d’abord parce que nous ne pourrons pas tout faire bien, ensuite parce que certains confrères ne pourront pas ou ne voudront pas s’y investir… A ce titre, le patient a le droit de savoir « qui et où ». Les syndicats et l’Ordre ne doivent donc plus s’arc-bouter sur l’unicité du diplôme ! »

Pour Philippe Gaertner, président de la FSPF, « communiquer autour d’un niveau de service différent dans certaines officines par rapport à d’autres, c’est prendre le risque de voir le réseau se déstructurer ». Face à cet argument, Joseph-Philippe Benwaïche, président de Plus Pharmacie, objecte que « c’est l’économie qui se chargera du détricotage du maillage. Nous ne pouvons pas rester dans un système où tout le monde a le droit de communiquer sur la pharmacie sauf nous. En nous empêchant de communiquer, on se trompe de cible ! ».

Recours en justice à double tranchant

Certains responsables d’enseignes constatent en effet que le pharmacien est au centre de campagnes initiées par ses partenaires. C’est le cas en ce moment de Biogaran avec ses spots TV « Mon pharmacien est formidable », ou encore du groupe Welcoop qui communique sur la Marque Verte que l’on trouve essentiellement dans les pharmacies affiliées à la coopérative, sans que personne ne réagisse. Même à leurs yeux, la communication faite sur le dossier pharmaceutique pose problème car 100 % des officines ne le proposent pas. « Certaines de ces campagnes sont discriminatoires, devons-nous laisser faire ? », s’interroge Brigitte Bouzige. « En 2008, parce que la profession se devait de riposter contre les attaques subies, les groupements avaient reçu un gentleman agreement de l’Ordre et des syndicats pour communiquer, et, en 2009, ce sont les industriels qui ont pris la suite de Michel-Edouard Leclerc pour communiquer sur la profession. Et ce mélange des genres n’émeut personne ! », s’exclame Lucien Bennatan. Pour anticiper la nouvelle offensive de Michel-Edouard Leclerc contre la profession, le groupe PHR a donc choisi de relancer début novembre à la radio sa campagne « Les pharmaciens vont vous donner les raisons de préférer votre pharmacie ».

Brigitte Bouzige est quant à elle convaincue que traiter le contentieux devant les tribunaux n’est pas la solution. « Il faut entrer dans une négociation où chacun puisse faire valoir ses arguments afin d’aboutir à un consensus, explique-t-elle. Un cadre doit être posé. » Lucien Bennatan, qui avait proposé lors du dernier Pharmagora une charte de bonnes pratiques de communication – restée depuis lettre morte -, s’accorde également à dire que cette voie de règlement n’est satisfaisante pour personne, et est même dangereuse : « Ce n’est pas à la justice de trancher sur la façon dont la profession et les groupements peuvent communiquer. Si l’Ordre perd son procès, la profession et les groupements seront perdants car, dans ce cas, le juge autorisera en bloc les pharmaciens à communiquer et ne fera pas de distinguo entre communication et publicité. »

Joseph-Philippe Benwaïche, se dit prêt à discuter d’une charte de bonnes pratiques ou de tout autre document qui fixerait des règles de communication et des normes. « Le pharmacien doit pouvoir communiquer sur ses savoir-faire et ses spécialisations, dire qu’il est compétitif en termes de conseils, services et prix, car c’est le consommateur qui décide, notamment d’aller là où les produits sont le moins chers. »

Vers une lutte enseigne contre enseigne ?

Une réunion à l’Ordre était justement prévue fin novembre pour confronter les points de vue. « Les groupements y vont dans l’esprit de construire le futur cadre de la communication, si celui-ci est déjà dessiné par l’Ordre, alors cette rencontre ne sert à rien et tout continuera comme avant », prévenait Lucien Bennatan avant que la réunion ne se tienne. Pour lui, il faudra de toute façon plusieurs réunions pour arriver à s’entendre, « à effacer le passif et oublier les rancoeurs personnelles ».

Les groupements feront-ils des concessions ? « On ne pourra pas non plus tout réglementer, un excès de règles reviendrait à tuer la création et la créativité des enseignes », assure Joseph-Philippe Benwaïche. Sans préjuger de ce qui sortira de l’ouverture du dialogue avec l’Ordre, Plus Pharmacie n’entend pas renoncer à son thème de campagne : « Expert en pharmacie, expert en vie moins chère ». « Oui, la communication grand public doit respecter certains codes de notre métier. Quant à la concurrence qu’elle crée soi-disant, elle ne fait qu’officialiser ce qui existe depuis des années », juge Brigitte Bouzige.

