Y a-t-il un secouriste dans l’officine ?
Plaies, malaises, piqûres… Le public a pris l’habitude de pousser la porte de la pharmacie en cas de bobos, petits ou gros. Un réflexe tellement naturel que tout le monde a tendance à oublier ce service rendu à la population.
En France, seule 5 % environ de la population est formée au secourisme contre 20 % aux Etats-Unis. En atteignant ce même taux, incluant bien évidemment la formation de tous les professionnels de santé, 10 000 vies pourraient être sauvées chaque année dans l’Hexagone ! La rapidité mais aussi la qualité de l’intervention jouent. Dans notre pays, 3 % des personnes réanimées survivent sans séquelles contre 10 % aux Etats-Unis. autre chiffre, tout aussi interpellant, 96 % des Français (1) considèrent comme important de pouvoir bénéficier, en officine, de soins de première urgence. L’explosion de l’usine AZF, à Toulouse, a montré que les officines pouvaient même se transformer en véritables postes de secours avancés.
Aïssam Aimeur, pharmacien et moniteur de premiers secours, a choisi de quitter la répartition pour devenir sapeur-pompier professionnel. Pour lui, nul doute que « le pharmacien d’officine doit être un secouriste compétent et efficace ». A l’appui de ses convictions, une réalité : la région parisienne compte une trentaine de casernes de sapeurs-pompiers, avec un délai moyen d’intervention avoisinant les 10 minutes. En cas de véritable urgence, une minute, cela compte. « Les officines, véritables postes permanents de secours, sont là en première ligne avec leur croix verte facilement identifiable », poursuit-il.
Seulement voilà, aucune donnée nationale ne précise le nombre d’interventions des pharmaciens et leur nature, minimisant du coup cet engagement au quotidien. Pascal Casaurang, installé au Kremlin-Bicêtre (94), a tenté de le quantifier (2). Sur 349 interventions effectuées dans son officine sur une année (une intervention tous les deux jours en moyenne), il a noté que 65 % concernaient des urgences et des soins. Parmi ces 229 cas, 194 résultaient d’accidents sur la voie publique et se décomposaient ainsi : chutes (29 %), coupures (21 %), brûlures (12 %), plaies ouvertes (9 %), malaises (6 %), écrasement de doigts (5 %), accidents de la circulation (4 %), atteintes de l’oeil (3 %), entorses (3 %), coups (3 %), piqûres d’insectes à traiter rapidement (2,5 %) et enfin morsures animales (1,5 %). Une litanie de coups et blessures qui a le mérite de montrer toute l’étendue de la prise en charge à l’officine.
Pour Hervé Le Scoarnec, pharmacien vannetais (56), il faut savoir estimer le degré de gravité afin éventuellement d’appeler le médecin de quartier ou le SAMU, mais aussi intervenir en rassurant, conseillant et soignant. « En aucun cas je ne laisse repartir les gens sans avoir agi. » Christian Raffy exerce à la montagne, à Samoëns (74). Lors des périodes touristiques, la fréquence des demandes de conseils et de soins augmente. « Nous soignons foulures, entorses, coupures, insolations. Mais, suivant la gravité des traumatismes, nous renvoyons le patient vers le médecin pour une prise en charge plus complète : radiographie, points, plâtrage… Cependant, ajoute-t-il, l’accroissement de l’aspect administratif du métier diminue notre disponibilité et joue en défaveur du temps passé au conseil. »
Bernard Walter, installé au Bono (56), se souvient de ce jour où une personne est entrée dans son officine un tournevis planté dans le bras, avec une hémorragie importante. « J’ai fait une compression et, par chance, le livreur de l’OCP est arrivé qui nous a emmenés à l’hôpital d’Auray. » Jean-Louis Atard, titulaire à Gignac (34), a, lui, accueilli un homme au poignet transpercé par une chignole. « Tout en évitant de perdre du temps, il faut rassurer. » A l’arrière de son officine, une pièce confortable est disponible pour accueillir les patients victimes d’un malaise. Magali Alby, installée à Vielmur-sur-Agout (81), a elle aussi dû faire face à des situations difficiles. « Un jour, plusieurs personnes ont fait irruption. Une gamine de quatre ans hurlait, un chien venait de lui manger un doigt. Le sang coulait. Tout en appelant les secours, nous avons maintenu son bras en l’air et réalisé une compression. Nous sommes aux premières loges, il faut savoir réagir. » Une autre fois, une voisine l’a sollicitée pour un agneau, semble-t-il mort-né. « J’ai réalisé un massage cardiaque et une ventilation, ça a marché ! »
« Ce qui est satisfaisant, c’est la confiance de ces gens qui, pour la plupart, ne nous connaissent pas. Nous répondons bénévolement à un besoin réel », remarque Pascal Casaurang. Mais l’officine doit répondre à cette confiance du public. En général, tout se passe bien devant une coupure ou une simple brûlure, mais préparateurs et pharmaciens peuvent se trouver en difficulté devant une brûlure au deuxième degré, un malaise ou un état convulsif. Les bons vieux réflexes sont là mais, selon Bernard Walter, « une révision des connaissances paraîtrait logique, peut-être à l’occasion de rencontres régulières avec la Protection civile incluant un point sur l’organisation régionale des secours dont nous sommes censés faire partie ». Dans l’officine vannetaise de Philippe Granger, les demandes de soins se manifestent plusieurs fois par jour en été. Cela va de la simple coupure au traumatisme consécutif à une chute jusqu’au malaise vagal. Lui aussi considère que « ces services régulièrement rendus mériteraient une formation continue ».
