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Prix cassés, médicament épinglé

Publié le 24 novembre 2001
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Les excès ne sont jamais bons. Libres, les prix sur le médicament familial font parfois le grand écart d’une pharmacie à l’autre. Si cela fait sourire la DGCCRF, le marché, lui, fait la grimace. Certes, la concurrence doit jouer entre les officines mais elle doit trouver un juste milieu. Ebauche de solutions.

Le marché de la médication familiale reste toujours aux portes de la croissance. Malgré l’armada de moyens mise en oeuvre pour le faire décoller, rien n’y fait. Les causes du mal sont identifiées depuis longtemps. Parmi les principales, figure la possibilité laissée au consommateur de choisir entre, d’une part, un médicament remboursable librement vendu ou prescrit, et, d’autre part, un autre non remboursable et plus cher. Une situation qui s’éternise mais qui n’est pas restée sans effet auprès d’une partie de la profession.

Comparatif IMS HealthRelevés de prix pratiqués sur les marques leaders dans dix grandes familles de pathologie.

Des pharmaciens ont pris l’habitude de faire jouer la concurrence sur ces produits achetés sans ordonnance. Résultat : les prix sur le médicament familial font parfois le grand écart selon les officines sans pour autant ébranler d’un pouce sa position sur le marché.

Les relevés de prix effectués en septembre dernier par la société IMS Health sur trois marques leaders dans dix marchés de la médication familiale (voir ci-dessous) témoignent de la réalité de cette liberté des prix et de l’existence d’une concurrence active. Mais celle-ci n’est pas du goût de tout le monde.

Lydia Boucher, consultante, reproche le manque de cohérence des prix entre les officines et, par voie de conséquence, les différentiels de prix, parfois exagérés, pour un même produit d’une pharmacie à l’autre. En fait, elle montre du doigt davantage les prix bas que les prix élevés qui doivent, néanmoins, rester dans des écarts raisonnables avec leurs homologues remboursables.

Des effets dévastateurs sur l’image du médicament familial

« En bradant les prix, le pharmacien fait du médicament familial un produit de consommation courante et donne involontairement plus de crédibilité à des grands distributeurs comme Leclerc dont l’objectif avoué est de faire sortir du monopole pharmaceutique les médicaments du petit risque. » En dehors de cette menace concurrentielle, c’est l’image même du médicament familial qui est ternie. « Les Français ont d’ordinaire deux pharmacies, fait remarquer Lydia Boucher. L’une près de leur lieu de travail, située dans un environnement commercial, l’autre près de chez eux, avec un profil de pharmacie de quartier, donc moins soumise à la pression sur les prix. Peu importe de savoir qui vend le moins cher, les disparités de prix constatées entre ces deux officines vont porter préjudice à la fois à l’une et à l’autre, à toute la corporation des pharmaciens et à la médication familiale. »

Un avis partagé par certains industriels. « Ces disparités donnent au consommateur le sentiment que le pharmacien se met de l’argent plein les poches », souligne Eric François, directeur marketing OTC France chez Sanofi-Synthélabo.

Lydia Boucher lance à la profession une mise en garde : « Attention de ne pas commettre les mêmes erreurs que la parfumerie sélective ! Les baisses de prix exagérées pratiquées par certains distributeurs ont fait perdre aux produits de luxe leurs lettres de noblesse et ont entaché leur carte de visite à l’export. Ce circuit en est maintenant revenu. Casser les prix, c’est le meilleur moyen pour détruire l’image de sérieux de la médication familiale ! »

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Joëlle Hermouet, de Formaplus, ne voit pas non plus l’intérêt de brader les prix sur ce « marché à forte marge, non extensible et protégé par un monopole ». Autant, sur la parapharmacie, elle estime que la concurrence oblige l’officine à baisser ses marges pour maintenir un niveau de ventes satisfaisant, autant, sur la médication familiale, elle voit en cette politique de baisse systématique une incohérence : « Pour les pharmacies qui vendent réellement de la parapharmacie, les marges dépassent rarement 35 % en moyenne. Seuls les médicaments de vente libre, non remboursables, offrent à l’officine la possibilité de développer une bonne rentabilité. Avec des marges moyennes supérieures à 40 %, ces produits pèsent plus de 12 % de la marge globale des officines. »

Pour Lydia Boucher, un écart de prix de 5 à 8 % ne constitue pas une différence significative et perceptible par le client. « Le consommateur commencera à tiquer et aura le sentiment d’avoir été volé à partir d’un prix 15 % à 20 % plus cher. »

Autre son de cloche, bien différent : celui de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. La DGCCRF reproche, au contraire, une trop grande identité des prix pratiqués entre officines, résultat de l’application de façon mécanique de coefficients multiplicateurs dont l’origine est antérieure à l’ordonnance de 1986 sur la liberté des prix. Selon elle, les médicaments remboursables dans leur ensemble restent une « zone de libre concurrence insuffisamment exploitée ».

