Des services dans le moteur !
Pour résister à la concurrence, la pharmacie – comme tous les commerces de proximité – doit désormais passer par la case « service ». Affichant ainsi sa volonté de satisfaire ses patients-consom’acteurs. Mais comment faire ? Et quels types de prestations proposer ? Conseils d’experts et exemples concrets.
Dépassant Nespresso, Dior Parfums et Guerlain, le site vente-privée.com vient d’être primé pour la qualité de sa relation client en ligne et de son service client ! Paradoxalement, en dématérialisant l’achat, Internet a redimensionné la notion de service, et en a fait une valeur incontournable. Cette mutation a atteint le point de vente physique où le service doit désormais être exploité comme l’argument numéro 1 pour fidéliser le client.
Le pharmacien n’échappe pas à ce nouveau courant influencé par la technologie 2.0, tout comme il n’est aujourd’hui aucune marque ni aucune enseigne qui ne se revendiquent d’être au service de ses clients.
Pour Jean-Jacques Gressier, président-directeur général de l’Académie du service, cette « approche service » n’est pas en contradiction avec le monde de l’officine. Bien au contraire. Ne serait-ce que par la définition originelle du mot service, qui signifie « prendre soin de l’autre et qui met le pharmacien en position de force ! », rappelle-t-il. Le challenge consiste à prendre soin d’une personne au-delà du traitement ! Tout en sachant qu’un bon service est un service unique, qu’on ne retrouve donc pas chez les autres… et difficilement reproductible. Autant dire qu’un accueil soigné n’est pas un service mais la base d’un commerce, préalable nécessaire à tout service.
1° Ces petits plus
Qui dépannent
Comment matérialiser sans l’user un concept aussi abstrait que le service au client à l’officine ? D’abord, il faut savoir de quoi on parle. La distinction entre les services et les composantes de l’exercice officinal se révèle parfois complexe. D’autant que l’expression « services pharmaceutiques » est d’ailleurs régulièrement utilisée — notamment à l’étranger — pour définir certaines missions du pharmacien. « Les services peuvent être définis comme tout ce qui est convenients, c’est-à-dire le service direct au consommateur qui va lui faciliter la vie, comme les horaires d’ouverture adaptés au mode de vie de la clientèle, le portage à domicile ou encore un système de dépôt d’ordonnance », explique Dominique Filio, de la société Actes d’Achats. Enrichis récemment par l’autorisation de vente de médicaments sur Internet, les services offerts par la pharmacie s’inspirent souvent de l’évolution du comportement des consommateurs. Par services, on entend donc ces « petits plus » qui distinguent une officine de ses concurrentes : piluliers classiques ou électroniques, télésurveillance lancée en 2008 mais encore sous-utilisée. Il peut aussi s’agir de bornes interactives informant les voyageurs sur les précautions à prendre en fonction de leur destination, mise en place par exemple par la pharmacie du terminal 1 de Roissy-CDG avant son transfert. Jean-Marie Corteville, dirigeant de la société Azimut à Larmor-Plage, a ainsi équipé ces dernières années plus de 200 pharmacies en affichage dynamique. Ces bornes d’un coût entre 2 000 et 3 000 euros dispensent par le biais de questionnaires, informations et conseils sur les pathologies.
Déborder de son exercice officinal habituel n’empêche pas de rester connecté à sa profession. Des exemples ? « Déchiffrer avec le patient une analyse de sang, lui proposer d’appeler le secrétariat du médecin pour prendre rendez-vous ou encore utiliser les nouvelles technologies pour simplifier la vie des parents qui recherchent du lait pour un bébé de 6 mois à Paris le week-end », énumère Dominique Filio. « Il s’agit de capter « l’occasion client » et de prendre conscience de la valeur de ce contact. La Poste l’a compris le jour où elle s’est rendu compte qu’avec 3,5 millions de clients par jour elle pourrait étendre le service à la téléphonie avec l’opérateur SFR », expose Jean-Jacques Gressier.
