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Air Pharma
Les pharmacies d’aéroport ou de gares vivent un exercice totalement atypique, à la fois effréné, économiquement intéressant mais précaire. Avec un risque d’expulsion à chaque renouvellement de concession. Embarquement immédiat.
C’est un concours de circonstances qui a amené Jean-Louis Fiandino à poser ses valises dans l’aéroport de Nice, en 1984. « La chambre de commerce avait lancé un appel à candidatures pour la création d’une officine au sein de l’aéroport. A l’époque, je travaillais comme adjoint. Ce train-train ne me correspondait pas et j’étais sur le point de rejoindre l’industrie pharmaceutique. » Jean-Louis Fiandino embarque alors pour une aventure professionnelle qui dure depuis plus de 20 ans, même si l’horizon n’a pas toujours été dégagé.
La pharmacie de l’aéroport de Nice garantit avant tout l’approvisionnement des 4 000 personnes qui y travaillent ainsi que des navigants qui transitent chaque jour, avec une plus forte affluence le dimanche. Ce qui plaît à Jean-Louis Fiandino, c’est le mouvement perpétuel de l’aéroport. « Au comptoir, nous sommes confrontés à des clients qui viennent de tous horizons, de toutes cultures. Plus de 20 % de notre clientèle est étrangère. La recherche d’équivalents thérapeutiques est habituelle. Il faut être réactif et maîtriser la consultation des bases de données », explique-t-il.
A l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry aussi, ce sont plus de 4 000 personnes qui travaillent sur le site. Pour elles, la pharmacie de l’aéroport tient le rôle d’une pharmacie de quartier, comme le souligne Martine Chalessin, la cogérante : « Ma première clientèle est d’abord en effet le personnel qui travaille sur le site. » Une clientèle régulière, qui apprécie pour des raisons évidentes que cette pharmacie soit ouverte 365 jours par an, de 8 h à 20 h (sauf le dimanche où l’officine n’ouvre qu’à 10 heures).
Une « expérience anthropologique »
« Nous avons même des habitués parmi les voyageurs. Ils profitent du laps de temps disponible entre l’enregistrement et l’embarquement pour venir acheter leurs médicaments sur ordonnance. Mais nous accueillons aussi beaucoup de passagers qui partent en vacances et qui ont oublié le nécessaire de voyage », remarque Martine Chalessin. Enfin, la pharmacie de l’aéroport reçoit aussi la visite des habitants des environs, notamment les dimanches et jours fériés. Beaucoup de clients, donc, « mais le panier moyen est réduit », assure-t-elle.
C’est une véritable expérience anthropologique, selon Christophe Guhur, installé depuis 1999 à Roissy-Charles-de-Gaulle, qui a découvert « l’environnement passionnant des aéroports » lors d’un remplacement à Orly. « Un aéroport est un melting-pot où se croisent des gens de toutes les cultures. C’est un milieu de tolérance », met-il en avant. Au comptoir, la diversité de la clientèle impose une forte capacité d’adaptation. « Le premier impératif est linguistique. La maîtrise d’une langue étrangère est un critère de recrutement. Cela pose quelques problèmes avec les préparateurs qui ont souvent un niveau de formation insuffisant. »
Le stock doit aussi refléter cette variété car les pratiques de consommation d’un pays à un autre ne sont pas les mêmes, le faisceau de destinations du terminal étant par exemple revu tous les six mois à l’aéroport Charles-de-Gaulle. D’où des ventes bouleversées. Pour la partie médicaments, la prescription en DC a simplifié les choses.
La moitié du chiffre d’affaires réalisée en para
« La nature des produits dispensés et les conseils prodigués sont évidemment liés aux voyages, note Jean-Louis Fiandino. Il est essentiel de connaître les maladies des pays tropicaux, les recommandations vaccinales, les zones impaludées. Et puis, prendre l’avion est un événement qui peut avoir un impact sur la santé et le bien-être. Les voyageurs un peu stressés viennent nous voir. Nous sommes également sollicités pour prévenir les problèmes circulatoires en cas de vols long-courrier. »
« Nous travaillons en étroite collaboration avec le centre de vaccination et de conseils aux voyageurs de Roissy, informe Christophe Guhur. Nous relayons des messages de prévention, notamment pour éviter le « syndrome de la passerelle » qui expose les passagers des vols long-courrier à un risque de phlébite. » Sans compter que l’engouement pour les billets dégriffés rend souvent inexistante la préparation sanitaire des voyages.
