Vente Réservé aux abonnés

LES IMPORTATIONS PARALLÈLES

Publié le 23 juin 2012
Par Francois Pouzaud
Mettre en favori

Les médicaments d’importation parallèle n’existent dans notre pays que depuis juin 2006. Ce marché encore jeune semble promis à un bel avenir car les pharmaciens sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser. Découverte d’un univers en devenir.

Alors qu’ils sont déjà largement présents dans certains pays, les médicaments d’importation parallèle sont encore peu connus en France et peuvent être confondus avec les génériques. Ils sont le résultat de la libre circulation des marchandises entre les Etats membres de l’Union européenne et leur légalité est reconnue par la Cour de justice de l’Union européenne depuis 1976. « L’importation parallèle est le fait pour un opérateur, étranger au circuit de distribution officiel du titulaire de l’AMM, d’acquérir dans un Etat de l’Espace économique européen une spécialité pharmaceutique ayant une AMM dans cet Etat en vue de sa commercialisation à un prix différent dans un Etat où cette même spécialité a déjà une AMM, définit Bénédicte Collet, pharmacien responsable de Pharma Lab (groupe Welcoop). En France, elle est soumise à une autorisation délivrée par le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour une durée de cinq ans et renouvelable par période de cinq ans. L’autorisation préalable ne peut être délivrée que lorsque la composition quantitative et qualitative, la forme pharmaceutique et les effets thérapeutiques de la spécialité importée sont identiques à ceux de la spécialité déjà autorisée par l’ANSM. « Les excipients peuvent néanmoins différer ou être présents dans des quantités différentes à condition que cela n’ait aucune incidence thérapeutique et n’entraîne pas de risque pour la santé publique. Par ailleurs, les opérateurs intervenant dans le circuit pharmaceutique suivi par la spécialité importée doivent être autorisés en tant qu’établissements pharmaceutiques », précise l’ANSM.

Pour pouvoir opérer en toute légalité, l’acheteur devra demander auprès des autorités du pays dans lequel le médicament sera importé une autorisation d’importation parallèle (AIP). Ces demandes d’importations se font aussi sous le contrôle de l’Agence européenne du médicament. « Les AIP sont octroyées par l’ANSM et l’Agence européenne du médicament et les importations se font en accord avec les laboratoires pharmaceutiques concernés », ajoute Bénédicte Collet. Un médicament non remboursable peut également être mis sur le marché dès lors qu’il obtient son AIP. Ces autorisations paraissent au Journal officiel. Chaque médicament se voit ainsi attribuer un numéro d’AIP à 13 chiffres (comme le code CIP).

Des produits qui seront reconditionnés ou réétiquetés pour être en conformité

En pratique, lorsqu’un importateur parallèle « découvre » un médicament dans un autre pays de l’Espace économique européen qui est le même que celui vendu en France, et dont le prix est moins élevé dans cet autre pays, il peut alors faire une demande d’AIP auprès de l’autorité du pays importateur. Il devra alors fournir un dossier complet sur le produit importé. « Les laboratoires du secteur ont les mêmes demandes de licences d’importation car, une fois les informations publiées sur la licence accordée à un laboratoire exploitant, il est facile pour son concurrent de connaître le nom de cette licence et le pays d’origine, puis de déposer à son tour la même demande de licence. C’est pourquoi il faut prendre la tête de la course pour pouvoir récolter les fruits de notre travail avant les autres », expose Delphine Michel, présidente du réseau Altapharm. De fait, les catalogues des deux importateurs Mediwin, un laboratoire anglais, et Pharma Lab sont identiques à 80-90 %.

