La pharmacie fait rêver les marques
Alors que ses indicateurs économiques virent au rouge, la croix verte attire plus que jamais des marques issues d’univers concurrentiels. Désormais Colgate et Kindy rêvent de pharmacie ! Pur opportunisme ou réelle opportunité de développement ? Analyse d’un courant marketing qui préfigure le concept de la pharmacie Boots à la française.
Morose le secteur de la pharmacie ? Tout le monde n’est pas de cet avis. Malgré une année 2008 historique en terme de cassure économique pour l’officine, le secteur est devenu une réelle pépinière de lancements pour les marques en provenance directe de la grande distribution, des magasins bios voire de la parfumerie. Alors même que dans les années 80-90, Scholl et Guigoz n’ont pas résisté aux sirènes des grandes surfaces, ces deux acteurs renouent avec leur circuit originel. Les temps changent. Rappelez-vous… Dix ans auparavant, Mercurochrome et Marie-Rose – rachetés par Juva Santé – quittaient définitivement les pharmaciens pour trôner dans les linéaires des GMS. Désormais, le sens de la distribution s’inverse. Colgate, Olympia, Kindy ou encore Mars arrivent en officine avec des gammes spécifiques. La conjoncture des circuits concurrentiels serait-elle aujourd’hui plus noire qu’en pharmacie ? Pas vraiment. Si l’on considère le marché des cosmétiques, de la podologie ou de l’hygiène bucco-dentaire, les derniers chiffres montrent des progressions plus fortes en GMS. Mais pourquoi cette ruée vers le giron des blouses blanches ? Quant aux officinaux, comment peuvent-ils profiter de l’invasion de marques déjà valorisées dans d’autres circuits ? Réponses d’experts en marketing et communication, avec à l’appui, les témoignages des principaux industriels concernés.
1• La crise des marques
>Le pouvoir au point de vente
Le marasme économique amène les industriels, tous réseaux confondus, à revoir leur stratégie classique de communication. « On observe un recul des investissements sur les grands médias traditionnels et un report vers les points de vente », confirme Marie-Claude Sicart, auteur du livre « Identité de marque » aux éditions Eyrolles. Autrement dit, les marques cherchent aujourd’hui à démultiplier les points de contact avec leurs consommateurs. « Le modèle marketing traditionnel de la grande distribution qui se situe sur une politique de l’offre arrive à saturation. La pléthore de produits proposés nuit à la différenciation entre les marques. Les acheteurs ne s’y retrouvent plus. Il devient donc légitime de s’appuyer sur d’autres circuits, plus spécifiques, moins encombrés et plus différenciants », explique Florence Bernard, consultante en Ingénierie d’affaires santé & communication et experte en stratégie de marques.
Les frontières de distribution disparaissent
La question clé est de savoir si le consommateur est prêt à acheter les mêmes marques dans différents circuits. « Il y est préparé dans la mesure où il retrouve déjà les mêmes produits cosmétiques en pharmacie qu’au Monoprix !, assure Marie-Claude Sicart. Désormais les frontières de distribution sont abolies, ne serait-ce que par l’intermédiaire du commerce sur internet ».
Si les produits Doux Me (cosmétique bio) se trouvent aussi bien au Printemps, dans les Beauty Monop’, les hôtels Costes ou les pharmacies, ce n’est ni étonnant ni un hasard pour Caroline Wachsmuth, fondatrice de la marque. « La consommatrice monocircuit n’existe plus. Elle a ouvert ses oeillères et est attentive à la qualité des produits. Quel que soit leur circuit de distribution ».
Du patient au consom’acteur
Les géants de la grande distribution comme Colgate ou Olympia l’ont bien compris : les malades, et à fortiori les clients des pharmacies, ne sont pas uniquement des acheteurs de médicaments.
Et d’étendre leur offre de grande consommation en proposant une marque « santé grand public » (Colgate Pharmasystem, Olympia Sensitive)…en s’appuyant sur la caution d’un professionnel de santé.
« Le citoyen français devient, certes, un consom’acteur de sa santé mieux informé et responsabilisé. Mais il est aussi méfiant vis-à-vis du seul discours publicitaire. Il est donc rassurant pour lui de pouvoir s’appuyer sur le conseil expert et le professionnalisme d’un pharmacien », commente Florence Bernard.La croix verte est alléchante pour des raisons qui dépassent largement sa caution de sérieux, désormais sujette aux critiques de nos concitoyens. « Les consommateurs ne sont plus dupes. Dans le domaine de la parapharmacie, ils savent que tous les fabricants sont soumis aux mêmes normes réglementaires et sécuritaires », avance Marie-claude Sicart.
