LA COMMANDE DIRECTE À BON ESCIENT
La commande directe est souvent présentée par les laboratoires comme un modèle gagnant-gagnant. Mais elle n’est pas sans contraintes. Quelques principes indispensables pour bien manier cette stratégie d’achats.
L’accroissement de la pression sur les marges a eu pour corollaire l’irruption de nouvelles stratégies de marketing et de distribution jusqu’alors propres à la GMS. Parmi elles, la commande directe est bien entrée dans les mœurs des officines françaises. En 2009, 16,7 % des ventes de l’industrie pharmaceutique ont ainsi été réalisées directement auprès des pharmaciens de ville, selon le Leem, contre 9 % en 2002. Portée par l’essor de l’automédication et des génériques, la vente directe a également investi plus récemment le champ du médicament vigneté. Aucun officinal n’échappe désormais à l’offensive de séduction des groupes pharmaceutiques. Mais les promotions alléchantes ne doivent pas masquer les contraintes propres à ce mode d’approvisionnement en termes de coûts et d’organisation.
1 Miser sur un pouvoir de négociation renforcé
« L’enjeu de la vente directe est d’abord financier : en supprimant un maillon de la chaîne, on optimise la marge en amont comme en aval. C’est une logique éprouvée dans le monde de la distribution ! », observe Xavier Moinier, maître de conférences à la faculté de sciences économiques de Poitiers et consultant en marketing officinal. En l’occurrence, c’est évidemment la part du grossiste-répartiteur qui est court-circuitée, au bénéfice du pouvoir de négociation du pharmacien. Guillemette Lassiaz, titulaire de la Pharmacie bleue à Bordeaux (Gironde), réalise ainsi 60 % de ses achats en valeur, tous segments confondus, directement auprès des fabricants : « J’y gagne en remises et donc en compétitivité, tout en disposant de stocks suffisants pour répondre à une demande qui fluctue dans le quartier de centre-ville où nous sommes situés. » Le système lui paraît également préférable à l’affiliation à un groupement dont les règles du jeu en matière d’achats sont « trop rigides ».
Sur des marchés de plus en plus attaqués comme ceux de la parapharmacie, c’est même, pour certains, une logique de survie. « Aujourd’hui, nos achats directs ne visent plus simplement à reconstituer de la marge mais à proposer des conditions de prix qui collent au marché », justifie Emmanuel Roussel, titulaire de la Pharmacie du CNIT à Puteaux (Hauts-de-seine). Il affirme ainsi parvenir à gagner jusqu’à 5 points de remise dans l’OTC et 2 à 3 points dans le médicament vigneté. La négociation avec le fabricant peut également être élargie aux échéances de paiement.
2 Evaluer la viabilité de la démarche
Les grossistes-répartiteurs ont l’obligation légale d’assurer un certain nombre de services, notamment en termes de référencement et de réassort. Ce n’est pas le cas des fabricants, dont la logistique « aval » n’est, par définition, pas dans le cœur de métier. D’où la nécessité de bien réfléchir, en fonction de sa politique d’achat et de la situation de l’officine, de l’opportunité de recourir à des achats directs. « La décision de passer outre l’expertise des intermédiaires traditionnels implique un coût d’entrée non négligeable : elle doit donc impérativement faire l’objet d’un arbitrage permettant de savoir si les économies réalisées seront supérieures à la marge du grossiste-répartiteur », explique Xavier Moinier.
3 Jouer sur l’effet volume
C’est le b.a.-BA de la remise : elle est fonction des quantités commandées, elles-mêmes dépendantes de la rotation des produits. Autrement dit, en deçà d’une certaine capacité d’achats il n’y a pas – ou trop peu – de ristourne à attendre. « A l’inverse, plus la pharmacie est importante en taille et en chiffre d’affaires, plus elle a de valeur ajoutée pour les laboratoires, plus grand est son pouvoir de négociation », souligne David Derisbourg, responsable marketing chez Isipharm. « Pour les petites officines, les achats groupés auprès des fabricants, par l’entremise d’un négociateur unique, représentent une bonne alternative », précise-t-il.
4 Repenser le stockage
Le stockage, c’est là que le bât blesse pour nombre d’officines ayant succombé un peu vite à l’eldorado de la vente directe. Il est donc indispensable, en premier lieu, de disposer d’un espace suffisant et d’adopter une logistique spécifique afin d’éviter l’asphyxie du point de vente et les risques de pertes à l’arrivée des cartons les jours de livraison et dans la gestion au quotidien des stocks. « Nous avons investi dans l’aménagement de notre cave pour recevoir des stocks importants », explique Guillemette Lassiaz.
David Derisbourg met également en garde contre le surstockage, favorisé par certaines pratiques commerciales dans le cadre de la vente directe : « Souvent, les laboratoires associent une remise à une gamme et non à des produits isolés, ce qui conduit à stocker un grand nombre de produits dont les rotations sont très variables. Or les stocks immobilisés ont un coût, qui peut déraper un jour ou l’autre en agios bancaires. » Il faut là encore y réfléchir à deux fois avant d’opter pour un palier de remise supplémentaire potentiellement vecteur de frais largement supérieurs aux économies réalisées.
5 Adopter un système de gestion rigoureux
Les mauvaises surprises pourront être largement évitées avec la mise en place d’un outil informatique sûr et adapté. Que la commande s’effectue par voie électronique ou par l’intermédiaire du délégué médical, le logiciel de gestion des achats directs devra inclure les catalogues de chaque fournisseur, un historique, les prix actualisés, l’état des stocks, les échéances de livraison et de paiement… Autant d’informations indispensables pour la gestion de sa trésorerie et de ses transactions. Le suivi des commandes doit faire l’objet d’une vigilance particulière tant en termes de délais que de contrôle du contenu des cartons livrés et des factures, car « les erreurs sont fréquentes, et toujours dans le même sens », indique Emmanuel Roussel. Guillemette Lassiaz a elle-même mis en place une double vérification systématique des livraisons.
6 Mobiliser son équipe
Prendre les appels des laboratoires, passer les commandes, en assurer le suivi, la réception et le contrôle, gérer les litiges éventuels… requièrent, au-delà des moyens matériels et financiers, du temps et des compétences humaines. « Certaines officines ont d’ores et déjà fait le choix de créer un poste de responsable des achats », observe Xavier Moinier. A défaut, la gestion des achats directs doit incomber à l’ensemble de l’équipe.
TÉMOIGNAGE« Pourquoi je reste fidèle à mon grossiste »
MARTIN PARÉ, PHARMACIE DE LA CROIX-BLANCHE À BOURG-EN-BRESSE (AIN)
« Pour mes achats de princeps et de génériques, je continue à passer par mon grossiste-répartiteur. D’une part, il me fournit des services encadrés par la loi qui me sont utiles pour ma gestion en termes de flux, d’autre part, les sollicitations des laboratoires interviennent à tout moment de la journée et je ne suis pas organisé pour y répondre. Dans le contexte de l’offre et de mes besoins actuels, la vente directe représente un coût plus important pour moi en termes de logistique que la remise sur la facture. Enfin, je préfère continuer à miser sur une relation de confiance avec mon grossiste : si je lui enlève un flux, il aura tendance à réduire les services qu’il me propose. »
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