Quand les packagings nous emballent
Quelques grammes de carton, le plus souvent carrés ou rectangulaires, posés dans un tiroir ou sur une étagère. Rien de très révolutionnaire direz-vous. Et pourtant, loin de la miniaturisation et des puces électroniques, ces boîtes de médicaments qui font votre quotidien ont un don : elles parlent. Fruit de la réflexion commune d’un laboratoire pharmaceutique et d’une agence de design, elles déclinent leur message sur différents registres en cherchant le ton juste. De l’éthique au médicament familial en passant par les génériques, découvrez tous les ressorts d’une mise en boîte réussie.
La conception d’une boîte de médicament n’a que peu de chose à voir avec celle d’une boîte de lessive. « Non seulement les cibles sont multiples – il faut au moins s’adresser à deux cibles, le pharmacien et le patient dans le cas de l’OTC, voire trois, le médecin, le pharmacien et le patient pour les spécialités éthiques –, explique Véronique Liabeuf, directrice générale associée de l’agence Dragon Rouge, mais le conditionnement des médicaments doit toujours se placer dans une logique de problème/solution. Il doit donc raconter une histoire de bénéfice patient et de sécurité. »
Michèle Morot-Raquin, fondatrice de l’agence Bleu Absolu, confirme que toute la difficulté et la spécificité du packaging pharmaceutique tient au fait qu’« il faut garder au coeur de la démarche la cible ultime qu’est le patient sans pour autant négliger les relais (le médecin et le pharmacien) ».
Pas de couleurs interdites, mais des codes d’usage
Un discours qu’il faut tenir en se conformant aux règles imposées par les services réglementaires des laboratoires pharmaceutiques. Si la grammaire est stricte, et que certains interdits sont incontournables (pas de représentation de forme humaine, respect du nom déposé dans son intégralité, accompagné de son dosage le cas échéant), les impératifs sont autant de points de repère sur lesquels s’appuient les créatifs. Une sorte de solfège qui structure la composition. Pourtant, les registres ne sont pas cloisonnés et les répertoires variés. « C’est une balance », explique Frank Leroux, directeur du développement chez IG Design. « Le curseur ne se déplace pas en fonction du fait que l’on se trouve face à une spécialité éthique ou à une spécialité OTC, confirme Michèle Morot-Raquin. On ne peut pas dire que l’on se place sur une horizontale allant du plus austère au moins austère, précise-t-elle. Pour positionner le produit, on cherche l’état le plus performant entre l’image d’autorité (prescription) et l’image de bénéfice. » Selon véronique Liabeuf, « il y a une dizaine d’années, l’éthique se caractérisait par la blancheur des boîtes sur lesquelles figuraient le moins de signes possible. Plus on était sobre, plus on traduisait l’efficacité thérapeutique. Mais depuis ces cinq dernières années, la rupture entre les domaines est moins caricaturale et les packs se réchauffent ».
Un réchauffement qui passe, entre autres, par les couleurs utilisées. Dans ce domaine, contrairement aux idées reçues, il n’y a pas d’interdits fixés par les textes mais plutôt des codes d’usage en fonction des sensibilités. « Le violet est associé au deuil pour les Latins, souligne Frank Leroux, ce qui n’est pas le cas pour les Anglo-Saxons qui l’utilisent fréquemment. Il est également difficile d’utiliser le noir (sauf dans des cas d’identité forte comme Synthol) et le rouge. Le noir étant plutôt négatif et le rouge suggérant l’inflammation, la douleur. » « Il n’y a pas de couleur bannie, pour Michèle Morot-Raquin. Mais il y a des mariages heureux ou malheureux entre pathologie et couleur. »
« La boîte doit émettre des signaux pour que le patient y pense »
« Le packaging a toujours été le parent pauvre de l’éthique, déclare Véronique Liabeuf. Mais le mouvement est en train de changer. » Il faut dire que même si l’officine est un circuit de distribution à part, il n’en subit pas moins l’influence de l’air du temps. « Si la pharmacie ne se situe pas dans la mouvance des phénomènes de mode, elle n’est pas étrangère aux tendances. C’est indirectement qu’elle en subit l’influence, à travers l’oeil du consommateur, à travers son goût, tous deux formés par les codes extérieurs qui forgent les repères d’une échelle de nouveauté », constate Michèle Morot-Raquin.
