La généralisation cachée
Dans un communiqué daté du 10 avril, le gouvernement fixe la règle du jeu concernant le tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) mais donne en même temps aux laboratoires les moyens de la détourner. Surprenant !
Jean-François Mattei a tranché : le tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) s’appliquera le 1er juillet aux groupes génériques pour lesquels le taux de pénétration sera compris en volume, fin avril, entre 10 et 45 %. D’après l’entourage du ministre, le niveau de prix du forfait sera fixé à – 30 % du prix du princeps. Une seconde étape est d’ores et déjà prévue au mois de décembre. Les groupes où le taux de pénétration des génériques n’aura pas atteint 60 %, fin novembre, se verront appliquer un TFR. Une annonce qui laisse amers et déçus l’ensemble des syndicats. « 45 %, c’est un peu trop haut, on prend des risques pour les génériques », estime Bernard Capdeville, président de la FSPF avant d’évoquer le travail de sape des industriels contre les génériques, via le TFR et la suppression de la surremise des pharmaciens : « Leur raisonnement est ainsi d’obtenir du gouvernement de désarmer les pharmaciens et donc la substitution, analyse-t-il. Et c’est ce que le gouvernement a choisi de faire ! » Même courroux à l’UNPF. « Il était question d’attendre six mois entre les deux étapes pour effectuer d’éventuelles corrections. Et voilà que l’on prévoit tout de suite une montée en puissance du TFR », s’agace Claude Japhet, son président. « C’est une mesure injuste prise à l’encontre de notre seule profession, déplore Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO. Ce sont les confrères qui se sont engagés à fond dans la substitution, et qui ont parfois dépassé des taux de 70 %, qui seront les plus pénalisés. Pourquoi ne dit-on rien aux médecins qui ne respectent pas l’accord du 5 juin ? »
De leur côté, les génériqueurs, tout en réaffirmant leur opposition au TFR, restent étonnamment sereins : « En fixant un taux de 45 %, le ministre de la Santé laisse encore une chance aux pharmaciens et aux laboratoires de génériques de montrer leurs capacités à réaliser des économies, commente Pascal Brière, vice-président du Gemme. La voie du pragmastime et de la sagesse choisie par Jean-François Mattei préserve l’existant et permet d’expérimenter le TFR en grandeur nature mais en gardant un facteur de réversibilité au système. »
Les labos demanderont un TFR.
Concernant la seconde étape, Pascal Brière est cependant plus inquiet car il ne sera pas facile de hisser les taux de substitution à plus de 60 % en novembre : « Ce n’est pas une mobilisation de un mois, comme en avril, mais de huit mois qui permettra d’y arriver », lance-t-il aux pharmaciens. Mais le pire n’est pas là. Si le gouvernement fixe la règle du jeu pour l’application des TFR, il donne dans le même temps les moyens aux laboratoires de la détourner. « Lorsqu’un groupe générique ne se situe pas dans cet intervalle (10-45 %), les producteurs pourront également demander l’application de la mesure », écrit-il dans son communiqué. En clair, si un laboratoire estime que son princeps est trop substitué, il pourra demander la mise en place d’un TFR sur un groupe pour supprimer les avantages des génériques (surremises…) et conserver ou récupérer ses parts de marché, une baisse de 30 % du prix étant moins nocive qu’une chute de 60 % des volumes, par exemple. Une généralisation qui ne dit pas son nom. Car on ne voit pas pourquoi certains laboratoires se priveraient de demander dès juillet un TFR dans des groupes qui, fin avril, seraient au-delà de 45 % de taux de substitution. Et puisque la décision d’appliquer ou non un TFR dans un groupe générique appartient discrétionnairement au ministre, on imagine déjà la cohorte des responsables de laboratoires faisant le pied de grue aux portes du bureau du ministre… De quoi ruiner tous les efforts des pharmaciens.
