Du marketing dans la yaourtière

Qui se cachait derrière la session consacrée aux probiotiques lors des derniers entretiens de Bichat ? Qui organisait l’atelier consacré aux mêmes probiotiques cette année au Médec ? Réponse : Danone Santé, une nouvelle entité créée fin 2004 par le géant de l’agroalimentaire, entièrement dédiée à l’information des médecins. Silvy Auboiron, responsable de la communication auprès des professionnels de santé, justifie cette nouvelle démarche : « Nous commettions une grossière erreur en nous adressant uniquement au grand public car les messages santé sont automatiquement relayés par les patients à leurs médecins. Aujourd’hui notre but est de montrer aux professionnels de santé que nous travaillons sérieusement et de leur apporter des données scientifiques sur l’écosystème intestinal. Nous sommes bien sûr ouverts aux questions des pharmaciens. »

Autant dire que certaines mises au point ne sont pas inutiles, surtout dans l’univers des laits fermentés que beaucoup confondent avec un probiotique. « Un lait fermenté n’a pas forcément de bénéfice sur la santé. Il faut le démontrer », insiste Gérard Corthier, gastroentérologue. Ainsi Yoplait Renforce vient de se faire épingler par la DGCCRF qui a soumis le dossier de ce lait fermenté à l’AFSSA. La firme avait octroyé à son produit l’allégation « renforce les défenses naturelles ».

L’atout prévention des aliments fonctionnels.

Danone a pris l’initiative de soumettre le dossier d’évaluation Actimel à l’AFSSA, qui a accepté l’allégation « participe à renforcer les défenses naturelles de l’organisme ». Un message qui sous-tend une action sur le système immunitaire… Rappelons qu’un spot publicitaire montrant un enfant mettant des mains sales à sa bouche en consommant Actimel pour « renforcer ses défenses » a été interdit de diffusion. Au-delà d’un marketing acéré se profilent pourtant deux études cliniques en double aveugle (265 et 928 nourrissons) dont les résultats montrent une diminution de la sévérité des diarrhées pour l’une et de leur fréquence pour l’autre. « Chez les adultes, un essai pilote (200 ml d’Actimel par jour) sur 360 personnes de plus de 60 ans a montré un effet sur la durée des pathologies infectieuses. Actuellement nous essayons de trouver des marqueurs plus précis et nous allons débuter des tests sur les femmes allergiques au nickel », rapporte Silvy Auboiron.

Même méthodologie scientifique pour le yaourt Bio qui « active le transit ». L’action est cependant dose-dépendante et, comme avec tous les probiotiques, cesse à l’arrêt de la prise. Le temps de transit peut diminuer de 30 heures avec deux pots par jour chez les sujets au transit très ralenti. « Mais attention, nos probiotiques sont avant tout des aliments ! Nous les positionnons dans un contexte de prévention au jour le jour chez l’homme sain. Le cadre de la pathologie revient aux médicaments », affirme Silvy Auboiron. Reste que la frontière entre un transit ralenti et une constipation s’avère ténue.

Les compléments alimentaires et leurs promesses.

La différence entre un aliment fonctionnel et un complément alimentaire peut paraître encore plus subtile, mais Silvy Auboiron n’est pas à cours de bons arguments. « Le domaine de l’agroalimentaire est très surveillé, nous sommes soumis à des normes draconiennes de qualité et de sécurité. Alors que nous sommes potentiellement moins dangereux que des gélules dont on peut facilement accroître les doses. »

Les consommateurs doivent cependant être rassurés, aucun risque sanitaire avec les probiotiques n’a été rapporté. Mais les scientifiques ne cachent pas leur déception vis-à-vis des promesses véhiculées par certains compléments alimentaires. « J’espère que le marché va s’assainir dans les années à venir pour voir disparaître les allégations mensongères », confie Gérard Corthier, qui prend pour exemple un produit censé… « réduire le stress du lundi matin » ! Les industriels sont donc invités à tenir leurs promesses.

Le message semble avoir été reçu 5 sur 5 par les principaux acteurs en pharmacie. A commencer par Merck Médication familiale qui va publier, d’ici l’été, une étude sur Bion 3 dans Clinical Nutrition. « Nous avons montré une stimulation des marqueurs biologiques de l’immunité et une diminution de la symptomatologie des infections ORL », informe Bertrand Duvernoy, responsable marketing. Lancé en novembre 2002 en France, l’« activateur de santé » bénéficie d’une aura médicale et a déjà du succès (600 000 boîtes vendues en 2004), alors que ses bienfaits ne reposaient jusqu’à présent que sur la bibliographie générale sur les probiotiques.

