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Comment les groupements anticipent la dérégulation

Publié le 22 décembre 2007
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A l’heure où l’actualité est de moins en moins équivoque au sujet de l’ouverture du capital et de la dérégulation du circuit de distribution du médicament, les groupements n’ont d’autre choix que de s’y préparer. Voici comment.

En Europe, les critères qui font le socle de la pharmacie (propriété, monopole, quorum d’installation) ont bougé. Dans un tel contexte, l’exception française peut-elle durer ? Afin de sauvegarder l’indépendance du pharmacien et faire face à la dérégulation qui se prépare, les groupements ne sont donc pas à court d’idées. Mais à chacun sa stratégie… Pour beaucoup d’entre eux, la conséquence de ces mesures est l’évolution à plus ou moins courte échéance du marché pharmaceutique vers un marché d’enseignes, comme l’ont fait les opticiens il y a quelques années.

Changements de structures et de logistiques

Giropharm se prépare à la dérégulation en consolidant les fondations de sa structure nationale. Le 1er janvier prochain, la SAS nationale aura fusionné avec les 13 SA régionales en une société unique ayant opté pour le statut de coopérative. « La fusion des capitaux répond à nos besoins en développement », expose Raymond Boura, président de Giropharm, qui compte réinvestir les gains de productivité dans le développement de nouveaux services et l’enseigne. Grâce à la structure coopérative et aux excédents de gestion reversés aux adhérents, il espère ainsi que le groupement gagnera en reconnaissance vis-à-vis de ses partenaires industriels. Quant aux ex-13 sociétés, elles deviendront des établissements régionaux chargés de maintenir une relation de proximité avec les adhérents.

Giropharm a arrêté sa stratégie pour les trois ans à venir. « Nous avons pour ambition de devenir leaders sur le marché sur le plan qualitatif, annonce Raymond Boura. Nous n’avons pas vocation à être 2 000, mais Giropharm entend conduire une stratégie de différenciation avec 1 000 adhérents au maximum, dont 80 % afficheront pleinement leur appartenance au groupement, avec une identification forte par le biais de la façade ou d’une refonte totale à l’enseigne. » L’indépendance des adhérents et la dynamique de groupe pourraient être également renforcées par une incitation au développement des SEL et aux regroupements.

Pendant trois ans et demi, Népenthès s’est attelé à développer et à mettre en place des outils qui seront, selon le groupe, les garants de l’indépendance des pharmaciens du groupement. Pour son président, Christian Grenier, face à l’ouverture du capital et à la création de chaînes de pharmacies, la solution est un plateau logistique indépendant dans les seules mains du groupement. « Trois groupements ont des plateaux qui ne sont pas aujourd’hui chez les grossistes : Giphar, Evolupharm et Népenthès. Les autres sont condamnés car ils n’ont pas les outils nécessaires pour maintenir l’indépendance du pharmacien, affirme-t-il. Le pharmacien est contraint d’adopter un nouveau modèle dans un environnement qui bouge, pour gagner en productivité et en rentabilité. La segmentation forte du marché du médicament et les bouleversements induits par les volumes de génériques (un médicament vendu sur deux en 2010) militent en faveur de l’intégration verticale de la distribution. »

Ce nouveau modèle a un nom : NBM (Nouveau Business Model). Conçu sur mesure pour faire tourner les plateaux logistiques de Népenthès, il a pour but de rendre le point de vente plus performant et de lui faire dégager des marges supplémentaires, en accompagnant le pharmacien dans l’optimisation de ses achats et dans le cadencement de ses commandes. Et une pharmacie plus solide et prospère, c’est une pharmacie moins en proie à l’ouverture du capital et aux chaînes. Le discours a fait mouche auprès des adhérents : 150 ont déjà signé pour le NBM, 250 étaient sur liste d’attente pour 2007 et 400 sont demandeurs pour 2008.

De son côté, le groupe Apsara a mis en place également, en association avec Pharmodel, une plate-forme de distribution indépendante rayonnant sur plus de 1 200 pharmacies.

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Les enseignes font parler d’elles

Avec 1 600 adhérents, Direct Labo s’est rapidement fait un nom dans le paysage des groupements. Pour son président Yves Morvan, la meilleure réponse à l’Europe c’est l’enseigne. « Mais on peut être fort tout en restant indépendant, sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans le capital des officines. La puissance d’action commerciale et marketing de l’enseigne suffit. Pour preuve, dans le secteur de l’optique, l’enseigne Afflelou, construite sur le mode du commerce associé, rivalise avec le réseau intégré de Grand Optical. »

Le groupe Apsara se prépare aussi depuis plusieurs années à une évolution vers l’enseigne. Il a développé un concept de pharmacie libérale qui devrait permettre à ses adhérents de se doter des meilleures armes pour lutter efficacement sur le marché. En revanche, pour Olivier Verdure, directeur de la communication, « faire entrer dans le capital des pharmacies des entités qui ont des intérêts à la fois convergents et divergents avec ceux des pharmaciens est trop dangereux pour être acceptable. Ainsi, s’il y a lieu, il faut chercher des partenaires financiers ailleurs que parmi les grossistes, les laboratoires ou les assureurs qui n’ont pas forcément les mêmes objectifs que le pharmacien. Une voie plus libérale existe, et c’est celle-ci que nous proposerons à nos adhérents. Nous développons déjà depuis plusieurs années un certain nombre d’outils marketings destinés à améliorer la communication du pharmacien vis-à-vis du patient, tant sur son savoir-faire que sur son offre produits ».