Les produits cosmétiques et d’hygiène ont également beaucoup de succès dans les pharmacie d’aéroport. Ils représentent 50 % du CA chez Christophe Guhur, 40 % chez Jean-Louis Fiandino. D’où une marge globale de 36 % pour le premier (et un CA de 2,5 à 3 millions d’euros) et 35 % pour le second (pour un CA de 1,5 million d’euros).
« Est-ce que c’est plus cher ici ? » Cette question, Martine Chalessin l’entend pratiquement depuis le premier jour où elle a levé le rideau de son officine. C’était en 1994. Depuis, patiemment, en souriant, elle rassure ses clients et, surtout, tente de répondre à leurs attentes ou leurs questions. Ce qui n’est pas une mince affaire : l’aéroport lyonnais devrait accueillir cette année 7 millions de passagers. Soit, potentiellement, autant de clients et de demandes différents selon les destinations, les motifs du voyage, l’âge et l’état de santé des passagers.
La gestion d’une telle pharmacie est surtout affaire d’organisation, de suivi et de présence humaine. Martine Chalessin et son associé, Gilbert Ollat, se succèdent ainsi en permanence aux commandes. A l’un l’ouverture, à l’autre la fermeture. « Mais nous faisons en sorte de passer chaque jour trois heures ensemble. C’est notamment à ce moment-là que nous recevons les représentants. » Ils sont aidés par deux préparatrices et une employée à temps partiel qui prend en charge les vitrines et les étalages.
Par ailleurs, dans un lieu aussi sécurisé qu’un aéroport, les problèmes d’insécurité sont inconnus. « Cela m’a changé de l’époque où j’exerçais à Meyzieu, dans la banlieue lyonnaise, et où nous avons été agressés six à sept fois. »
Pas de bail commercial
Mireille Grand a exercé pendant quinze ans dans une officine de quartier en banlieue, au nord de Paris, avant de travailler gare d’Austerlitz. « Cette nouvelle implantation me comble. J’adore l’ambiance qui règne dans la gare. C’est un mélange de frénésie, d’excitation. Les gens sont dans une démarche de voyage. Il y a de la vie et du mouvement. » Au comptoir, l’effervescence et l’empressement des clients ne permettent pas toujours de prendre le temps, mais ce n’est pas un problème pour la titulaire : « Dans un lieu comme une gare, l’exercice de la pharmacie ne peut pas être traditionnel. Il faut s’adapter et privilégier la notion de services. Nous faisons beaucoup de dépannage pour une clientèle volatile puisqu’elle n’est que de passage. En revanche, il est possible de fidéliser les clients qui empruntent quotidiennement la gare d’Austerlitz et ceux qui y travaillent. »
Ni le bruit, ni les gens pressés, stressés, n’entament l’optimisme de Mireille Grand : « Le seul inconvénient est l’amplitude d’ouverture de la pharmacie. Heureusement, la SNCF ne m’impose pas d’ouvrir les dimanches. » Car occuper le domaine public ne se fait pas sans contrepartie. Dans une gare, comme en aéroport, le titulaire n’a pas de bail commercial. Il est lié par un contrat administratif qui détermine ses conditions d’exercice. « Pour m’installer, j’ai acheté une concession. Celle-ci me donne le droit d’utiliser de manière privative une partie du domaine public moyennant une redevance que je verse chaque mois à la SNCF », précise la titulaire de la pharmacie de la gare d’Austerlitz.
Un faux air de carte postale
Ces lieux publics n’ont donc pas que leurs avantages et leur charme exotique ! « Un aéroport est un emplacement stratégique car le flot de chalands est important. Mais notre pérennité n’est pas assurée comme pour les autres pharmacies, précise aussi Jean-Louis Fiandino. J’occupe une concession à titre précaire. Si la CCI décidait de ne pas la renouveler, je devrais fermer. » Attention donc aux turbulences ! A son installation, un seul des terminaux était ouvert, d’où une activité insuffisante vu l’exigence de la CCI d’ouvrir 7 jours sur 7.
