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Ces communes qui souffrent de la perte de leur pharmacie

Publié le 1 juin 2024
Par Magali Clausener
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La fermeture d’une pharmacie n’est jamais anodine. Encore moins dans une petite bourgade. Elle a non seulement des conséquences directes sur l’accès aux médicaments de la population mais également sur les autres professionnels de santé. Et finalement sur l’ensemble des commerces locaux.

 

« Nous n’avons pas vu venir la réalité des officines qui ferment faute de repreneurs. Pour nous, c’est parce que le pharmacien avait mal géré son argent que son officine fermait. Nous avions plutôt étudié le manque de médecins généralistes et spécialistes dans les communes rurales », constate Gilles Noël, vice-président en charge de la santé à l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Actuellement, l’érosion du maillage officinal, un phénomène qui se déroule « à bas bruit », inquiète fortement les élus locaux et en premier lieu les maires des petites communes. Car la pharmacie du village est plus qu’un symbole.

Ces officines primordiales

« La pharmacie est primordiale pour les habitants et les professionnels de santé qui en ont besoin », souligne ainsi Maryse Delache, maire de Marly-Gomont (Aisne). Dans sa commune, cela fait trois ans que la pharmacienne, Maryvonne Horiot, cherche un repreneur pour son officine. « Les jeunes pharmaciens n’osent pas se lancer alors que tous les autres commerces ont été repris par des jeunes », constate la maire avec étonnement. La bourgade ne manque pas d’atouts en effet : une vingtaine de commerces, trois médecins généralistes, un cabinet d’infirmières, un cabinet de sages-femmes… Si Marly-Gomont ne compte que 500 habitants, elle draine environ 3 000 personnes des alentours. L’enjeu pour la population est de taille. A tel point qu’en 2023, aidée par des commerçants, la sage-femme a réalisé un clip parodiant la chanson Marly-Gomont du rappeur Kamini, originaire de la ville, pour séduire les docteurs en pharmacie. Un pharmacien a d’ailleurs été récemment embauché et Maryse Delache a bon espoir qu’il succède à la titulaire actuelle.  

Didier Poncet, maire de Cremeaux (Loire), se désole de la fermeture depuis 2018 de la pharmacie, qui a donné lieu à un véritable feuilleton. En effet, la commune abritant moins de 2 500 habitants (environ 900), la création d’une nouvelle officine ne peut avoir lieu. Cela, sans dérogation possible, au grand dam des habitants qui ont manifesté le 26 juin 2023 pour la réouverture de l’officine. « La pharmacie la plus proche est à 15 km, ce qui fait 30 km aller et retour pour aller chercher des médicaments. Quand il ne faut pas y retourner parce que des médicaments manquent à cause des pénuries. Surtout, la commune compte de nombreuses personnes âgées qui se déplacent de moins en moins », explique le maire. Ce problème d’éloignement concerne aussi les infirmières libérales. « Elles doivent aller chercher les médicaments ailleurs, et cela complique leurs tournées », souligne Didier Poncet. « L’Etat a participé au financement de la maison de santé communale : on demande à des professions médicales de venir s’installer pour lutter contre la désertification médicale en ruralité, et en même temps, on gêne l’accès aux médicaments. C’est totalement incohérent », a déclaré un kinésithérapeute au média régional Le Pays. D’autant que la maison de santé pluriprofessionnelle de Cremeaux devrait bientôt accueillir deux nouveaux médecins généralistes. Quelle solution alors ? « Un projet d’annexe de pharmacie devrait voir le jour d’ici à l’automne. L’Agence régionale de santé doit rédiger pour juin le cahier des charges qui définit le fonctionnement, les jours et heures d’ouverture », annonce le maire. Ce projet d’antenne de pharmacie s’inscrit dans l’expérimentation lancée dans cinq régions. Celle-ci ne sera pas ouverte tous les jours mais elle permettra à la population d’avoir accès aux produits de santé plus facilement.