« Le gouvernement est sorti d’une politique du générique pour entrer dans une politique de baisse de prix », commente Bernard Capdeville. « Le ministère ouvre de surprenantes possibilités aux laboratoires, remarque Claude Japhet. Mais si un TFR s’applique sur un groupe générique au-delà de 45 %, ce sera de l’entière responsabilité du laboratoire… ». Et il devra l’assumer face aux officinaux.
Réunion du 15 avril : premier pas vers un réseau rénové
Mardi 15 avril, Ordre et syndicats (UNPF et FSPF) étaient au rendez-vous que Jacques de Tournemire, le conseiller du ministre de la Santé, leur avait fixé à Pharmagora. Au programme, trois sujets : la restructuration du réseau, les conditions d’exercice professionnel et la rémunération. Sur ces sujets, le ministère a chargé les représentants de la profession de lui faire des propositions, même si aucun calendrier n’a été prévu pour la suite des discussions.
Jean-François Mattei ne l’a pas caché, la concentration du réseau est pour lui une priorité et une source d’économies. Mais quel niveau de concentration viser ? Comment y parvenir ? Voilà les principales questions auxquelles la profession devra répondre.
« Une génération de pharmaciens va partir à la retraite et il sera possible de ne pas reconduire les officines les plus petites ou celles qui sont en surnombre dans les années qui viennent, constate Claude Japhet. Mais on ne ferme pas une officine en claquant des doigts. Une telle réforme demande réflexion. Elle devra se faire dans les meilleures conditions possibles pour les officinaux. » Pistes évoquées mardi : les incitations fiscales aux regroupements, solution aujourd’hui très peu usitée (2 par an depuis 3 ans contre 200 transferts) et la loi Murcef, toujours en souffrance, mais qui pourrait permettre à terme aux plus jeunes d’accéder au capital des officines. L’Ordre est d’ailleurs en passe de remettre au ministère un rapport sur le sujet. S’agissant des conditions d’exercice, le ministère souhaite remettre à plat le fonctionnement des officines : qui fait quoi et comment ? « Aujourd’hui chacun interprète les textes à sa manière et estime être dans son bon droit, explique Claude Japhet. Nous devons clarifier les choses. S’agissant des préparateurs par exemple, il est dit qu’ils peuvent délivrer sous le contrôle d’un pharmacien. Quelle est la nature de ce contrôle ? Total ou conforme à l’ordonnance ? Et si le pharmacien est seul habilité à délivrer le médicament, à quoi sert le préparateur ? »
De la même façon, les représentants syndicaux et l’Ordre devront réfléchir à l’articulation entre les titulaires et les adjoints qui souhaitent prendre plus de responsabilités et trouver des perspectives de carrière. « Le gouvernement a pris conscience de l’ampleur des tâches administratives qui nous sont imposées, relate Bernard Capdeville président de la Fédération. Il semble prêt à faire des avancées concernant notre mode de rémunération sur ce sujet comme sur le dossier patient ou les nouveaux traitements. » « Le gouvernement veut ouvrir des chantiers de réformes importants, tant mieux, se satisfait Claude Japhet. Mais il faudra veiller à ce que çela ne nous retombe pas sur la tête. » –
N.F.
A retenir
Le gouvernement espère tirer de ces mesures 300 millions d’euros d’économies en 2003.
Les produits à service médical rendu (SMR) insuffisant qui font l’objet d’un plan de déremboursement, ainsi que les produits trop récemment inscrits au Répertoire et qui n’ont pas eu le temps de prouver leur capacité à obtenir une part de marché suffisante, ne seront pas soumis au TFR.
Le Comité économique des produits de santé (CEPS) est chargé, au mois de mai 2003, de proposer au ministre de la Santé la liste des groupes et le forfait de remboursement retenu pour chaque groupe.
Estimation : « C’est seulement quand nous saurons, code CIP par code CIP, quelles sont les spécialités touchées par un TFR que nous pourrons donner aux confrères le montant de la pénalité pour la profession », selon la FSPF.
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