A l’ouverture du second terminal, Jean-Louis Fiandino a perdu 40 % de clientèle, la liaison Paris-Nice étant transférée sur le nouveau terminal. C’est son transfert en 2004 qui aura fait décoller le CA. « Mais notre activité reste fortement dépendante d’événements extérieurs, politiques, sociaux, économiques. J’ai perdu ainsi 40 % de ma clientèle lors de la Guerre du Golfe. Cette chute s’est reproduite après les attentats du 11 Septembre. » On est loin d’un tableau idyllique et sans souci.
-Marseille-Marignane – Expulsé du domaine public
L’expulsion. C’est le risque couru par le titulaire d’une pharmacie d’aéroport ou de gare. Tout dépend en fait du renouvellement de concession de la chambre de commerce (en province) ou des Aéroports de Paris en Ile-de-France. Thierry Besson en a fait l’amère expérience, comme nous l’annoncions dans Le Moniteur (n° 2635). Le 16 juin 2006, la pharmacie de l’aéroport Marseille-Provence a ni plus ni moins disparu du hall 1 international ! Le 2 juin, une décision d’expulsion du Conseil d’Etat avait mis, semble-t-il, un point final au bras de fer entre la SNC Besson Casella et la chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence, concessionnaire de l’aéroport.
La pharmacie avait obtenu sa licence d’exploitation le 1er octobre 1982. En 1995, Thierry Besson et son associé la rachetaient, signant une convention d’occupation temporaire du domaine public pour 8 ans, prolongée par avenant jusqu’au 31 mai 2005. Mais, à cette date, la direction de l’aéroport demande aux titulaires de libérer les lieux sous 3 mois. Le maintien du local de la pharmacie gêne le programme de travaux programmés dans le hall 1 jusqu’en 2007, et les titulaires ont omis de demander le renouvellement de la convention dans les délais. Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille ayant refusé l’expulsion, c’est donc devant le Conseil d’Etat que la CCI est allée obtenir satisfaction. Mais le commissaire du gouvernement précise tout de même dans ses conclusions qu’« un accord amiable avec la CCI aurait sans doute permis de déplacer la pharmacie dans un autre endroit de l’aéroport pour la période des travaux »… Occupants à titre provisoire du domaine public, les titulaires ne peuvent pas prétendre à une indemnité d’éviction. Pourtant, Thierry Besson n’a pas jeté l’éponge : « Personne ne peut remettre en cause l’utilité de cette officine, ouverte 7 jours sur 7, de 8 h à 19 h 30, qui a réalisé 950 000 millions de CA en 2004 et assurait toutes les gardes de Marignane et Vitrolles. »
Après avoir écrit au ministre de l’Intérieur (un certain Nicolas Sarkozy), le préfet lui a répondu que « la pharmacie a été fermée provisoirement mais sa licence n’est pas caduque ». D’ailleurs, la CCI n’a pas dit qu’il n’y aurait plus de pharmaciens dans l’aéroport de Marseille-Marignane. Michèle Alliot-Marie, elle, a demandé à ses services « de procéder à un examen attentif du dossier ». Optimiste, Thierry Besson affirme : « L’Etat a créé cette officine en délivrant une licence. C’est à lui de fournir un local pour l’exercer. »
Des mesures de sécurité aussi sur la para et les médicaments
Les mesures de sécurité appliquées à l’embarquement de tout voyage en avion pénalisent au premier chef une pharmacie installée en aéroport. Sont en effet interdits en cabine tous les gels, liquides et pâtes d’une contenance supérieure à 100 ml. « Or, le plus souvent, les passagers en partance ne viennent à la pharmacie qu’après avoir enregistré leurs bagages », explique Martine Chalessin, exerçant dans l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry. D’où l’impossibilité pour eux d’acquérir nombre d’articles, sans compter tous les ciseaux ou coupe-ongles strictement interdits.