2• La suprématie du label santé
Créateur de valeur
C’est la caution de santé véhiculée par le réseau officinal qui est recherchée.
« La santé devient un secteur stratégique de développement économique mondial, donc d’investissement. La tendance santé-hygiène/beauté/bien-être se renforce et se décale vers la notion plus significative de capital santé. Un capital à préserver plus que jamais, compte tenu de l’évolution du système et des politiques de santé allant vers une moindre prise en charge », analyse Florence Bernard.
Autrement dit, le label santé est, ni plus ni moins, créateur de valeur, à la fois pour l’image de la marque et la rentabilité du produit (optimisation du coût unitaire en élevant le prix de vente). Or, comme le rappelle Karim Zinaï (Almedys Santé), directeur du MBA marketing et communication santé du Pôle universitaire Léonard de Vinci. « En matière de prévention santé, les GMS (leurs parapharmacies comprises) véhiculent rarement des messages santé. Ce sont des lieux qui diffusent différentes solutions ».
Incontournable pour la cosmétique bio
« Je ne connais aucun groupe de cosmétique bio qui ait une distribution sélective », constate Bernard Chevillat, P-DG de Melvita. Autant dire que la vente de la marque en pharmacie est devenue une évidence. « Nous sommes référencés dans 2 000 magasins bios où nous connaissons une progression de 25 à 30 % par an, indique Bernard Chevillat, Melvita a atteint une taille notable et il semblait alors inconcevable de ne pas être présent dans son second marché potentiel que représente la pharmacie. Ce secteur véhiculant les mêmes valeurs de santé et de sécurité que le bio ».
La marque a conçu une offre spécifique et courte pour les linéaires officinaux (Melvita Bio-excellence), histoire d’entretenir une concurrence saine avec le réseau bio. Pour Doux Me et son positionnement haut de gamme, la distribution pharmaceutique s’est imposée de fait. « Comment voulez-vous émerger en parfumerie avec peu de moyens, à côté des marques « de docteur » ou des marques bios de distributeurs ? », confie Caroline Wachsmuth.
Avantage aux 23 000 distributeurs
Contrairement à une idée reçue, le nombre important de distributeurs à visiter n’est pas un frein à l’implantation d’une nouvelle marque. Hervé Lesieur, ancien responsable de la marque Decléor y voit même quelques avantages. « La pharmacie nécessite de déployer une importante force de vente, mais la démarche est moins risquée que la négociation avec quelques centrales d’achat. Si l’on perd un partenariat, on perd en même temps plusieurs centaines de points de vente ! ».
Cet ex-acteur de la parfumerie, P-dg de Remède et Sens, a donc délibérement choisi l’officine pour lancer sa nouvelle marque de soins aromathérapiques Gattefossé (lire Pharmacien Manager n°83 p. 54). D’autant que le mur du son en parfumerie est de 1 500 points de vente, contre 23 000 pharmacies ! Et de proposer aux officinaux une démarche de category management digne de celle pratiquée en GMS. « Pour un pharmacien, mieux vaut sortir des linéaires 10 produits non rentables d’une marque connue et les remplacer par dix autres soins prometteurs d’une marque challenger ».
Du relais de médicaments au show-room santé
L’arrivée des marques de grande distribution s’est accentuée en 2008. Et le phénomène s’explique ! Florence Bernard détaille : « La levée probable du monopole officinal et le passage «devant le comptoir» de médicaments déremboursés vont transformer les pharmacies en points de vente clés pour les produits de santé. Ils vont drainer beaucoup plus de flux de clients/patients qu’avant. Et seront complémentaires, pour les marques de parapharmacie, de leurs marques soeurs commercialisées en GMS. » Ainsi, se profile progressivement un modèle de pharmacie Boots « à la française »… Qu’on le veuille ou non, l’ouverture annoncée du capital et la montée en puissance des enseignes de pharmacies métamorphosent à bas bruit le paysage officinal français. « Il y a de moins en moins de différences entre la pharmacie latine et la pharmacie anglo-saxonne, observe Hervé Lesieur, la première voit ses espaces de vente s’agrandir et les drugstores évoluent vers de «convenient store» en proposant plus de services. Ainsi Boots emploie des diététiciens et des esthéticiennes ». Dans ces conditions, les marques de forte notoriété ont tout intérêt à investir dans un circuit pharmaceutique, plus que jamais prêt à gagner en fréquentation et en qualité d’accompagnement.