L’importateur ne modifie jamais le médicament, il se contente de suivre les instructions européennes en matière de reconditionnement (réétiquetage ou nouvel étui). « Nous procédons au reconditionnement ou au réétiquetage du médicament, selon le cas, afin de le mettre en conformité avec la spécialité autorisée en France et avec le Code de la santé publique », souligne Bénédicte Collet. Dans tous les cas, cette opération doit être réalisée par un laboratoire pharmaceutique, lui-même autorisé à exercer une activité de fabrication dans un état membre. » Le choix entre le reconditionnement total ou le réétiquetage est justifié par la jurisprudence européenne en vigueur. « Si le nom du produit d’importation et celui de la spécialité déjà vendue en France sont les mêmes, seul un réétiquetage avec toutes les informations permettant d’identifier le médicament sera autorisé, complète Guillaume Perruchot, président de Pharma Lab. Si le médicament d’importation a un nom différent, un reconditionnement total sera accordé. La notice en vigueur, en français, sera insérée dans le conditionnement secondaire à la place de celle dans la langue du pays d’origine. »

Dans les deux cas, des maquettes de précommercialisation seront jointes au dossier de demande d’AIP et aussi envoyées au laboratoire détenteur de l’AMM en France afin de l’informer de l’intention d’importation parallèle, conformément aux lois en vigueur. « C’est l’ANSM qui décide s’il y a eu lieu de créer un nouveau conditionnement ou d’apposer des stickers sur celui du produit importé, ajoute Guillaume Perruchot. Pour notre part, nous ne souhaitons pas dénaturer la boîte d’origine et insistons auprès de l’Agence pour pouvoir faire des boîtes mieux finies. » Le laboratoire détenteur de l’AMM ne peut s’opposer à la commercialisation du médicament d’importation parallèle si celle-ci est effectuée dans le respect des règles communautaires et de la législation européenne. « Dans tous les cas, le laboratoire fabricant reste le seul responsable du médicament, l’importateur n’étant responsable que de l’importation et de sa mise en conformité avec les autorités françaises », signale Bénédicte Collet. Par ailleurs, il est soumis aux mêmes obligations que les laboratoires en matière de pharmacovigilance.

Publicité

Un prix de remboursement inférieur de 5 % au médicament équivalent

Si le médicament ayant une AMM en France est remboursé par l’assurance maladie, le médicament d’importation parallèle le sera lui aussi. « L’importateur, après avoir été informé de l’octroi de son AIP, doit faire la demande du remboursement auprès du Comité économique des produits de santé, précise Sylvain Roger, directeur général du réseau Altapharm, chargé de la diffusion en France des médicaments d’importation parallèle de Mediwin. Le remboursement est accordé dans les 180 jours ouvrables suivants, au même taux que le médicament avec AMM (100 %, 65 %, 30 % ou 15 %). » Depuis juillet 2010, les médicaments d’importation parallèle ont un prix de remboursement inférieur de 5 % au médicament équivalent, ce qui permet à l’assurance maladie de réaliser des économies directes sur chaque boîte remboursée. L’association LEMI (voir encadré page 27) estime à 6,3 M€ les économies directesréalisées par les autorisations d’importations parallèles existantes ou en cours d’obtention. « En extrapolant à 100 autorisations d’importations parallèles et une croissance à hauteur de 10 % de parts de marché, celles-ci pourraient atteindre 17 M€ », estime Sylvain Roger. En France comme en Europe, le commerce parallèle introduit un élément de concurrence et permet de faire pression à la baisse sur les prix. L’introduction de médicaments d’importation parallèle a pour effet de faire diminuer de façon significative le prix public réel tel que négocié par les laboratoires. Le LEMI estime que 32 M€ d’économies indirectes par an sont réalisées par l’assurance maladie grâce uniquement à quatre produits importés non génériqués, simplement par cet effet de pression à la baisse.

Parfois, le recours à cette catégorie de médicaments permet de remédier au problème des quotas ou aux difficultés de production des laboratoires. « Par exemple, en 2011, Zoxan et Qvar, médicaments d’importation parallèle, ont permis de pallier partiellement les ruptures d’approvisionnement des laboratoires responsables de la commercialisation de ces spécialités en France »,signale Fabrice Guigonnat, directeur du réseau Altapharm.