Répercuter les remises sur le prix public… à bon escient

Du fait des prix bas des médicaments vignetés de vente libre, certains pharmaciens sont tentés de répercuter l’intégralité des remises obtenues sur les produits d’automédication non remboursables dans leurs prix de vente, pensant qu’ils inciteront davantage le consommateur à l’achat. Fâcheuse méprise. « Une baisse de prix sur les médicaments grand public n’entraîne pas d’augmentation systématique de la demande, constate Joëlle Hermouet. Le seul effet possible, c’est un transfert de l’achat de ce médicament d’une pharmacie à une autre. »

Autre différence fondamentale avec le marché de la parapharmacie : en médication familiale, le pharmacien agit dans le domaine de l’achat obligatoire, pour des raisons de santé, et non de l’achat plaisir qui, lui, justifie de « travailler une politique de prix pour fidéliser et donner à l’officine une image de prix attractifs ».

Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas « faire des prix », mais qu’il faut agir avec clairvoyance et discernement. Joëlle Hermouet fait ainsi un distinguo entre les « médicaments grand public » et les « médicaments conseil ». « Cette dernière catégorie de produits, étant moins connue du consommateur, fait peu l’objet de comparaisons, un prix plus élevé n’aura donc pas de conséquences préjudiciables. Cependant, il faut faire attention au prix de certains d’entre eux qui font souvent partie d’un conseil associé, afin que le coût de la solution, qui recouvre une proposition de deux ou trois médicaments, reste dans une zone raisonnable, par exemple moins de 15 euros. » Sur les produits grand public, Joëlle Hermouet invite à répercuter de façon partielle les remises des laboratoires. Par exemple, « les antalgiques courants sont, à la base, des médicaments peu onéreux, la rétrocession des remises au client ne devra pas dépasser 10 %. En revanche, sur d’autres classes, telles que les produits pour la forme et la vitalité (vitamine C, multivitamines, toniques), il en sera tout autrement. Sur ces produits, une baisse de prix entraîne une augmentation de la demande et, inversement, une hausse génère une chute », constate la responsable de Formaplus, soulignant que la pharmacie n’a plus le monopole sur ce marché du « mieux-être ». Mais il faut savoir que, sur la vitamine C, « lorsque le pharmacien répercute 25 % de remises, il doit vendre 33 % de produits en plus pour conserver la même marge en francs ». Autre classe concernée par cet effet de levier : les substituts nicotiniques, dans la mesure où il s’agit de traitements de longue durée pour lesquels la notion de coût global intervient. Dans les deux cas, « il est possible de répercuter plus largement les remises et de baisser les prix, tout en maintenant la marge antérieure en valeur absolue sur ces produits ».

La DGCCRF encourage les groupements

Patrick Block, président de l’AFIPA (Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable) renchérit encore : « Il ne faut pas perdre de vue que les consommateurs sont des gens raisonnables. Les prix des médicaments de vente libre et non remboursables sont guidés par ceux de leurs équivalents avec vignette. Par conséquent, le juste prix est celui qui incite le consommateur à substituer la visite chez le médecin par un conseil pharmaceutique. Les remises consenties sur le médicament familial sont excessives et n’ont de sens que si les consommateurs en retrouvent une certaine partie. »

Sur ce problème, « certains groupements et organismes professionnels essayent de travailler avec les laboratoires pour les inciter à travailler leurs tarifs de façon plus juste et éviter ainsi les remises galopantes », signale Joëlle Hermouet. Car « de gros écarts de remises, générant des écarts de prix trop importants entre officines, discréditent fortement la profession ».