Du nouveau dans l’atopie du nourrisson.

Dernier-né des probiotiques officinaux, Ditopy (A-Derma) a quant à lui un positionnement bien spécifique, celui de la prévention et de l’amélioration de la dermatite atopique grâce à Lactobacillus rhamnosus GG. Le produit est né suite à la parution d’une étude finlandaise (voir page 18). « Nous avons préféré choisir une autre souche, plus stable mais dont l’activité immunitaire a été testée in vitro, informe Catherine Bernier, chef de produit, et nous avons lancé une étude clinique (une centaine de nourrissons) sur le versant curatif. » La promotion de Ditopy est assurée par la visite médicale auprès des dermatologues. Objectif : former et générer des prescriptions. « Dans l’atopie du nourrisson, nous savons que la majorité des pharmaciens se reposent sur les prescriptions. La voie orale est souvent un frein au conseil chez le bébé », reconnaît Catherine Bernier, qui positionne Ditopy en complément des soins Exoméga.

Le laboratoire Pileje, pionnier des probiotiques avec Lactibiane, fait du choix de ses souches une priorité. « Nous travaillons en partenariat avec l’Institut Pasteur de Lille et nous évaluons le profil de cytokine de chacune d’entre elles », explique le Dr Didier Chos, consultant pour Pileje. Ainsi, Lactibiane Tolérance (alimentaire) est positionné antiallergique, Lactibiane Voyages serait plutôt anti-infectieux et le produit phare de la gamme, Lactibiane (aujourd’hui premier produit de micronutrition, prescrit par 1 500 médecins), s’adresse aux troubles digestifs. « Son efficacité clinique sur les troubles fonctionnels intestinaux est actuellement évaluée par une étude clinique en double aveugle contre placebo », annonce Didier Chos. Force est cependant de constater que les médecins et les pharmaciens n’ont pas attendu d’avoir l’assurance d’une efficacité pour conseiller les probiotiques…

Le premier marché fut ibère

Les premiers yaourts Danone furent commercialisés par les pharmacies espagnoles en 1919. Une idée d’Isaac Carasso, fondateur du groupe, qui s’inquiétait des infections intestinales touchant de nombreux enfants à Barcelone.

Laits infantiles et probiotiques : « une logique de bon sens »

L’avis du Pr Olivier Goulet, service de gastroentérologie et nutrition pédiatriques à l’hôpital Necker (Paris)

« Les laits infantiles enrichis en probiotiques présentent l’intérêt de développer la flore bifide en vue de stimuler l’immunité intestinale et de modifier le transit en augmentant le volume des selles. Ils trouvent leur place en cas de troubles du transit (tendance à la constipation, colopathie) et en relais de l’allaitement maternel. Mais attention, leur constitution n’est pas identique au lait maternel, ils s’en rapprochent juste par l’effet spécifique sur la flore bifide ! En ce qui concerne la prévention des gastroentérites, il est extrêmement difficile de mener des études dans la population générale. Les nourrissons reçoivent beaucoup de prescriptions d’antibiotiques. Comment alors démontrer l’effet bifide ? Le lait infantile issu de la fermentation de plusieurs bactéries [le lait Gallia Calisma, NdlR] représente certainement le compromis idéal. Nous pourrions, pourquoi pas, le donner à titre systématique. En pratique clinique, nous sommes dans une démarche basée sur une logique de bon sens plutôt que sur un effet prouvé. »

Les probiotiques et le conseil au comptoir

Témoignage de Brigitte Dumoulin, pharmacienne adjointe à la Pharmacie du Centre (Athis-Mons)

« Je me suis spécialisée en nutrithérapie. C’est nécessaire pour conseiller les compléments alimentaires, en particulier les probiotiques. Ici, nous proposons principalement le produit du groupement Pharmavie : Bêta-Concept Nutri Flore Intestinale. Je le conseille dès que l’on suspecte un désordre de la flore, après une diarrhée mais aussi à la ménopause. J’insiste sur la prise le matin à jeun, pour raccourcir le temps de vidange gastrique et éviter la destruction par sécrétion acide. J’explique que l’administration de probiotiques facilite l’assimilation de la nourriture mais aussi des traitements. Les gens sont cependant un peu hermétiques à ce type d’approche, mais le message finit par passer à force de le répéter. J’ai déjà envisagé de faire une vitrine sur la flore, avec l’aide de Danone, pour montrer ses propriétés. Je placerai un gros tuyau et de beaux schémas scientifiques détaillés. Cela suppose évidemment une mobilisation de toute l’équipe au comptoir pour relayer l’information. »