Les molécules n’affluent pas au même rythme que les génériques. L’ANSM n’octroie en moyenne qu’une licence par mois, toutes demandes de laboratoires confondues. « Nous déposons une licence par semaine mais quinze à dix-huit mois peuvent s’écouler entre la demande d’AIP et la mise sur le marché du médicament importé », déplore Guillaume Perruchot. Sur un marché dont la croissance dépend étroitement de l’offre, le LEMI réclame une optimisation de l’instruction des dossiers et une égalité de traitement avec les princeps et génériques. Les délais d’attribution d’AIP sont très longs et sans commune mesure avec les autres pays d’Europe. Les chiffres sont sans appel : « Depuis 2006, une quarantaine d’AIP ont été délivrées par l’ANSM quand les Medicines and Healthcare products Regulatory Agency, son équivalent anglais, en attribuent en moyenne 125 par mois ! », se plaint Guillaume Perruchot. Le LEMI espère obtenir de l’ANSM plus de 30 nouvelles AIP et ainsi doubler le catalogue de produits d’importation d’ici à un an.

De plus en plus d’adeptes parmi les officinaux

Pour augmenter leur marge, de plus en plus d’officinaux adhèrent à ce nouveau mode d’achat. En 2011, selon le LEMI, ils étaient plus de 4 000. « Nous enregistrons 100 nouveaux clients par mois », indique Guillaume Perruchot. « Les remises peuvent grimper jusqu’à 10 % du prix pharmacien hors taxes », livre Fabrice Guigonnat. Même s’il reste plus coûteux que le générique, le médicament d’importation a l’« avantage » d’être un princeps. Le principe de la substitution ne s’y applique pas. La délivrance pourra toutefois être accompagnée d’une petite explication justifiant l’étiquetage ou le reconditionnement, en mettant en avant le moindre coût pour la Sécurité sociale et le même taux de remboursement. « Ce modèle économique est intéressant mais se heurte à un problème de sourcing qui confine les médicaments d’importation dans un marché de niche, constate Hugues Moreaux, titulaire à Capbreton (Landes), qui regrette que l’offre de Pharma Lab ne soit pas plus étoffée. Il y a une cinquantaine de produits disponibles à l’achat dont 21 molécules. Le restant consiste en des accessoires, des dispositifs médicaux (tests de grossesse, matériel pour diabétique, produits pour incontinence…) et des produits dermocosmétiques. Une part importante de ces médicaments contient des molécules génériquées ou sur le point de l’être. » En 2011, ce pharmacien a réalisé environ 30 000 € de chiffre d’affaires en médicaments d’importation parallèle, sans cependant réaliser une réelle progression, alors qu’en toute logique, avec les mentions « non substituable » fleurissant sur certaines ordonnances, il pouvait espérer une augmentation des ventes.

Noella Anne-Marie Bouedo, titulaire à Fontenay-le-Fleury (Yvelines), a découvert les importations parallèles par l’intermédiaire de son grossiste D2P Pharma (réseau Altapharm). « Je passe seulement une commande mensuelle sur le site Internet du grossiste, soit quatre ou cinq lignes de produits, précise-t-elle. Ces ventes sont réservées dans ma clientèle aux inconditionnels des princeps qui refusent les génériques, ; ils sont contents de voir le même nom de marque sur la boîte ! Mais l’emballage peut ne pas être tout à fait identique. Si le format de la boîte est le même, la couleur peut être différente, tels Fémara ou Xatral. »

Le médicament d’importation parallèle est parfois reconnaissable par la surépaisseur créée par l’étiquette collée, destinée à masquer les informations figurant sur la boîte dans une langue étrangère. « Je veille dans ce cas aux remarques toujours possibles des clients sur la typographie ou la forme de boîte différentes… », confie Hugues Moreaux. « Je ne rencontre pas de problèmes particuliers de délivrance avec cette catégorie de médicaments, assure un pharmacien de l’Oise. Ma seule réserve porte sur le catalogue, pas assez large. »

Une adaptation du logiciel métier facilite le travail de substitution au comptoir. « Lorsqu’on passe le code CIP du princeps pour lequel il existe un médicament d’importation parallèle, une fenêtre s’ouvre automatiquement avec la mention “remplacée par” et l’indication du nouveau code à enregistrer », précise Noella Anne-Marie Bouedo.