Sans compter non plus sur les grands capitaux, Pharmodel va déployer son enseigne au niveau national dès le premier trimestre 2008. « Nous voulons représenter une solution compétitive aux modèles succursalistes, présente Rafaël Grosjean, son président. Notre objectif est d’offrir aux pharmaciens tous les outils et moyens faisant la force de la chaîne tout en lui garantissant son indépendance financière. Pour autant, une ouverture rapide du capital va nécessiter des moyens financiers. Elle impliquera également que nous revoyions nos structures. Nos adhérents devront être financièrement impliqués dans le réseau qui devra être demain capable d’installer des affiliés. Il devra être également capable de financer une politique de communication. Nous travaillons actuellement sur tous ces chantiers. »

Jusqu’ici très effacé, Népenthès a décidé en 2007 de se mettre à l’heure de l’enseigne et de l’accoupler au NBM pour doter le pharmacien de nouveaux leviers de croissance. « Après les produits à la marque repère Nep et le NBM, le réseau prend ici toute sa pertinence avec le lancement d’une enseigne qui s’affirme par des outils de communication efficaces, valorisant la mission d’acteur de santé du pharmacien et assurant une identification forte auprès du consommateur », explique Christian Grenier. 50 adhérents sont déjà passés à l’enseigne et 200 autres sont en attente sur la période fin 2007, début 2008.

L’ouverture du capital commence par les groupements

Joseph-Philippe Benwaïche, président de Plus Pharmacie, a été le premier à annoncer qu’il y aurait un jour des chaînes de pharmacies en France. Ce qui se prépare ne devrait pas démentir ses prédictions. Question de temps. En tout état de cause, dans ce groupement, l’action a précédé la loi. Plus Pharmacie s’est préparé en ouvrant son capital à hauteur de 35 % à Phoenix Pharma, numéro 2 européen de la répartition. « L’indépendance est dans les moyens financiers, la bataille économique va devenir énorme et la concurrence entre confrères est un mot qu’il faudra prendre au pied de la lettre, même si cela ne plaît pas à tout le monde, prédit-il à nouveau. Phoenix Pharma est entré dans le capital, d’une part pour permettre à Plus Pharmacie de développer l’enseigne et ainsi aux pharmaciens de rester indépendants mais organisés, et, d’autre part, pour leur donner la possibilité d’appartenir à un réseau avec des enseignes fortes (Pharmavie, Familyprix) qui les aideront à répondre à la concurrence et à pérenniser leur point de vente, ce qui malheureusement ne sera pas le cas pour tous les officinaux. »

Le président de Plus Pharmacie veut aussi donner tous les moyens à ses adhérents d’accéder à la propriété d’autres points de vente, via les SEL, et ainsi développer les différentes enseignes du groupement par un effet boule de neige.

C’est aussi pour anticiper les tendances lourdes que traverse l’Europe qu’un autre groupement, Forum Santé, a ouvert son capital au groupe Caravelle, qui contrôle la Cooper.

Commerce associé ou commerce intégré ?

Pour peser demain dans un paysage pharmaceutique composé d’enseignes, de chaînes, d’indépendants, de groupements d’achats et d’industriels puissants et organisés, le nombre aura son importance. Lucien Bennatan, président du groupe PHR, le sait bien. Parce que chaque pharmacie compte, il met en place une offre à cinq étages pour exploiter les nouveaux potentiels de demandes et ne rien laisser au hasard. « Elle va correspondre à un maximum de pharmaciens », promet-il, avec comme objectif de les faire gagner en réseau.

Le premier étage s’adresse aux pharmaciens isolés qui n’ont besoin que de quelques services du groupement, le deuxième étage accueille les adhérents du groupement, le troisième étage est dévolu aux deux enseignes développées par le groupe PHR, Viadys et Pharma Référence.

Les quatrième et cinquième étages prévoient des participations capitalistiques pour donner satisfaction à Bruxelles. « Nous envisageons de créer un concept de commerce associé avec prise de participation, partielle ou totale, du groupe PHR dans les officines, et une chaîne de pharmacies pouvant être détenue à 100 % par un investisseur extérieur », annonce Lucien Bennatan. On pense tout de suite à l’OCP, partenaire logistique du groupe PHR. « Les répartiteurs OCP et Alliance Healthcare ne se contenteront pas de 49 % du capital, le groupe PHR travaille donc sur un contrat qui permettra de préserver à la fois le patrimoine de l’investisseur et l’indépendance du professionnel qui exerce dans la pharmacie. » En construisant des liens capitalistiques transversaux entre les officines, Lucien Bennatan ne contrevient pas à la loi sur les cartels qui interdit, sur le plan européen, à des indépendants de mettre en place une politique commerciale commune et de mettre en oeuvre des pratiques concertées anticoncurrentielles

Développant un concept global d’enseigne, Forum Santé est plus attaché à la cohésion autour d’un projet d’entreprise commun et à la cohérence de profil des pharmaciens adhérents pour donner de la visibilité à l’enseigne. « Le concept de Forum Santé repose sur l’excellence du conseil et de la relation client », expose Julien Arnauld, responsable de la communication. Partant de ce principe fondateur, tout système de chaîne de pharmacies qui ferait perdre l’intuitu personnae au pharmacien est exclu chez ce groupement. « L’implication personnelle du pharmacie gérant, salarié d’une chaîne, risque d’être amoindrie à l’égard du client », craint Julien Arnauld.