3• La pharmacie change de visage
Une source de dialogue
Vous pensez (encore) que le référencement d’une marque présente dans un autre circuit ternit votre image de sérieux ? Détrompez-vous. « Une marque santé, quelles que soient ses racines, n’est pas délétère en tant que telle. C’est la façon de la promouvoir dans l’espace de vente qui peut être nuisible », indique Karim Zinaï. Pour notre expert, la présence d’une marque connue en officine ne peut être que source de dialogue. « Les clients sont amenés à se poser des questions : « Pourquoi cette gamme est-elle vendue en pharmacie ? ». A l’équipe, ensuite, de savoir présenter les spécificités et les avantages des produits. Qu’il s’agisse de chaussettes de confort (Olympia, Kindy) ou de barres chocolatées aux anti-oxydants (Cocoavia de Mars Nutrition).
Elargir le conseil
Une marque de forte notoriété peut difficilement s’engager dans le domaine de la santé à la légère. Ainsi, Colgate, Mars, Kindy ou encore Olympia disposent de brevets.
« Les industriels doivent acquérir une légitimité pour pouvoir distribuer en pharmacie. Dans le cas contraire, la démarche est considérée comme opportuniste », insiste Karim Zinaï. Qui dit nouvelles marques et nouveaux brevets dit aussi nouveaux univers à exploiter. Ainsi, Mars Nutrition a ouvert le marché de l’alimentation santé en officine, et Kindy vient de lancer les chaussettes pour les personnes diabétiques. « La notion de santé ne découle plus de l’usage d’une molécule ou de gélules, et le conseil du pharmacien va désormais aller bien au-delà des solutions classiques d’automédication. L’équipe officinale devient prescriptrice de solutions santé dans une optique de bien être et de développement durable », poursuit Karim Zinaï.
Les marques qui viennent du bio, des grandes surfaces ou bien des grands magasins permettent à la pharmacie d’exploiter de nouveaux univers… tout en dégageant des marges confortables.
Une logique de développement durable
On le sait : il ne suffit pas de mettre une marque de forte notoriété dans les rayons des pharmacies pour que cela déclenche les ventes.
Quand bien même cette marque est parfaitement légitime dans le domaine de la santé. « Il faut qu’elle soit également crédible aux yeux des consommateurs », affirme Florence Bernard. « Le marketing santé ne s’invente pas et répond à une logique de développement durable. L’industriel doit créer non seulement un lien vers le consommateur mais aussi avec le professionnel de santé pour l’aider à présenter l’intérêt du produit. La stratégie demande une réflexion en amont car le patient/consommateur ne pardonnera pas des fausses promesses », conseille Karim Zinaï.
Autrement dit, l’équipe officinale doit être en mesure de donner un véritable conseil sur des bases rationnelles. Et ce, d’autant plus que la marque peut paraître banalisée par son circuit habituel (grandes surfaces surtout) au premier abord.
Le pharmacien devra donc savoir expliquer la différence entre « son » dentifrice Colgate et celui proposé par le supermarché d’à côté. Pas de secrets : la formation de l’équipe par une force de vente motivée s’avère indispensable. Or, beaucoup de nouvelle marques confient la distribution à des sous-traitants dont le portefeuille de produits explose…
Soigner la présentation et justifier les prix pratiqués
Quoi qu’il en soit, même si la pharmacie se diversifie et référence des marques communes à d’autres univers, elle doit rester dans une optique d’espace bien être. « Un environnement qui ressemble à une supérette ou à une quincaillerie se montre perturbant pour la clientèle », prévient Karim Zinaï.
Côté merchandising, l’avantage du produit doit tout de suite être lisible pour se différencier des autres marques proposées. Beaucoup de nouvelles marques comme Colgate Pharmasystem, Melvita Bioexcellence ou Olympia Sensitive ne faisant que peu de publicité grand public, tout se joue donc sur l’espace de vente.
« Pourquoi la crème Scholl Pharma est-elle plus chère qu’un soin de la même marque vendu chez Carrefour ? », « Pour quelles raisons irais-je acheter une barre de chocolat (signée Mars) à prix d’or en pharmacie ? »…
Autant de questions que se posent en toute légitimité vos patients/consommateurs. Donnez-leur une réponse compréhensible et visible (brochures, animations, détails des particularités…). Bref ! Tissez une relation avec votre clientèle, car au final c’est bien votre pouvoir de persuasion qui reste plus fort que le pouvoir de la marque.
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