Chez D2P Pharma, les commandes sont prises par téléphone, par fax ou directement sur le site www.altapharm.fr. Pour un accès simple aux nouveautés, la plupart des 1 700 pharmaciens clients de Mediwin commandent leurs produits par Internet. « Nos clients sont répartis sur toute la France et, parmi eux, les plus importants réalisent un chiffre d’affaires annuel de 60 000 € pour un gain de marge de plus de 5 000 € », annonce Fabrice Guigonnat. Ce chiffre ne cesse d’augmenter avec les nouveautés proposées. La cadence habituelle est de passer une commande mensuelle ou bimensuelle avec des conditions de paiement à 60 jours.

Les produits de Pharma Lab ne sont distribués qu’en direct auprès des pharmacies. « Nous n’utilisons pas le circuit des grossistes-répartiteurs, signale Guillaume Perruchot. Nous nous appuyons sur une force de ventes terrain nationale Marque Verte Welcoop Santé et sur un maillage informatique fort, via Pharmagest Interactive, filiale de Welcoop. »

Importateurs associés

Afin de proposer un interlocuteur unique et de représenter au mieux leurs activités auprès des pouvoirs publics français (ANSM, CEPS) ou l’Agence européenne du médicament au niveau européen, Mediwin et Pharma Lab ont créé l’association Les laboratoires de médicaments d’importation parallèle (LEMI), membre de l’EAEPC (European Association of Euro Pharmaceutical Companies). Basée à Bruxelles, l’EAEPC, association européenne de référence pour le métier d’importateur parallèle, regroupe plus de 70 entreprises ou associations dans plus de 20 pays de l’Espace économique européen.

Deux acteurs principaux en France

Pionniers sur le marché français en avril 2006 avec Arimidex 1 mg, les laboratoires Mediwin sont spécialisés depuis 25 ans dans l’importation parallèle entre plusieurs pays européens comme le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et la France, où ils ont confié leur distribution au réseau Altapharm, capable de distribuer ces produits aux 22 000 officines françaises en 24 ou 48 heures au maximum. Sa gamme est constituée d’une quarantaine de spécialités et d’une vingtaine d’accessoires et de dispositifs médicaux. Sur ce marché, le réseau Altapharm enregistre 1 700 clients environ en France.

Autre acteur, Pharma Lab est un laboratoire français au statut d’exploitant, filiale à 100 % du groupe coopératif Welcoop et qui compte plus de 3 000 sociétaires à ce jour dont 2 300 clients Pharma Lab. Les actionnaires de Pharma Lab sont donc à 100 % des officinaux français. La modification des conditionnements de tous leurs produits d’importation ainsi que la distribution directe en pharmacie sont réalisées en France par la société Pharmalpa, société filiale de Welcoop basée en banlieue lyonnaise, à Saint-Symphorien-d’Ozon.

Sondage

Sondage réalisé par téléphone du 21 au 22 mai 2012 sur un échantillon de 100 pharmaciens titulaires représentatifs de la population des pharmacies françaises en fonction de la répartition géographique et du chiffre d’affaires de l’officine

La France en retard

Comme pour le générique, la France est en retard sur ses homologues européens, y compris les pays de l’Est. Les importations parallèles représentent plus de 2,6 milliards d’euros en valeur en Allemagne (source : EAEPC). Existant depuis plus de 30 ans outre-Rhin, ce secteur représente environ 11 % du marché, grâce une législation favorable (obligation est faite aux pharmacies de délivrer au minimum 5 % des produits en médicaments importés). Grâce à ce commerce parallèle très développé, les systèmes de santé britannique, allemand, hollandais, danois, suédois et norvégien économisent 418 M€ chaque année (source : EAEPC).