Faut-il faire payer ses vitrines ?
Les temps changent rapidement dans le monde de l’officine. « Les laboratoires sont de plus en plus enclins à accepter de rémunérer les espaces en pharmacies. Pour les têtes de gondoles (TG) c’est entériné, pour les vitrines, ça vient », remarque Laurence Dubois, directrice du développement commercial et des partenariats du Groupe Phoenix France-PharmaVie. « Du coup, il faut professionnaliser cette activité ». Chez Pharmavie, le processus est enclenché. Dans ses négociations pour son groupe pilote « GAP 100 », le groupement intègre désormais la location d’achat d’espaces dans l’officine. Idem chez Elsie Santé. « Nos négociations avec les laboratoires mentionnent, d’une part un prix de location de l’espace, et d’autre part un prix de fabrication et de pose qui sont réalisées par les sociétés RNP ou Fil Rouge. Nous reversons la rémunération de ces espaces à chacun de nos adhérents. », détaille Emmanuel Lataste, le président de ce jeune groupement d’officines de plus de 6 M€ de C.A. Avec un système de preuve par photo (par exemple, avec les applications Youbic ou Simplifield), chaque officine peut valoriser son espace. « La pharmacie est un lieu très apprécié et aussi très fréquenté, c’est idéal pour une marque en quête de notoriété et de caution médicale. De plus, en tant qu’espace de santé, ce n’est pas un commerce comme les autres pour les marques de soin. Avec ses TG, vitrines et autres inter-comptoirs, elle a une vraie opportunité à les valoriser, en leur mettant à disposition ses espaces », justifie Laurent Keiser, DG de Paris Pharma (enseigne Aprium), qui estime qu’environ 20 000 patients entrent chaque jour dans son réseau de 300 officines.
OBTENIR une rémunération.
Cette nouvelle source de revenu est jusque-là peu exploitée. Si les groupements s’y mettent, certains titulaires s’en occupent aussi en direct. Ainsi à la Pharmacie du Méridien à Ibos (65), on commercialise ses TG. « Cela rapporte environ 6 000 € par an. », a calculé Philippe Levy, le mari de la titulaire Christine. Il n’y a pas encore de prix étalon. Mais, dans les faits, un écran est couramment vendu à partir 15 €/mois, une TG entre 50 et 180 €/mois. Autour de ces tarifs, il se vend aussi des vitrines, des inter-comptoirs, des stops rayons, des linéaires, des encarts sur les sites internet et même des fonds de panier ! Reste au titulaire à trouver son juste prix. « Je suis favorable à la vente des vitrines, il faut rentabiliser l’espace au maximum. Mais pour trouver le bon tarif, le titulaire doit savoir exactement ce que chaque espace lui rapporte. », avertit Laurent Perino, DG de la société Evolumerch. Or pour l’heure, peu de pharmaciens calculent le retour sur investissement de chaque gamme en fonction de son emplacement.
RÉUSSIR sa négociation.
Vendre son espace requiert du temps et une bonne organisation. Il faut négocier avec les marques et s’assurer de la mise en place de la campagne. Les fabricants de vitrophanies et autres supports tels Fil Rouge, Stratego ou C-Media sont des interlocuteurs privilégiés pour assurer la qualité de la pose des publicités, mais cela ne suffit pas à justifier la vente de l’espace. « Les pharmaciens ne doivent pas privilégier la vente de leur espace à la commercialité de leur offre, autrement dit, ils ne doivent pas privilégier le revenu de location au choix du bon produit. Mettre en avant un produit qui ne se vend pas, sous prétexte d’obtenir un revenu de location d’espace, serait une erreur : le revenu de location serait annulé par la perte de marge, les stocks des bons produits tourneraient moins vite et l’expérience client serait dégradée. Enfin, dans certains cas, la question du temps passé à gérer la location au détriment de celui passé à monter de belles offres et aux autres activités de l’officine se pose : c’est un équilibre à trouver en fonction de la situation de chaque officine ou de chaque groupement. », estime Alexandre Georgeault, président de Fil Rouge. Et son concurrent Alexis Guffroy, DG de C-Media d’abonder dans le même sens : « Il ne faut pas se tromper d’objectif. La vitrine est un moyen de positionner son officine et de générer du chiffre d’affaires supplémentaire, avant d’être un levier de rémunération ».
SÉDUIRE les marques.