« Le plus souvent, c’est moi qui leur explique la législation et donc l’impossibilité d’apporter dans l’avion tel ou tel article », poursuit Martine Chalessin La pharmacienne tente donc de convaincre les laboratoires d’adapter leurs emballages et conditionnements à la législation. Plus facile à dire qu’à faire. Pourtant, peu à peu, les labos s’y mettent. Ainsi trouve-t-on des shampooings en petit flacon. Mais il reste fort à faire. Pour l’officine, le manque à gagner est important.
Les diabétiques peuvent emporter leur insuline
Pour la délivrance de médicaments, la pharmacie donne une attestation de vol précisant la nature des médicaments, le vol concerné, l’identité du passager et la date. Concernant les produits pour bébé, il peut être demandé aux adultes de goûter le produit emporté.
En septembre, l’Association française des diabétiques a envoyé une lettre ouverte à la Direction générale de l’aviation civile pour se plaindre de l’interdiction de transporter des substances liquides en avion. Elle vient d’obtenir que les diabétiques puissent emporter leur insuline en bagages à mains en une quantité nécessaire à la durée du vol et aux jours suivants. Se posait en effet la question de sa conservation dans les conditions de température des soutes, mais aussi celle du traitement en cas de perte de bagages. Le seul document à fournir est une ordonnance en français au nom du patient et en cours de validité, avec tous les éléments du traitement emporté (aiguilles, stylos…). En cas de difficulté au poste de sûreté, le passager peut en appeler au superviseur ou au chef de l’équipe de sûreté, informe encore l’AFD.
Repères réglementaires
Ni propriétaire ni locataire
Un pharmacien implanté dans un aéroport ou dans une gare ne peut pas être propriétaire des murs de son officine. Il ne bénéficie pas non plus d’un bail commercial, mais d’une convention qui est conclue sous le régime des occupations précaires du domaine public. « Il s’agit d’un droit d’occupation et d’exploitation strictement personnel pour une durée déterminée. Ce droit ne peut pas être cédé et ne confère ni la propriété commerciale, ni le droit au renouvellement. Principale conséquence : la pérennité de l’exercice n’est pas assurée [voir ci-dessus]. L’équilibre économique est rendu précaire car, sauf exception, si le concédant décide de mettre un terme à la concession, le pharmacien n’a rien, pas même une indemnité d’éviction », explique Alain Fallourd, avocat.
Ordonnances étrangères
Un aéroport est un monde sans frontières où se croisent toutes les nationalités. Au comptoir, que faire face aux ordonnances de toutes provenances ?
De telles ordonnances posent un problème juridique épineux car non clarifié à ce jour. Le Conseil national de l’ordre des pharmaciens estime que la délivrance d’ordonnances émanant de praticiens étrangers, hors Union européenne, constitue une infraction au Code de la santé publique. Or, selon le Conseil d’Etat (CE, 26 octobre 2005, req. n° 270229 et 270230), il n’est pas interdit de délivrer une ordonnance provenant d’un médecin étranger, y compris lorsque celui-ci exerce hors UE.
Les horaires
Ils peuvent être calés sur l’activité de l’aéroport ou de la gare. Pour cela, le titulaire s’entourera du personnel nécessaire, sous réserve de respecter les obligations édictées par le Code de la santé publique, le Code du travail, la convention collective et, le cas échéant, le contrat de travail.
Ainsi, toutes les règles sociales applicables au temps et horaires de travail sont de rigueur (travail salarié au maximum de 10 heures par jour, de 44 heures par semaines sur 12 semaines consécutives ; quota maximum de 150 heures supplémentaires par an ; pas de coupure quotidienne excédant 3 heures, 2 heures pour les temps partiels ; un jour et demi de repos consécutif obligatoire…). Le contrat de travail peut prévoir que le salarié travaille le dimanche, indique Alain Fallourd.
L’ouverture dominicale peut être imposée par l’aéroport ou la chambre de commerce et d’industrie.
Bonus de salaire pour
le personnel polyglotte
L’utilisation régulière au comptoir d’une langue étrangère donne droit à une bonification de 8 % sur le salaire minimum. Cette majoration est de 4 % par langue supplémentaire pratiquée (article 8 des dispositions générales de la convention collective de la pharmacie d’officine).
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