Défi marketing
Autre élément qui devrait inciter le pharmacien à s’engager dans le service : le profil du client contemporain. De plus en plus autonome dans son mode de consommation grâce à la technologie 2.0, le chaland ne reste pas moins dans des moments spécifiques de sa vie en quête d’une relation humaine forte, pourvu qu’elle soit de qualité. Ce défi peut néanmoins être relevé aisément. Pour se lancer, il suffit comme le conseille Xavier Pavie*, chercheur-enseignant à l’Essec Business School et directeur de l’ISIS (Institute for Strategic Innovation and Services), que le titulaire décline les trois « P » du marketing service (process, people, physical environment) dont dispose d’ailleurs — par nature — la pharmacie… Concrètement, il s’agit d’ajuster son processus de services à sa clientèle et à son environnement. Et d’affirmer : « Il est faux de considérer que le service s’ajoute au produit. Les produits quels qu’ils soient, sont au service du service ! Le produit n’est qu’un support. En réalité, le client entre dans la pharmacie pour y trouver une solution à son problème du moment », poursuit Xavier Pavie citant des marques qui ont développé des produits sur ce concept de solution. Ainsi, l’iPhone, qui a bâti son iTunes, ou encore JC Decaux, créateur du Vélib’. Deux exemples dans lesquels le produit est « structurellement modifié par le service. »
2° Carburer au plaisir
Confiance et innovation à gogo
Tout comme le client aime se rendre dans l’Apple Store parce qu’il y trouvera le service souhaité, il doit éprouver du plaisir à pousser la porte de son officine. À ce propos, des aménagements sont trouvés pour gérer l’attente grâce à des pôles d’accueil ou encore par une caisse automatique comme celle récemment installée dans la pharmacie de la gare Saint-Lazare. Michel Badoc, professeur émérite au département marketing HEC Paris, est persuadé qu’il est vain pour le titulaire de vouloir calquer son point de vente sur le 2.0. « Celui-ci aura toujours une longueur d’avance ! » Au contraire, le pharmacien doit selon lui cultiver la notion de plaisir du client et susciter sa confiance, deux stades préalables à l’introduction du service. « Cela commence par un cadre agréable sollicitant les cinq sens, un sourire et la mise en avant de la compétence, qui à eux seuls peuvent déjà potentialiser les ventes de 15 % », assure Michel Badoc. Il en veut pour preuve l’image positive dont les banquiers jouissent — à titre individuel — auprès de leurs clients et qui les met dans une position favorable pour approcher d’autres services (assurance, immobilier…) « La confiance dans son pharmacien qu’aura le client permettra d’élargir les besoins vers des services comme les soins cosmétiques ou encore les conseils diététiques », décline-t-il. Pour autant, ce savoir-faire et cette valeur ajoutée qu’il peut apporter dans la relation client ne dispensent pas le pharmacien d’innovation. Xavier Pavie est formel : « il en va de sa survie. Avant lui, d’autres métiers et d’autres sociétés notamment dans les transports en commun, l’énergie, la communication ont opéré cette démarche. Et doivent eux aussi leur survie à l’innovation dans le service », rappelle-t-il. Ne craignant pas de parler d’un nouvel « écosystème du pharmacien ».
Viser l’exception
Cette imagination doit être mise au service d’une innovation de rupture. « Il faut surprendre le client, casser les habitudes du marché. Pourquoi n’existe-t-il pas de pharmacie dans le métro ? Pourquoi ne pas organiser des relevés d’ordonnances et des livraisons de médicaments au sein des entreprises avec le soutien des CE ? » suggère Xavier Pavie. Ne manquerait-il donc au titulaire que l’inspiration ? Pas question pour autant de tomber dans la « gadgétisation » du service. Ni de copier la GMS. « Le titulaire doit chercher le service d’exception qui n’existe nulle par ailleurs », recommande Michel Badoc. Il fait référence au bon libraire qui subsiste face à Amazon parce qu’il dispense de bons conseils. « Les clients sont en quête de services comme une offre de produits plus sophistiqués, voire plus chers, de marques moins connues. Le service du pharmacien doit se recentrer sur son savoir. » Pourquoi, s’interroge-t-il, ne pas, à l’instar des grands chefs, créer des produits élaborés à partir d’un savoir-faire ? Par exemple, pourquoi ne pas vendre un cosmétique « à la marque de la pharmacie » concocté par les préparateurs de l’équipe ? Ou, plus simplement, proposer la dégustation de tisanes « home made », comme le fait Florence Sacareau, installée à Paris, rue du Four, pour se démarquer de ses concurrents.