Pour d’autres raisons, la DGCCRF, dans son numéro des Actualités de juillet-août 2001, invite les officinaux à engager une vraie politique de prix sur ce type de produits, en arrêtant de croire que les règles de déontologie professionnelle constituent une interdiction de se faire concurrence. Elle préconise des « politiques d’achat et de prix plus dynamiques » et rappelle qu’en ce domaine les groupements de pharmaciens en sont les meilleurs vecteurs, à condition bien sûr que leurs adhérents répercutent les avantages obtenus aux consommateurs.

La DGCCRF souligne aussi que les laboratoires peuvent également apporter leur contribution : « Rien ne leur interdit de définir des prix maxima conseillés inférieurs à ceux résultant de l’application des coefficients multiplicateurs traditionnels. » De plus, toujours selon la DGCCRF, par la diffusion préalable au public d’informations sur les prix, ils peuvent influencer à la baisse les prix des produits non remboursables.

Pour parvenir au juste prix, les pharmaciens doivent aussi cesser d’appliquer des coefficients multiplicateurs uniformes (1,66 pour les produits à TVA 5,5 %), car ils ne tiennent pas compte du prix d’achat réel négocié, ni des prix du marché. Cette pratique est directement responsable des fluctuations des prix pour un même produit au sein d’une même officine s’il est ponctuellement acheté chez le grossiste-répartiteur à des conditions moins avantageuses. L’effet est des plus désastreux pour la pharmacie en question, selon Joëlle Hermouet.

Une information aux consommateurs très lacunaire

Fustigeant à nouveau la cacophonie des prix, mais sans pour autant prôner un système d’entente qui serait contraire au droit de la concurrence, Lydia Boucher, trouve « qu’une concertation entre laboratoires pharmaceutiques et pharmaciens d’officine est un élément nécessaire à une politique de prix cohérente en médication familiale ». Localement, cette concertation pourrait également avoir lieu entre officines d’une même zone de chalandise qui afficheraient ainsi des prix équivalents. « Plus facile à dire qu’à faire, estime Pierre Perichon, directeur marketing de la division Santé Grand Public de GSK : Dans une économie qui se veut libérale, il paraît difficile de trouver une harmonie sur les prix sans tomber dans des pratiques interdites d’entente. »

De surcroît, le marché ne se prête guère à une politique raisonnée des remises. « Plus celui-ci est tendu, plus les acteurs adoptent des comportements opportunistes et des stratégies de prix cassés pour reprendre des parts de marché à leurs concurrents, explique Eric François. Seule la croissance peut mettre fin à l’escalade des remises. » Cet industriel croit dans un reversement de tendance qui serait, sur ce plan, salutaire : « Les déremboursements de médicaments semi-éthiques vont relancer de manière artificielle la croissance du marché tandis que les médecins, en continuant à les prescrire, deviendront de véritables acteurs du développement de la médication familiale, contribueront à la soutenir. Les comportements pourront alors s’assainir et les industriels seront en mesure de proposer des tarifs plus ajustés couplés à des remises raisonnables, ne dépassant pas 30 %. »

Enfin, tout le monde s’accorde à dire que le médicament familial est un secteur où l’information sur les prix devrait être sensiblement améliorée. Patrick Block voit dans l’affichage systématique des prix un moyen d’arrêter « les abus et les dérives de prix inacceptables entre officines ».

Plus prosaïquement, la DGCCRF rappelle que l’information du consommateur sur les prix est obligatoire, condition essentielle du jeu de la concurrence, et qu’en pharmacie, le bât blesse terriblement : « Le consommateur est encore trop peu informé sur le niveau des prix des médicaments. Ceux-ci ne sont pas à portée de vue et l’affichage des prix reste très lacunaire, quand il existe… »

Quelques prix psychologiques

Le consommateur n’est pas prêt à payer n’importe quel prix, même pour un produit de médication familiale ! Selon Joëlle Hermouet, il ne faut pas dépasser 6 euros (39 F) pour un sirop contre la toux, 5,3 euros (35 F) pour des pastilles pour la gorge, 3,9 euros (26 F) pour la vitamine C, 12 euros (79 F) pour un antiasthénique, 3 euros (20 F) pour un antalgique à base d’ibuprofène…

Conseils : Affichage des prix

Les conseils de Joëlle Hermouet (Formaplus)

1° Afficher les prix des produits de médication familiale à l’arrière des comptoirs (médicament grand public) de façon à ce qu’ils soient lisibles par le consommateur.

