« L’alicament est la plus grande bêtise qui soit »
Si les tendances ne touchent pas les rayonnages de la pharmacie aussi directement que les portants des boutiques de prêt-à-porter, ce sont les mêmes clients qui, tour à tour, achètent un nouveau pantalon ou une boîte d’aspirine. Leurs attentes évoluent, leurs goûts changent. Toute la difficulté est de savoir anticiper pour ne pas rater le rendez-vous clef : la vente. Xavier Terlet, président de l’agence XTC, hume l’air du temps et observe les comportements hors de nos frontières pour savoir de quoi les paniers de demain seront remplis.
Le Moniteur des pharmacies : Vous êtes ce que les professionnels de la distribution et de la confection ont pour habitude d’appeler « un renifleur de tendances ». Pouvez-vous nous dire en quelques mots en quoi cela consiste ?
Xavier Terlet : Notre fonction est d’observer partout dans le monde la naissance de nouveaux produits et de les répertorier au sein d’une base de données. Les tendances de l’offre évoluant en fonction de la demande du consommateur, cela nous permet de déceler les comportements qui, tôt ou tard, vont se répandre et influencer ceux de l’Hexagone. Nous sommes deux agences dans le monde à réaliser ce genre d’étude, mais nous sommes les seuls à proposer une analyse des données recueillies.
Il y a peu de temps encore, tout le monde prédisait un avenir fulgurant aux alicaments. Pourtant le phénomène semble ne pas avoir fait long feu. Comment expliquez-vous cette contreperformance ?
L’alicament est la plus grande bêtise qui soit. Ceux qui ont voulu mettre l’aspect santé avant le plaisir se sont lourdement trompés. Quand on est malade, on va chez le médecin ou le pharmacien, pas au supermarché. Les oeufs ou le pain Jacquet aux oméga 3 se sont plantés parce qu’ils ont oublié de dire que leur produit, avant toute chose, était bon au goût avant d’être bon pour la santé. Juvamine, pour sa part, a expérimenté à ses dépens ce décalage entre l’attente de bien-être et le produit santé en lançant une gamme de yaourts et de jus de fruits fonctionnelle, « pour l’éclat de la peau et des cheveux » à laquelle le consommateur n’a rien compris, tant son positionnement était loin de ses préoccupations.
Cependant, s’il y a une tendance sûre, c’est que le consommateur est de plus en plus soucieux de sa santé et conscient de l’importance de la nourriture dans sa préservation. Il est en quête d’une alimentation plus étudiée. Un courant qui ne peut que se développer surtout si l’on considère qu’une petite fille qui naît aujourd’hui aura toutes les chances de fêter son centième anniversaire.
Si les alicaments ne répondent pas à cette attente d’une assiette curative, vers quel type de produits les consommateurs soucieux de leur santé vont-ils se tourner ?
Le produit doit promettre une action à long terme, qui, en plus, se doit d’être naturelle pour être crédible. La supplémentation relève de la dynamique du soin. Le consommateur ne cherche pas un produit dopé dans lequel on a ajouté des éléments mais un produit dont les composants contribuent à un bon équilibre sur la durée. Ainsi, plutôt que de communiquer sur les omégas 3 au risque de donner l’impression qu’ils sont ajoutés – alors même qu’ils sont naturellement présents dans le produit – il est commercialement plus intéressant de communiquer sur le lin et ses bienfaits sur le développement des oméga 3 dans le lait de vache. C’est le cheval de bataille de l’association Bleu, Blanc, Coeur qui s’attache à promouvoir l’utilisation du lin pour le bétail afin d’obtenir une viande, un lait ou encore des charcuteries riches en acides gras essentiels.
L’idée n’est pas que le produit est là pour guérir mais qu’il est là pour prévenir. Son effet s’inscrit dans la durée et non dans l’immédiateté. Il doit apporter une promesse de contribution à l’accroissement du capital santé à long terme et c’est pour cela que le discours de la « cosmétofood » ne passe pas.
Ce phénomène est-il déjà une réalité en France ou ailleurs ?
En France, on peut dire que l’idée est en train de faire son chemin dans les esprits. Les consommateurs sont de plus en plus informés sur leur santé et commencent à percevoir l’intérêt de la prévention. C’est au Japon que l’expérience est la plus frappante. Un certain nombre de produits destinés à contrecarrer naturellement les effets du vieillissement sont en vente. Ainsi, pour lutter contre la baisse de l’acuité visuelle le pigment de myrtille se décline sous plusieurs formes. Mais les Japonais ont même franchi une étape supplémentaire puisque tout comme le gouvernement a choisi, chez nous, de favoriser l’usage des génériques pour réduire les coûts de santé, le ministère de la santé japonais a, lui, établi le label « Foshu » applicable aux produits reconnus efficaces en termes de santé. Que l’on soit bien clair, il ne s’agit pas de produits ayant subi des transformations mais d’aliments qui, au cours de tests multiples, ont prouvé leur efficacité intrinsèque. Aujourd’hui, il existe 300 produits labellisés « Foshu » sur le marché nippon (voir photo). À l’heure actuelle, seulement un quart des consommateurs les achètent régulièrement mais leur existence est connue par 60 % de la population. Un beau potentiel.
Alors que le marché des compléments alimentaires remporte un franc succès dans les officines, ne seriez-vous pas en train de nous annoncer sa fin prochaine ?
Lorsque l’industrie alimentaire se sera faite le reflet de cette demande latente et qu’elle proposera des produits naturellement équilibrants, il y a des risques pour que ce marché faiblisse. S’il s’agit réellement de compléments comme le calcium ou le magnésium, qui relèvent du médicament, ou encore de la nutrithérapie, cela relève évidemment du pharmacien. Mais je pense que ces produits si tant est qu’il s’agissent de produits qui fleurissent actuellement à l’officine ont toutes les raisons de la quitter.
Même si cela doit, à long terme, nuire quelque peu à la santé de son tiroir-caisse, je pense que le pharmacien a le devoir de privilégier celle de son client en lui tenant un discours de prévention qui passe par le « manger juste ». Le pharmacien doit vendre de la vitamine C, le distributeur, des oranges
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