Penser que le produit éthique échappe au jeu de la concurrence serait aussi une erreur. « L’éthique est un domaine très concurrentiel. Imaginez l’importance que peut avoir un visuel de marque fort pour un spécialiste qui a le choix entre une centaine de produits équivalents pour une pathologie donnée », commente Véronique Liabeuf. Enfin, « un laboratoire aura beau clamer l’efficacité de son produit, si l’observance n’est pas au rendez-vous c’est l’échec puisqu’il y a désaffection du produit », ajoute la directrice de Dragon Rouge. La boîte de médicament « éthique » se doit donc non seulement de véhiculer un message d’efficacité, de bénéfice et de sécurité, mais aussi d’être le support de l’observance. « Grossièrement, on peut dire que la boîte doit émettre des signaux pour que le patient y pense », explique Véronique Liabeuf. C’est le principe de proximité.
Cette évolution du packaging « éthique » est visible dans l’exemple de la campagne Seretide menée par IG Design. Le pack transmet l’information essentielle pour gagner sur l’effet sécurité (dosage exprimé en grand et souligné par le logo qui pointe vers lui, associé à une couleur variable en fonction de sa force et présent sur le dessus de la boîte et les côtés). L’innovation est traduite par la présence de la forme galénique (le Diskus) sur la boîte. Enfin, le choix des couleurs (dans un registre proche de celui du médicament familial : bleu-vert, orange, rose soutenu) crée un capital de sympathie et symbolise la diffusion par son aspect progressif.
Attention à la course à la couleur et au clinquant !
Bien que l’éthique emprunte, par certains aspects, la logique de la médication familiale, le développement du marché OTC constitue un bouleversement pour le packaging pharmaceutique. Toute la problématique tient au fait qu’en France l’OTC (littéralement over-the-counter, « au-delà du comptoir », « en accès libre ») n’existe pas. Le pharmacien dispose en fait d’un arsenal thérapeutique accessible au patient sans ordonnance que la loi lui impose de conserver hors de sa portée. Le challenge pour le laboratoire : faire en sorte que son produit soit vu, reconnu et choisi.
« Dans la médication familiale la cible prioritaire devient le patient. Toutes les marques cherchent donc une visibilité maximale pour solliciter son oeil, explique Véronique Liabeuf. On entre dans une logique grand public où l’on ne cherche qu’à développer des codes de reconnaissance visuelle. L’objectif est d’obtenir un impact maximal tout en restant dans des codes sérieux. Le discours des spécialités OTC passe par plus d’image et plus de symbolique. La boîte montre l’efficacité du produit avant tout. Il faut rassurer le malade en lui disant que l’on va agir ; c’est l’objectif visé lorsque, par exemple, l’on fait figurer un dégradé de couleur sur la boîte. Le patient sait qu’il va acheter un médicament, mais c’est un acte dédramatisé dans la mesure où les maux traités sont sans gravité. »
Les linéaires de médication familiale sont donc très colorés avec des marques qui gagnent en puissance. Des atouts dont l’effet n’est pas forcément garanti puisque « la configuration d’un rayon OTC n’est jamais la même d’une officine à l’autre, contrairement à ce qui se passe en « food » », constate la directrice de Dragon Rouge. « L’OTC est un marché qui subit des transformations assez fréquentes, souligne Michèle Morot-Raquin. Si l’un des acteurs bouge, les autres ont tendance à suivre. »
Ce constat signifierait-il que la tendance imprimée par les Anglo-Saxons (voir encadré page 20) donnera le la aux futurs packagings de médication familiale ? Pas forcément. Mouvement n’est pas synonyme de surenchère. La course à la couleur et au clinquant pourrait conduire à un effet assourdissant contraire à celui recherché. « Parfois il est plus intéressant d’essayer de calmer le jeu, le contraste se joue dans les deux sens », constate la fondatrice de Bleu Absolu.
Génériques : comment être différent sans l’être vraiment
L’éthique bouge, l’OTC bouillonne. Et les génériques dans tout cela ? Révolutionnent-ils le jeu, bousculent-ils les règles ? Malgré leurs spécificités et selon les avis autorisés des spécialistes du design, les packagings des génériques ne constituent pas un tournant dans la brève histoire de l’emballage pharmaceutique. Certains produits éthiques avaient déjà apporté des « plus » pratiques. La véritable évolution, selon Michèle Morot-Raquin, tient au fait que l’« on assiste à une prise en compte plus systématique des besoins de l’officinal ». Véronique Liabeuf ajoute également qu’à travers la boîte du générique « il faut communiquer qu’on n’est pas en train de vendre un « sous-médicament ». C’est tout un travail de réassurance sur le niveau de qualité, sur la fiabilité de délivrance pour le pharmacien, sur la fiabilité de reconnaissance pour le patient ». D’où une mise en avant du nom du laboratoire (qualité), des dosages (sécurité), un choix de couleurs rappelant celui des princeps et permettant une différenciation immédiate, voire la présence de la photo de la forme galénique présente dans la boîte (« un retour au fondamental du médicament », commente la directrice de Dragon Rouge).