-> Le fait d’afficher les prix rassure le client et le met en confiance, d’où une augmentation de la demande.

-> De plus, se sentant en confiance, il achètera plus facilement des produits dont il connaît moins les prix (par exemple un produit conseil).

2° Pas plus de trois étiquettes de prix par étagère de 70 cm.

3° La bande de linéaire peut comporter deux informations : le prix et la fonction du produit (sans indication du nom de la référence).

4° Pour être lisibles depuis les comptoirs (1 m de recul), les caractères doivent être d’au moins 1,5 cm de haut.

5° Il est important d’harmoniser toute l’information sur les prix sur l’ensemble du rayon (typographie, supports, couleur) pour avoir un rendu clair et attractif.

6° Pour les prix affichés en euros à l’arrière des comptoirs, il est préférable d’arrondir par tranche de 5 cents (0,05 euro) pour des raisons de clarté et de lisibilité. Jusqu’au 1er janvier 2002 : prix en euros et en francs de même dimension. Après le 1er janvier 2002 : prix en euros dominant et prix en francs en petit.

Bordeaux : Une tentative sans conviction

A Bordeaux, où la politique de prix agressive sur le médicament familial n’est pas de mise, Eric Turcat a pourtant décidé de tenter sa chance. « J’ai repris cette officine il y a trois mois et au moment où je suis arrivé les prix étaient très élevés, détaille-t-il. Je me bats sur quelques produits phares, comme la vitamine C, les bains de bouche, l’ibuprofène et le citrate de bétaïne. Je fais par exemple le grand modèle Hextril à 29 francs et la vitamine C Upsa en deux tubes à croquer à 27 francs. C’est une petite officine et je ne me bats que sur une poignée de produits. Mon objectif étant de fidéliser l’importante clientèle de passage du quartier. »

L’officine est située en effet dans un quartier à la population âgée mais très actif dans la journée, grâce à l’implantation de nombreux bureaux. Eric Turcat précise cependant qu’il n’a plus le temps de faire des relevés de prix chez les concurrents et estime toutefois que certains officinaux cassent un peu trop les prix et décrédibilisent ainsi les marques…

J.-P.D.

Lu dans la presse : « Que choisir ? » appuie là où ça fait mal

Ces écarts de prix ne laissent pas de marbre les associations de consommateurs. En février dernier, Que choisir ?, revue de l’Union fédérale des consommateurs (UFC), en a fait ses choux gras en publiant les résultats d’une enquête menée auprès de 1 007 pharmacies de Paris et de province. Son objectif : connaître avec précision l’ampleur de ces variations sur sept médicaments de référence sans vignette (Nicopatch, Dolirhume, Rhinathiol, Nurofen 200, Aspégic 1000, Maalox, Mucivital). Par ailleurs, cette revue s’est livrée au jeu des comparaisons avec des officines proches les unes des autres dans cinq quartiers différents de la capitale. Les différences non négligeables relevées à Paris méritent bien de faire le détour… par la moins chère. Près de 200 francs d’écart pour le Nicopatch, 15 francs pour le Mucivital ou encore 14,90 francs pour le Dolirhume. Au vu des résultats, Que choisir ? titrait dans son numéro de février 2001, à propos de la politique des prix des officinaux : « Sans vignette et sans limite ». D’après ses relevés, les plus grandes variations concernent le Nicopatch (107 %) et le Dolirhume (105 %). Concernant le substitut nicotinique, l’écart représente une économie possible de 298 francs pour quatre semaines de traitement. La revue souligne, on s’en serait douté, que les médicaments équivalents avec vignette (même principe actif, même dosage) sont dans tous les cas nettement moins chers.

Arras : « Des prix de marché » en permanence

Depuis novembre 2000, Christine Couvez, titulaire de la pharmacie de la Gare à Arras, propose « des médicaments familiaux à des prix de marché », comme elle l’explique, et elle le fait savoir en vitrine ! « C’est-à-dire à des prix auxquels le patient peut s’attendre, et non aux prix de marché du pharmacien. Je fais tout légalement, dans les règles de l’art : pas de vente à perte, mais une marge adaptée aux possibilités de la pharmacie, une exposition en vitrine, seul moyen de promotion autorisé. Les pharmaciens sont des commerçants avec une éthique… »