Alors, commerce associé ou intégré ? Forum Santé choisit en fait les deux à la fois. « L’évolution annoncée est celle de la cohabitation de modèles au sein d’un système polymorphe », justifie Dominique Deloison, directeur général. L’intégration de chaînes pourra se faire, selon lui, par l’intermédiaire de SPFPL (holdings de pharmacies) détenues majoritairement ou minoritairement par les adhérents ou des investisseurs extérieurs. « Les modalités d’ouverture du capital vont changer, mais l’essentiel est de conserver les fondamentaux concernant la capacité de contrôle du pharmacien, la responsabilité professionnelle et l’organisation déontologique de la pharmacie, estime Dominique Deloison. Au nom de la qualité et de la sécurité, les opérateurs extérieurs à la profession qui entreront dans les holdings de pharmacies devront se conformer strictement aux règles et contraintes qui s’imposent au pharmacien indépendant. »

Entrer dans le capital des adhérents

Sur le principe, Evolupharm est contre l’ouverture du capital à des non-pharmaciens. « Nous préférons que la loi sur les SEL permette aux pharmaciens d’avoir un nombre de participations illimité dans les officines, déclare Jean-Pierre Chulot, directeur de ce réseau à l’enseigne. Si ouverture il doit y avoir, il faut la limiter à une minorité du capital et aux seuls acteurs directs et indirects de la santé : répartiteurs, groupements, laboratoires… » C’est donc contraint et forcé qu’Evolupharm entrerait dans le capital des officines de ses adhérents. « Nous répondrons présents à l’égard des pharmaciens qui expriment le besoin de réaliser une partie de leur capital », annonce Jean-Pierre Chulot. A cet effet, Evolupharm a déjà pensé sa propre structure capitalistique (un holding financier pur) dont il garantit d’ores et déjà l’indépendance financière à l’égard de sociétés extérieures ou de fonds d’investissement.

Comme les autres membres du Collectif des groupements, Giphar prône l’ouverture du capital aux seuls pharmaciens d’officine. « Les données ont changé, le projet de l’Ordre – qui avait rallié la majorité de la profession il y a un an – n’est plus aujourd’hui assez ambitieux par rapport à ce que nous souhaitons », déclare Pascal Louis, président de Giphar, qui souhaite notamment un élargissement des possibilités d’entrée dans le capital (nombre de participations, prise de participation majoritaire pour les holdings…), mais aussi une simplification des cessions de parts à l’intérieur du modèle ordinal de SEL à trois officines. « Dans un futur hypothétique, le groupement souhaite prendre des parts du capital des officines, dans un premier temps pour aider les jeunes diplômés à s’installer et les accompagner dans leur investissement, tout en développant notre réseau harmonieusement. Compte tenu de l’importance des capitaux à engager et du fait que les adhérents sont très fédérés derrière leur groupement, la priorité n’est pas de racheter des parts dans les 1 315 pharmacies Giphar. »

Se soumettre à une discipline d’achat

Chez Optipharm, qui aura 20 ans en 2008, on estime que les pharmaciens ont encore le temps de se préparer. « L’ouverture du capital à des non-pharmaciens et les chaînes de pharmacies ne sont pas inéluctables, la France peut encore faire valoir son droit de subsidiarité et n’est pas la seule exception dans le paysage européen », pense Michel Quatresous, président du groupement. A supposer que l’Europe fasse plier la France, il ne croit pas au scénario-catastrophe annoncé, estimant « qu’il faudra beaucoup de temps avant que 5 000 pharmacies soient rachetées par des chaînes et que 5 000 autres disparaissent. Les 12 à 13 000 officines entreprises libérales restantes pourront encore s’organiser autour de leurs groupements ». Il prédit une joute économique entre groupements de pharmaciens indépendants et les chaînes aux mains de puissants capitaux. « Les barèmes d’écarts seront différents, il faudra donc rivaliser en termes de puissance d’achat. Chez Optipharm, nous avons investi dans des outils informatiques et des moyens de communication qui permettront aux adhérents d’être réactifs sur les commandes. » Michel Quatresous est convaincu que la menace des chaînes va catalyser l’organisation de la riposte des indépendants, fédérer davantage les 2 000 adhérents du groupement qui accepteront, sous la pression de l’économie, de se soumettre à une discipline d’achat identique à celle d’une enseigne. Avec le nombre en plus.