Développer coûte que coûte le chiffre d’affaires

A Plouray, dans le Morbihan, l’unique pharmacie de la commune d’un bon millier d’habitants est en liquidation judiciaire. Ses portes sont donc closes depuis novembre 2023. « Pendant trois à quatre ans, il n’y a plus eu de médecin généraliste à Plouray. La pharmacie n’est pas parvenue à régler ses charges », relate le maire, Michel Morvan. Qui ne connaît toutefois pas l’ensemble du dossier, puisque depuis deux ans, deux généralistes se relaient à Plouray pour recevoir les patients. Il n’en demeure pas moins que la fermeture de l’officine préoccupe l’édile. « Cela fait à peine six mois que la pharmacie est fermée et, pour l’instant, je n’ai pas de retours de la population, mais je crains que le ton ne change d’ici la fin de l’année. Les pharmacies les plus proches sont au moins à 10, 12, voire 17 km », confie-t-il. Pourtant, il garde espoir. « La licence n’est pas rendue, la pharmacie peut donc être reprise, mais il faut attendre le jugement », explique-t-il. Et de faire valoir les atouts de la petite ville qui compte plusieurs commerces de bouche, une Poste, deux cabinets infirmiers, un ostéopathe, un psychologue, un psychanalyste et un kinésithérapeute. Sans oublier l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui accueille 35 résidents ainsi qu’un établissement et service d’aide par le travail (Esat) avec une centaine de personnes, et un centre de secours pompier. Autant de professionnels de santé et de structures qui s’approvisionnaient à la pharmacie. « La pharmacie réalisait un chiffre d’affaires de 700 000 € mais je pense qu’on peut le développer notamment en étoffant davantage le rayon parapharmacie », estime le maire. Il est d’ailleurs prêt à aider financièrement le futur repreneur, car le bâtiment appartient à la mairie et il est tout disposé à en réduire le loyer. Reste aux candidats à se faire connaître.

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Mixité sociale

L’accès aux médicaments n’est cependant pas le seul argument pour les élus locaux. Avoir une pharmacie au sein de sa petite ville ou de son village garantit un certain passage pour les autres commerces. « Lorsque les patients viennent chercher leurs médicaments, ils vont aussi acheter leur pain et faire d’autres courses », observe Olivier Rozaire, pharmacien à Saint-Bonnet-le-Château (Loire) et président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens d’Auvergne-Rhône-Alpes. L’officine est également un lieu de lien social qui permet aux patients et aux clients d’échanger avec le pharmacien et l’équipe officinale, mais aussi avec les autres habitants. La fermeture d’une pharmacie entraîne donc différentes répercussions en matière de santé, d’économie locale et de relations sociales. Pour Gilles Noël, cela implique également un accroissement des inégalités de santé et d’espérance de vie. Selon une étude réalisée par l’AMRF, la différence d’espérance de vie entre des habitants en milieu rural et urbain est de 2,2 ans chez les hommes et de 0,9 an chez les femmes. La mixité sociale est également en danger. Un aspect auquel on ne pense pas d’emblée : « Les enfants du médecin, du pharmacien, mais aussi ceux de directeurs de banques, de services de l’Etat se côtoient à l’école et cela favorise la mixité sociale ainsi que la réussite scolaire. L’enfant d’un agriculteur qui va chez son copain, le fils du pharmacien, va découvrir ce que sont les études supérieures et cela peut le conduire à poursuivre ses études », pense Gilles Noël. La pharmacie du village est aussi un symbole sociétal.

« La refondation du système de santé fait partie de l’aménagement du territoire. »

Quelles sont les conséquences des fermetures d’officines sur le territoire ?

Gérard Raymond : Les fermetures de pharmacies sont la concrétisation de la totale désorganisation de l’offre sanitaire sur le territoire. Cela complique encore plus l’accès aux soins des patients. Le modèle développé depuis quarante ans ne fonctionnant plus, cela nous amène à nous interroger sur le modèle économique et les risques de financiarisation.

Le mode de rémunération des pharmaciens a déjà été modifié avec notamment l’introduction d’honoraires. Quel autre modèle pourrait être mis en place ?

GR : Peut-être faut-il faire encore évoluer ce modèle économique pour qu’il prenne plus en compte le fait que le pharmacien est un professionnel de santé que l’on peut consulter librement. Le pharmacien est un pilier des soins et joue un rôle clé dans la dynamique territoriale en matière d’organisation sanitaire. Quant aux médecins, le paiement à l’acte ne devrait plus être l’alpha et l’oméga. Et la pratique solitaire est un mode d’exercice dépassé. Ils doivent travailler en coordination avec les autres professionnels de santé pour répondre aux besoins de la population.

Les élus locaux pointent le problème de l’aménagement du territoire comme l’une des causes de la désertification médicale et maintenant pharmaceutique. Qu’en pensez-vous ?

GR : Le système de santé est en train de s’effilocher. Les fermetures d’officines représentent un vrai problème. Comment peut-on aujourd’hui aménager le territoire pour répondre aux besoins de la population qui sera différente d’un territoire à l’autre, y compris en matière de prévention ? La refondation du système de santé fait partie de l’aménagement du territoire.