« Nous avons l’impression que certains pharmaciens appellent facilement le SAMU sans forcément agir, mais téléphoner est déjà bien », remarque Philippe Bertrand, médecin urgentiste au SAMU 93. Cet appel reste cependant indispensable dans les cas graves et, en attendant l’arrivée des secours, l’équipe officinale doit savoir effectuer les gestes de survie, arrêter une hémorragie, mettre en position latérale de sécurité un sujet inconscient, faire un massage cardiaque, réactiver la respiration… « Une compétence d’autant plus indispensable que le pharmacien est un professionnel de santé et qu’une formation de trois heures permet déjà de réactualiser les connaissances. » Par ailleurs, le médecin du SAMU peut demander la coopération du pharmacien qui va alors trier les symptômes, interroger le sujet, noter le pouls, prendre la tension, éventuellement faire une lecture de glycémie capillaire…
Elaborer des protocoles de soins à l’officine
Eric Barillec exerce au Guilvinec, un port de pêche du Finistère. Il a décidé de prendre sa formation en main, en devenant notamment membre de la Société française de plaies et cicatrisations. « Nous avons affaire à une population très dure au mal. Les marins souffrent souvent de plaies et brûlures aux mains, de doigts écrasés ou arrivent avec un simple bout de chatterton recouvrant l’os dépulpé d’une phalange… » Quel que soit le cas, la victime va donc bénéficier de toute l’attention de l’équipe officinale au niveau des soins réalisables mais également sur le plan psychologique. « Comme dans le domaine des urgences vitales, la qualité des interventions accompagne l’évolution des connaissances. »
Certains veulent aller encore plus loin en essayant d’élaborer des protocoles de soins à l’officine. Dans certains cas, après un soin à la pharmacie, le patient arrive ensuite chez son médecin. Ce dernier peut se trouver devant une plaie « mal emballée », une coupure pleine de pommade ou un pansement rudimentaire. Outre le temps perdu à défaire, que va-t-il penser du préparateur ou du pharmacien ? Dans le cadre d’un travail d’équipe avec le SAMU 93, Jean Occulti, installé à Coubron (93), membre de l’équipe pédagogique du futur DU de secourisme (lire ci-dessous), réfléchit à la mise en place de protocoles (comme par exemple utiliser un désinfectant incolore type Dakin ou chlorhexidine, de préférence ne piquant pas, des compresses ne collant pas…) afin de « rechercher une homogénéité dans les différents types de soins compatibles avec le travail ultérieur des médecins ». Il préconise également qu’une trousse standard (3), régulièrement révisée, soit prête afin de répondre à toute urgence extérieure dans le secteur de l’officine.
(1) Sondage Sofres-Conseil central des pharmaciens d’officine, janvier 1995.
(2) « Les multiples assistances demandées en officine, analyse et évaluation », publié dans les Annales pharmaceutiques françaises, tome 56, n° 4, 1998.
(3) Gants de protection, compresses stériles non adhérentes, pansement américain, filets tubulaires, écharpe jetable, bande autoagrippante, tampon compressif, gels d’eau (type Aquagel), couverture de survie, ciseaux de sécurité, lampe de poche, masque, sucre en morceaux.
Des défibrillateurs dans les officines !
Selon Jacques Hascoët, médecin et sapeur-pompier à Paris, l’Observatoire national du secourisme et le ministère de la Santé discuteraient actuellement de l’opportunité d’installer des défibrillateurs semi-automatiques dans les officines. Une formation de quatre heures permet d’en maîtriser le fonctionnement.
Ainsi, peut-être, arriverons-nous à des résultats voisins de ceux des Etats-Unis où 40 % des gens survivent à un accident cardiaque, contre 15 à 18 % en région parisienne.
Comment être plus performant ?
Ouvrages
A défaut de pouvoir suivre dans l’immédiat une formation de secourisme, vous pouvez utilement vous appuyer sur quelques ouvrages de référence.
L’Urgence à l’officine, paru aux Editions Pro-Officina, a le grand avantage de s’adresser spécifiquement aux officinaux et de traiter aussi bien les grosses urgences que les petits bobos. La Croix-Rouge édite également Les Gestes qui sauvent.
Sur Internet, nous vous recommandons le site http://www.urgence.net.
Formations
Plusieurs formations de secourisme existent, notamment celles proposées par la Croix-Rouge (1) ou les sapeurs-pompiers. Mais pour ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances, un diplôme universitaire spécifique à l’officine est annoncé pour la rentrée 2002-2003. Créé à la faculté des sciences pharmaceutiques de Paris-Luxembourg, ce DU (2) s’intitule « Les situations d’urgence : de la prévention aux premiers secours ». Il est ouvert aux pharmaciens mais aussi aux préparateurs.
Selon le Dr Françoise Callais, responsable pédagogique, cette formation est basée sur des cas concrets rencontrés en officine. Au cours de treize journées réparties sur l’année universitaire, les pharmaciens vont adopter un comportement adéquat face aux situations critiques grâce en particulier à la présence de médecins urgentistes. Et conforter ainsi leur rôle d’éducateurs sanitaires une fois formés. Cette formation permettra également de conseiller à l’officine des trousses d’urgence adaptées aux différents risques.
(1) Croix-Rouge : tél. : 08 36 67 15 15 ; Internet : http://www.croixrouge.fr.
(2) Renseignements : Françoise Callais, tél. : 01 53 73 97 27. Courriel : francoise.callais@pharmacie.univ-paris5.fr. Inscriptions : département formation continue, tél. : 01 53 73 97 27.
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