Son initiative n’est pas restée sans réaction : déplacement de confrères pour « la ramener à la raison », interventions auprès des syndicats, du Conseil de l’Ordre, rien n’y a fait. « C’est que les prix sont libres », explique-t-on de toutes parts, « nous ne pouvons rien faire ». Conséquence : « Tout le monde a râlé un peu, mais ça s’est tassé », explique ainsi Jeanne-Marie d’Herbommez, installée à proximité. « On a essayé de suivre, mais c’est impossible. Maintenant, on la laisse faire », ajoute Béatrice Demailly. Arras a retrouvé son calme, même si la grogne perdure en sourdine. Seule quasi-certitude, rappelée dans ce type d’occasion : « On est trop nombreux ! » Et sur ce point, le médicament familial n’y changera rien.

J.-L.D.

Montpellier et nîmes : « Prix bas permanents »

A Montpellier, « surdiscountée » en parapharmacie depuis 20 ans, le médicament familial n’a pas échappé à la guerre des prix. Mais celle-ci a été moins violente et moins largement partagée.

Les temps changent à Montpellier. L’heure est toujours aux prix bas, mais le climat s’est détendu. « Sur le médicament familial, nous ne sommes plus qu’à un ou deux points de marge de moins que la moyenne nationale », se félicite Jean-Claude Baniol, président du syndicat de l’Hérault. Des écarts de prix importants perdurent cependant. Et ce même en centre-ville où un substitut nicotinique, par exemple, se vend 35 % moins cher à la pharmacie du Polygone ou de la Comédie que dans une petite officine proche. Le titulaire de celle-ci explique : « Moi, je vends du conseil et je le fais payer. J’applique un coefficient de 1,8 pour la para et jusqu’à 3 pour le reste. »

A Nîmes, l’une des villes de France où les prix sont les plus bas, la hache de guerre des prix a été déterrée plus tardivement qu’à Montpellier. Tout a véritablement commencé en 1994, année d’ouverture de la pharmacie de l’Horloge qui, d’entrée, affiche des prix au plus bas sur la para. Dans la foulée, le médicament familial, lui aussi, s’oriente à la baisse. Surtout à partir de 1995 et du rachat de la pharmacie de la Croix bleue qui s’engage également dans une politique commerciale des plus agressives. « Nous ne faisons pas du médicament familial notre cheval de bataille, assure René Bramont, gestionnaire de la pharmacie de l’Horloge. Nous sommes suffisamment en discount sur la para pour être obligés de conserver une marge décente sur le médicament familial, de l’ordre de 45 %. » Actionnaire de cette SEL qui emploie actuellement 40 personnes – dont huit pharmaciens – et réalise le plus gros CA de la ville, René Bramont est titulaire d’une autre officine nîmoise, tout comme son épouse. Il est également actionnaire d’une autre SEL à Perpignan, la pharmacie de la Loge, et n’a donc aucune difficulté à obtenir des laboratoires les meilleures conditions. Titulaire de la deuxième plus importante pharmacie de Nîmes (37 MF de CA en 2000), Christian Gerbaud pratique lui aussi les prix les plus bas. « J’ai créé mon image sur les prix bas en para, car je pense qu’il faut être au prix du marché sur tout ce qui est attaqué par d’autres circuits de distribution. Par contre, je n’y étais pas favorable pour le médicament familial : se battre entre confrères sur la Solutricine, c’est nul. » F.C.

Paroles de clients… infidèles

A Montpellier et à Nîmes, sur dix personnes interrogées à leur sortie d’une officine de centre-ville, cinq ont constaté des différences de prix sur un même produit de médication familiale. Huit sur dix affirment être fidèles à leur pharmacien pour le remboursable. Mais neuf sur dix reconnaissent aller au moins cher pour le reste. Seule Andrée, 71 ans, affiche une fidélité sans faille, « car il faut défendre les petits pharmaciens qui assurent un meilleur suivi des personnes ».

Joël, marié, 33 ans, deux enfants : « C’est dommage pour les petits pharmaciens, mais mieux pour le consommateur. »

Delphine, célibataire, 26 ans, avoue, elle aussi, des infidélités à sa pharmacie de quartier tout en souhaitant « une réglementation plus stricte des prix ».

Rose-Marie, 55 ans, mariée et mère de deux grands enfants : « Si la concurrence sur les prix est une bonne chose en règle générale, entre pharmaciens, cela me choque. Car il s’agit de notre santé à tous. »

Marseille : Une bataille, pas une guerre !

