Quelle casse si l’ OTC passe en grandes surfaces ?
L’avis de déremboursement de l’homéopathie formulé par la Haute Autorité de santé aura démontré qu’une simple éventualité à un moment donné peut se transformer en dure réalité. Et si l’ouverture partielle du monopole était l’une des prochaines échéances à affronter ? Plutôt que de jouer à (se) faire peur, la question est de savoir si l’officine aurait vraiment à en souffrir économiquement. C’est justement cette question dérangeante que nous avons posée à plusieurs experts.
La proposition de libéralisation encadrée du monopole de l’Autorité de la concurrence, dans son avis sur le secteur de la distribution du médicament présenté le 4 avril, a été froidement accueillie, mais, fort de l’épisode « homéopathie », il convient de rester sur ses gardes. Certes le scénario apparaît peu probable aujourd’hui. Même les associations de consommateurs, pourtant si promptes à tacler les pharmaciens et à critiquer leurs prix élastiques, inaccessibles et/ou illisibles, ne remettent pas en cause le monopole. « La vente de médicaments ne doit pas devenir un commerce comme un autre, qu’il s’agisse d’officine ou de vente en ligne, le rôle de conseil du pharmacien demeure fondamental », insiste l’association Familles rurales.
La levée du monopole officinal relèvera donc d’une volonté politique qui, jusqu’à maintenant, ne s’est pas exprimée en ce sens. Mais dans le domaine particulier du médicament d’automédication, « l’Etat français se distingue plus par un manque de courage politique en faisant un amalgame systématique entre l’efficacité d’un médicament et son remboursement », déplore Daphné Lecomte-Somaggio, déléguée générale de l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (Afipa). Elle estime que « la libéralisation du monopole s’accompagnerait d’une charge symbolique très lourde car la pharmacie ne serait plus positionnée comme la première étape du parcours de soins ». Or ce parcours de soins est l’un des garants du monopole. « Les médicaments d’automédication, en particulier les antalgiques, sont très souvent codispensés avec ceux prescrits sur l’ordonnance. Cette codispensation est une opportunité, voire une autoroute pour conserver le flux des médicaments d’automédication dans le circuit officinal », explique ainsi Nicolas Grélaud, directeur des opérations d’OpenHealth.
L’OTC n’est pas un levier de croissance
Sous un angle strictement commercial, la chute du monopole serait-elle un coup de massue porté aux finances des pharmacies ? Objectivement non. Le poids du médicament OTC (en vente libre) dans l’économie officinale est de plus en plus faible d’année en année, son chiffre d’affaires (CA) baissant régulièrement depuis 2015, en raison de freins structurels et culturels connus de longue date : habitudes des patients à recourir aux médicaments prescrits, concurrence croissante des produits dits de médecine naturelle, absence de politique publique en faveur de l’automédication, relistages, etc. Des obstacles qui risquent bien d’être renforcés par les recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) concernant les conditionnements des médicaments oraux solides dévoilées début mars 2018 : mise en exergue de la DCI et des conseils utiles, logo de la marque ou du laboratoire sans utilité pour le bon usage donc ne figurant pas sur la face principale du conditionnement, etc. De nouvelles « règles » venant elles-mêmes enrichir un autre document de l’agence sur les noms des médicaments adressé aux demandeurs et titulaires d’AMM un mois avant : l’utilisation d’une marque ombrelle pour plusieurs médicaments de prescription médicale facultative (PMF) ayant une composition en substance active différente et des indications thérapeutiques diverses ne peut être acceptée. « L’OTC n’émerge pas et est structurellement sous pression ; en cumul mobile annuel à fin avril 2019, le marché de l’OTC strict est à – 7,7 % en valeur (sorties officines, prix public TTC) et le marché global de l’automédication (incluant les médicaments de PMF remboursables non présentés au remboursement) évolue, lui, à – 5 % », confirme Vincent Bildstein, président d’Iqvia France. En 2018, la part du médicament OTC dans le CA moyen de l’officine ne représente plus que 5,7 % (source : groupement CGP).