Attention, même organisées, toutes les pharmacies ne sont pas enviées par les laboratoires. « 80 % de la valeur médiatique des officines se concentrent autour de 15 à 20 % d’entre elles », précise Alexis Guffroy. Il faut de l’espace, de la visibilité, du trafic… Ensuite, pour évaluer l’enjeu, la marque croise ces valeurs avec son potentiel de chiffre d’affaires dans la pharmacie. « Faire fabriquer des vitrines et les faire poser, c’est déjà un investissement pour nous. Nous sommes prêts à rémunérer l’espace, seulement si nous estimons qu’il sera rentable. », indique Lindsay Evans, chef de groupe Mustela France. Ainsi, non seulement le titulaire doit déterminer une stratégie pour vendre son espace, mais son officine doit être suffisamment bankable pour séduire !
LE CAS DU MOIS
Avec la Loi « Sapin 2 », qui vise à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, pharmacies et laboratoires ont tout intérêt à rendre leurs contrats de coopération le plus précis possible. Dans ce contexte, certaines officines ont ajouté une ligne concernant la location de l’espace. De fait, une pharmacie dispose souvent de vitrines et toujours d’un espace de vente, qui sont autant de surfaces disponibles pour y installer des publicités. Les laboratoires ont déjà investi ces emplacements sous forme de coverings, de vitrophanies, de PLV… Jusque-là, les marques finançaient la fabrication et la pose de ces supports. Aujourd’hui, certains titulaires font payer ces mètres carrés ou linéaires à la manière de l’afficheur JCDecaux et de ses confrères. Bonne idée ou pas ?
LES EXPERTS
Laurent Perino DIRECTEUR GÉNÉRAL D’EVOLUMERCH
Alexandre Georgeault PRÉSIDENT DE FIL ROUGE
Alexis Guffroy DIRECTEUR GÉNÉRAL DE C-MEDIA
AH OUI !
Savoir évaluer la valeur médiatique de ses espaces, c’est-à-dire leur rentabilité habituelle, est indispensable pour en fixer un prix.
OH NON !
Ne pas se tromper d’objectif. La vente de produits dans un espace doit générer davantage en marge, que celle de la location dudit espace.
TÉMOIGNAGECe n’est pas négligeable
Franck Eich
Titulaire à Durmenach (68)
Installé à Durmenach (68) dans une officine rurale de moins de 3 M€ de C.A, Franck Eich est convaincu de l’intérêt de louer ses espaces. « Si cette source de revenus reste limitée, elle est indispensable pour deux raisons. Financièrement, ce n’est pas négligeable, car je vends 5 TG entre 80 et 150 €/mois. Et en rentrant les opérations des laboratoires au sein de notre officine, cela nous oblige à se structurer autour d’un planning », explique cet ancien de l’industrie pharmaceutique. Lui, propose des vitrines, des TG et des intercomptoirs en location. Résultat, les ventes le surprennent parfois. « Nous avons soutenu Novanuit, car nous avions l’opportunité de monnayer les TG et les vitrines pendant une opération commerciale. Les ventes ont été multipliées par 8 ou 10, selon les mois. J’ai aussi mis en avant Oenobiol, avec un covering de 3 × 3 m, une TG et une opération commerciale. Nous n’avions jamais référencé cette marque et nous l’avons poussée pendant deux mois. Ça a bien marché. Mais attention, le tarif d’achat d’espace est dégressif au fil des semaines. », poursuit le titulaire, qui observe que certains labos n’ont pas de budget pour les coverings. Aujourd’hui, il gagne environ 5 000 €/an via l’achat d’espace. Pour en arriver là, il a dû s’organiser. « Pour l’instant, c’est encore fait à la hussarde, sur un coin de table avec le commercial. Engager ce genre de discussion avec un laboratoire est compliqué. Il faut commencer par faire deux ou trois opérations et répertorier leur retour sur investissement, pour se constituer un book afin de montrer que les espaces vendus sont rémunérateurs. Bien sûr, il faut choisir le bon produit à forte notoriété, au bon prix et au bon moment. Jamais un laboratoire ne m’a proposé de l’achat d’espace spontanément. Il faut donc oser demander, de préférence aux marques avec qui on entretient une bonne relation et leur montrer que c’est un deal gagnant-gagnant. Après l’opération, il faut aussi vérifier que les contrats de coopérations sont bien respectés. »
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