Et si l’Ordre venait à faire sauter le verrou de la communication ? « Alors la bataille de demain se fera enseigne contre enseigne, ne cache pas Joseph-Philippe Benwaïche. Chacune va s’employer à faire connaître la qualité de son enseigne, ses services, ses avantages, le positionnement santé qu’elle défend… mais aussi mettre tout en oeuvre pour qu’elle soit à la hauteur de la qualité annoncée. » Les pharmaciens sont-ils prêts à cela ?

Lors d’une réunion qui s’est tenue à l’Ordre fin novembre en présence de tous les groupements, Isabelle Adenot a reconnu qu’avec la mise en place de la loi HPST, la profession ne pouvait plus faire l’économie de la communication. Mais elle n’a rien promis. Réponse début 2010…

L’avis d’Apsara

Selon Olivier Verdure, directeur marketing du groupe Apsara, « il faut autoriser les actions des groupements alliant des campagnes informatives et de santé publique au profit des patients à leurs campagnes d’image de l’enseigne, et interdire les campagnes publicitaires sur les prix ou qui vanteraient les mérites des pharmaciens d’un réseau particulier. Des actions comme celle de Giropharm ou notre dernière campagne de sensibilisation sur l’autisme ne méritent pas de carton rouge ou jaune car elles ne dénigrent personne. Bien au contraire, elles valorisent l’ensemble du réseau ».

L’avis d’Alrhéas

Claude Rémy, président d’Alrhéas : « La communication des enseignes ne me dérange pas, même si je n’aime pas la forme de certaines d’entre elles. L’important c’est que ce sont des pharmaciens qui parlent de pharmacie. Il n’est plus acceptable aujourd’hui de laisser à d’autres la maîtrise de la communication sur l’officine. Contre Michel-Edouard Leclerc, la profession doit avoir une communication offensive. Nous avons été outranciers dans notre communication en réaction à sa campagne de 2008, cela a été une erreur car nous avons entretenu son image. A l’avenir, il ne faut plus lui répondre. »

L’avis de Giropharm

François Baudin, président de Giropharm : « Je suis à la fois opposé à toute communication débridée des enseignes et à l’immobilisme. Les enseignes ne peuvent pas développer des services de qualité auprès des patients sans le faire savoir. Néanmoins, il est hasardeux d’investir des sommes importantes dans la communication d’une marque qui n’est pas connue du grand public. Pour l’instant, les campagnes des enseignes ne sont pas dans la bonne dynamique puisqu’elles servent plus à défendre l’image de marque de la profession que leurs intérêts. Elles pourront porter leurs fruits à la seule condition que les réseaux se soient suffisamment développés sur le terrain pour pouvoir donner plus de visibilité à la marque enseigne. Une charte n’est pas nécessaire et la voie réglementaire est suffisante. Un toilettage des textes est préférable à une réforme en profondeur, le but est de construire un socle acceptable et de trouver une méthode qui concilie communication et confraternité. »

L’avis de Népenthès

Selon Christian Grenier, président de Népenthès : « La croix verte reste la meilleure enseigne. Une enseigne qui communique auprès du grand public sur un savoir-faire, ça n’a pas de sens ! Ce qui fait et fera toujours la différence entre deux pharmacies, c’est le titulaire et non pas d’afficher son appartenance à une enseigne. Les campagnes de type Afflelou dans les abris de bus ne visent qu’à flatter l’ego des personnes qui tiennent la vedette, faire plaisir aux actionnaires financiers du groupe et racoler des adhérents. Si, demain, l’Ordre perd devant les groupements, il y aura une bataille des réseaux et Népenthès n’aura pas d’autre choix que d’y aller, mais avec une puissance de feu qui sera supérieure à celle des autres enseignes. »

L’avis d’Optipharm

Michel Quatresous et Alain Grollaud, respectivement président et directeur d’Optipharm dénoncent « l’incapacité de l’Ordre à faire respecter le Code de santé publique en matière de communication. Certaines enseignes se comportent comme des franchiseurs qui usent des médias en toute impunité. Et ce ne sont pas les procès intentés par l’Ordre, dont les verdicts ne seront rendus qu’après une longue échéance, qui vont stopper ces agissements. L’Ordre doit d’urgence faire suspendre ces communications illicites, il en a les moyens. Ou alors qu’il accorde le droit à toutes les officines et à tous les groupements à une communication encadrée pour l’ensemble de la profession. La pharmacie française doit être régie par des règles communes à tous. Ce n’est plus le cas, c’est l’anarchie au profit de quelques-uns et au détriment de la majorité des officines qui ont encore le souci de bien servir la population ».