Ailleurs, la pharmacie résiste
Sur la scène européenne, la France ne se distingue pas seulement par sa faible consommation d’automédication. Ayant fait jouer le principe de subsidiarité des Etats pour les questions relevant de l’organisation de la distribution du médicament au détail, elle reste l’un des derniers pays de l’Union européenne à préserver le monopole du médicament. Dans les Etats qui ont ouvert, partiellement ou totalement, la porte aux grandes et moyennes surfaces (GMS), les ventes de ces médicaments continuent de passer par le circuit officinal (80 à 85 %), et ce, en dépit de prix pratiqués 10 % à 13 % plus élevés que dans la grande distribution. Laquelle se voit imposer, pour des raisons de sécurité sanitaire, des restrictions ou conditions spécifiques de distribution des médicaments d’automédication (voir Repères p. 22).
Dans l’Hexagone, la concurrence n’est frontale que sur les segments hors monopole. Mais, exploitant ses atouts, l’officine française s’en sort avec la mention « très honorable ». Elle détient plus de 80 % du marché de la parapharmacie, loin devant les circuits des parapharmacies de GMS, des enseignes indépendantes et de la vente en ligne (source : Les Echos Etudes). L’officine reste, par ailleurs, le premier circuit de distribution sur le marché des compléments alimentaires, avec une part de marché en valeur de 51 %. Sur le marché de la dermocosmétique, elle parvient à prendre des parts de marché au circuit sélectif (parfumeries et grands magasins). Inspirante pour ses concurrents, la pharmacie ne doit surtout pas s’endormir sur ses lauriers. Après le désamour des Français pour les hypermarchés, les enseignes de la GMS, telles que Monoprix, Casino ou Intermarché se restructurent pour répondre aux besoins de proximité des Français. « Elles renouvellent ou tentent de renouveler leurs formats de magasins et peuvent donc directement concurrencer les officines sur le hors monopole (univers de la beauté, du bien-être, de la naturalité, des propositions pour seniors) et, probablement demain, sur l’automédication », prévient Hélène Charrondière, directrice du pôle pharmacie-santé des Echos Etudes.
Moins de 1 % du CA partirait en GMS
Fort de ces différents constats et des tendances observées, dans l’hypothèse d’une levée du monopole en France, la fuite en GMS pourrait être bien moins importante que les 20 % de son CA en parapharmacie qui ont atterri dans d’autres circuits. En cause les conditions restrictives qui seraient imposées aux distributeurs (espace délimité sous contrôle d’un pharmacien diplômé, etc.) mais aussi « des exclusions ou retraits possibles après coup de certaines molécules en raison des risques de mésusage », souligne-t-elle, citant l’exemple de la réintégration du paracétamol dans le monopole officinal en Suède. Même aux Pays-Bas et au Royaume-Uni où la libéralisation s’est faite sans restriction, l’officine n’a perdu « que » 13 % à 13,5 % des ventes de médicaments OTC.
Sur la base d’une perte plausible pour l’officine de 12 % à 15 % appliquée à un marché français du médicament de prescription médicale facultative non remboursable de 1,732 Md€ en prix public TTC, sur les 12 derniers mois à fin mars 2019 (source : données Sell Out, Gers), représentant 7,2 % du marché pharmaceutique total en valeur, « la pharmacie perdrait moins de 1 % de son chiffre d’affaires global », calcule Hélène Charrondière. Une perte plus symbolique qu’économique à l’échelle « macro » mais dont le retentissement au niveau microéconomique serait corrélé à la part de l’activité réalisée en automédication, laissant supposer que les officines de passage (15 % minimum en automédication) seraient les plus fragilisées.
À RETENIR
• Dans son avis du 4 avril, l’Autorité de la concurrence propose une libéralisation encadrée du monopole.
• Dans les Etats qui ont ouvert la porte aux GMS, 80 à 85 % des ventes d’OTC continuent de passer par le circuit officinal.
• En cas d’ouverture du monopole en France, moins de 1 % du CA partirait en GMS.
REPÈRES
LA LIBÉRALISATION DE LA DISTRIBUTION EN EUROPE DES MÉDICAMENTS D’AUTOMÉDICATION
Source : « Le marché et la distribution des médicaments d’automédication », Les Echos Etudes, septembre 2018. PAR FRANÇOIS POUZAUD
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