La plupart des génériqueurs ont suivi cette voie ; le dernier en date étant Ratiopharm. « Nous avons réalisé une enquête de satisfaction auprès des pharmaciens, explique Sabine Hoelzl, chef de groupe. Les commentaires montraient que nos produits étaient jugés comme « cheap », bref, qu’ils ne véhiculaient pas une image de qualité. Au niveau des patients, nous avons constaté des difficultés d’observance et, par conséquent, un frein à la substitution. Face à de tels résultats, nous avons interrogé les pharmaciens sur leurs attentes concernant la substitution. Ils nous ont répondu qu’ils souhaitaient un produit avec une bonne image, une lisibilité rapide des dosages, une identification parfaite, une similitude avec la spécialité de référence au niveau de la couleur. Ils nous ont également confié qu’ils avaient besoin d’éviter tout risque de confusion, de s’assurer d’une bonne observance et de se sentir rassurés dans l’acte de substitution. »
Clarté, observance, réassurance ont donc été les trois piliers sur lesquels s’est appuyé le travail de renouvellement du packaging concrétisé par IG Design. Une remise en question qui est allée jusqu’à modifier, pour la première fois dans l’histoire de Ratiopharm, la charte graphique du laboratoire.
Opération lifting
« Modifier dans la continuité. » C’est ainsi que Michèle Morot-Raquin résume l’exercice qui consiste à rajeunir une marque ancienne. « Un produit a une histoire, il doit évoluer sans rupture. » Pour Frank Leroux, le but du jeu est de « trouver dans la personnalité du produit les éléments porteurs et les éléments détracteurs » de façon à redynamiser la marque.
Pour Nausicalm des laboratoires Brothier, Bleu Absolu a consenti une rupture relative. « Nous sommes passés d’un packaging très blanc, très mutique, où la forme galénique était mise en avant (principe désormais largement associé aux génériques) – et qui disait, grossièrement : « Nausicalm c’est des gélules » ou « c’est un sirop » -, à un packaging plus stylisé, plus symbolique. L’image du niveau est là pour faire écho au nom du produit et à son effet. La typographie renforce la perception du sens du nom du produit. La couleur mer du Sud suscite, elle aussi, la stabilité par opposition à l’océan déchaîné. C’est également une couleur associée aux vacances et au voyage et peu utilisée en pharmacie. » Résultat : « Le produit ressort, constate Bénédicte Noury, responsable produit aux laboratoires Brothier. Il ressort dans l’offre conseil et il ressort des tiroirs des pharmacies. L’objectif est atteint. »
Un objectif de poids à en croire Véronique Liabeuf, qui affirme qu’« une marque qu’on ne voit pas sur un linéaire est considérée comme une marque qui a peur », et qui, par conséquent, ne peut évoquer aucun capital confiance.
Mais l’exercice ne se fait pas toujours dans la nuance et certains laboratoires optent pour des changements plus radicaux. « Le choix du laboratoire était de remettre la marque dans l’actualité en lançant de nouvelles formes galéniques et une nouvelle image, commente Véronique Liabeuf en faisant référence au nouveau packaging de la Jouvence de l’abbé Soury. Avec la Jouvence, on est sur un produit qui draine une notion de secret, d’élixir. Le gel et le roll’on sont destinés à une cible plus jeune. C’est un « produit de toujours » dans une forme actualisée pour les femmes d’aujourd’hui. Nous avons donc choisi de faire référence à la tradition en mettant en avant la lettrine de la Jouvence et le texte écrit en fond (c’est une référence à la transmission du savoir). La couleur (un bleu-vert), féminine, place le produit sur le registre de la santé et du bien-être. Le papillon, quant à lui, symbolise la légèreté. Enfin, le choix de la transparence pour le roll’on tient sur la volonté de mettre en avant une forme révolutionnaire et la notion de plaisir. L’Abbé à disparu mais les codes de la marque sont toujours là (le nom, la crème, le vert et le rouge). »
Ce changement illustre toute la difficulté qu’ont les laboratoires à pérenniser un produit ancien en le transférant sur une cible jeune. Une problématique qui trouve parfois une solution dans une rupture apparente, seule issue pour rallier des cibles diamétralement opposées. Après tout, « quand vous lancez des nouveautés, il faut que ça se voie », justifie Véronique Liabeuf.