« A Marseille, il n’y a pas de guerre entre les pharmaciens sur le médicament familial, tout au plus une bataille. » Le jugement, mesuré, émane de Philippe Lance, de la pharmacie Drommel, ancien coprésident du syndicat des pharmaciens. Il ajoute : « Cela n’a rien à voir avec la parapharmacie. Ici, la concurrence s’opère entre pharmacies. Du coup, elle est moins rude. Et puis il ne faut pas se leurrer. Quand un client a besoin de pastilles à sucer, il ne va pas courir tout Marseille pour une boîte à 25 francs ! »

Pourtant, à Marseille, ville qui compte 100 officines de trop (2 150 habitants par pharmacie), la concurrence sur le médicament familial est un phénomène notoire qui a essaimé de Montpellier en 1992. Aujourd’hui, peu ou prou, tout le monde s’y met, y compris Alain Jayne, le président du syndicat. « Il faut être dans les prix du marché. Entre un coefficient multiplicateur de 4 et une marge à 30 %, il y a de la place pour construire une politique de prix réaliste. »

Même sentiment chez Martine Sarran, à la pharmacie du Centre-Bourse. L’associée de Christian Zeroukian, bien connu à Marseille pour discounter la parapharmacie, a adopté un moyen terme, celui de la modération des prix. « C’est naturel, le vigneté étant beaucoup moins cher que le conseil. »

La ville s’agite cependant de nouveau depuis qu’un pharmacien du XIVe arrondissement (quartier nord, difficile) a décidé de casser les prix… et de pratiquer la même politique dans le quartier chic de Saint-Barnabé où sa belle-fille vient d’effectuer un transfert. Il a souhaité garder l’anonymat : « Les prix sont libres et chacun fait ce qu’il veut. Je suis dans un quartier qui n’a pas d’argent et où les gens sont malades. Je ne me vois pas leur proposer trois médicaments conseil à 40 francs chacun. Avant d’ajouter : Pourquoi je pratiquerais des prix plus haut chez les gens riches ? Je n’ai pas deux figures. »

Du côté de l’Ordre dont Stéphane Pichon est le porte-parole, le jugement repose naturellement sur l’éthique. « Un médicament conseil reste d’abord un médicament. Discounter risque de dévaloriser notre diplôme et, surtout, de pousser à la consommation, en en faisant un produit courant. Sur ce plan-là, nous pourrions trouver les supermarchés sur notre route. » Il précise cependant : « Nous sommes des chefs d’entreprise, pas des têtes brûlées. Il suffit de pratiquer une marge correcte et de rester dans les prix du marché. Rien de plus. »

Dominique Fonsèque-Nathan

Paroles de clients… infidèles

Marie-Noëlle F., 54 ans, enseignante : « Quand j’ai un rhume ou un bobo, je vais chez ma pharmacienne habituelle. Je lui demande tel produit que je connais, s’il est bien adapté à mon cas et si c’est le moins cher du marché. J’ai confiance en son jugement mais je vérifie… »

Mireille N., assistante commerciale, 42 ans : « Je recherche toujours le prix le moins cher. Quand j’ai un moment, je vais dans une pharmacie du centre-ville réputée pour casser ses prix, mais j’apprécie aussi son accueil et sa compétence. Sinon, j’achète à mon pharmacien de quartier. D’autant qu’il a beaucoup baissé ses prix… »

Marion L., 40 ans, employée administrative : « Ma pharmacienne est super. Je lui suis fidèle. Je ne regarde jamais le prix. D’ailleurs, à ma connaissance, il n’y a pas de grandes différences. Je recherche l’efficacité. Quand on a des enfants jeunes, on veut ce qui est bien pour eux. »

Marion K., 29 ans, journaliste : « Je vais toujours dans la même pharmacie. C’est pratique. Ils ont mes coordonnées, je connais le personnel, les horaires. Quand je veux un conseil, je sais à qui m’adresser. Les prix ? Je ne compare jamais. »

Peggy P., 29 ans : « J’achète rarement du non-vigneté. Quand je vais chez le médecin, je fais marquer tout ce dont j’aurai besoin. Je ne regarde jamais les prix, surtout si c’est pour mes filles. J’ignorais qu’il y avait des différences. »