Un cas à part
Dans le domaine de l’OTC, les Anglo-Saxons ont déjà franchi un pas de plus que nous, celui de la porte des GMS (grandes et moyennes surfaces). Une étape tout entière représentée dans la boîte de Nurofen. « Avec Nurofen nous sommes dans une stratégie « lessivière », résume Michèle Morot-Raquin. Le packaging se doit d’être visible pour que le patient le repère à l’officine après l’avoir vu à la télévision. » Nurofen, ce sont les attributs de l’OTC poussés au maximum. « Nurofen incarne une stratégie de différentiation très forte, souligne Véronique Liabeuf. La marque figure « plein pot » sur le paquet, l’usage de l’argent et le choix typographique traduisent l’hypertechnologie d’une nouvelle génération de molécules qui vient bouleverser le marché de l’antalgie. Nurofen casse les codes de l’antalgie et donc il casse les codes du linéaire dans lequel il prend place. Il joue sur un visuel clé très présent et osé (la boule rouge), à la fois symbolique de marque et d’action du produit. » En clair, tout est là pour nous dire : « Je suis nouveau, high-tech et je lutte contre la douleur. »
Une stratégie efficace ? « Oui, répond Frank Leroux, parce que différente et en rupture totale avec les codes habituels. En plus ça fonctionne, c’est donc un bon design. » Faute de goût répondent certains. Pourtant Michèle Morot-Raquin rassure : s’il y a une cohérence entre la pathologie visée et les couleurs utilisées, « on pardonne le mauvais choix ». Alors préparez vos yeux !
Augmentin monte en flèche
« Ce qui frappe lorsque l’on regarde l’ancien packaging d’Augmentin c’est, entre autres, l’orientation de la flèche placée dans le A, commente Frank Leroux chez IG Design. Si le double trait symbolise l’association des deux molécules (l’amoxicilline et l’acide clavulanique), la tête de la flèche pointe vers le bas et donne une connotation négative au produit. Nous avons donc inversé son sens. De plus, afin de la faire ressortir, nous avons opté pour un cartouche invariable dans lequel le nom du médicament figure en blanc. Ainsi la couleur qui anime la flèche est plus visible, mettant en avant les notions d’efficacité et de rapidité d’action du produit, notions également visualisées par le flash qui éclaire le fond bleu de la boîte. »
Pour plus de clarté et de sécurité encore, l’équipe d’IG Design a conçu un code couleur spécifique pour chaque type de patient (nourrisson, enfant, adulte). Ce bandeau est placé dans la partie droite du facing, espace réservé au descriptif du produit dans lequel figurent également la photo de la forme galénique du produit (reflet exact de celle qui est présente dans la boîte ) et le rappel de la posologie. Toutes ces informations sont reprises sur un côté afin de faciliter leur accessibilité quel que soit le mode de stockage adopté par l’officine. Pratique, sûr, efficace, les critères de l’éthique sont réunis sur quelques centimètres carrés.
Les étapes d’une mue
Briefing
– Le laboratoire pharmaceutique rencontre le laboratoire d’idées (agence de design) afin de lui expliquer sa démarche. Il fixe le cahier des charges sur les aspects réglementaires, industriels et techniques. De son côté l’agence définit les modalités de réalisation, le calendrier, les prix.
Conception/création
– Un certain nombre de projets (entre 5 et 7) sont appliqués sur le facing des boîtes de médicament et sont présentés.
– Le laboratoire retient un ou deux projets.
– Selon le choix du laboratoire, les éléments sélectionnés sont testés ou non sur des médecins, des pharmaciens ou des patients.
– La forme finale est présentée à l’échelle réelle (prototype de la boîte complète).
Exécution
– Le packaging débute sa vie sur les lignes de production et sur les linéaires. Un parcours qui peut prendre entre six et douze mois en fonction de l’ampleur de la tâche (produit isolé ou gamme) et dont le coût représente assurément un budget considérable mais difficile à évoquer et à révéler, à en croire le silence des acteurs concernés.
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