3° Quel modèle économique ?
Faire payer ou pas
Le marketing relationnel s’impose désormais comme véritable élément différenciateur. La profession dispose de tous les atouts pour l’appliquer. Reste à bâtir un modèle économique autour du service. Doit-on le faire payer ? Quelle distinction entre service et prestation ? La rémunération fait-elle la différence ? Un service doit-il toujours être gratuit ? Les avis divergent sur la question. Si les missions du pharmacien en lien avec le cœur de métier peuvent être considérées comme des prestations et doivent par conséquent être rémunérées, la ligne de démarcation est moins nette pour les services. Tout dépend de la nature du service. S’il est simple « convenient » ou s’il est un service à valeur ajoutée périphérique à la pharmacie comme les consultations de diététique ou d’orthopédie. « La gratuité n’est pas toujours une bonne chose. On remarque que le fait de payer le service le valorise. Les pharmaciens ne vendent pas assez leur savoir », objecte Michel Badoc. « On peut le faire payer quand il y a une valeur ajoutée, il faut juste en expliquer les coûts au patient », conseille de son côté Xavier Pavie, lequel remarque encore « une certaine honte chez les titulaires à facturer un service. » Pas question donc de tomber dans l’assistanat. Aujourd’hui, à la croisée des chemins, le pharmacien doit bâtir un autre modèle économique fondé sur une stratégie services. C’est en s’appuyant sur le tandem produit-service que le service devient rentable. À Hoenheim, Christophe Richard est le titulaire de la pharmacie de la Poste, la première officine à avoir ouvert un drive-in en France en 2001. Aujourd’hui, ce service conçu pour les mères de famille qui constituent quatre cinquièmes des utilisateurs, génère 20 % du trafic quotidien de l’officine, dont il a augmenté la fréquentation et la zone de chalandise.
La solution de Philipe Mercier
Pour Philippe Mercier, titulaire de la pharmacie de la Cathédrale à Dol-de-Bretagne, le retour sur investissement n’est jusque-là pas au rendez-vous. En 2007, il a créé « A.D.O.S.T. — Plan de prise », un outil d’Aide au développement de l’observance et de la sécurité thérapeutique au service des patients âgés qui ont des problèmes de mémorisation et de compréhension. La réalisation de ces feuillets mobiles contenant pour chaque patient les périodes de prise, les heures et la galénique est chronophage. Sans compter le temps passé à expliquer le fonctionnement de l’outil. « À chaque modification du traitement, il faut aussi intervenir sur le support », précise Philippe Mercier qui chiffre à dix euros environ le coût de chaque modification. Mais à raison de deux par patient et par mois, le modèle atteint aujourd’hui ses limites économiques pour le titulaire qui accompagne une dizaine de patients. « Je pourrais pourtant en suivre dix fois plus tant la demande est importante ». Pour garder sa longueur d’avance, pérenniser et développer ce service, Philippe Mercier a trouvé une solution. Il va bientôt monter une structure indépendante spécialisée en informatique qui proposera A.D.O.S.T à ses confrères désireux de s’engager dans le service de l’observance. Ou comment créer une société au service… du service.
* Auteur de L’Innovation responsable, levier stratégique pour les organisations. Éditions Eyrolles. 2012.
En pratiqueDistribution automatique
À Lannoy dans la banlieue de Lille, Michel Colin a voulu rendre service à ses clients en adossant en août dernier un distributeur automatique de produits de première nécessité à son officine. Dans le haut, les laits pour bébé qui dépannent les parents distraits le week-end, dans le bas, les préservatifs qui se font discrets et, au milieu, les produits saisonniers. « Le dimanche matin, les clients viennent prendre une crème solaire avant d’aller à la plage et le soir ils repassent prendre un soin apaisant… » décrit Michel Colin, qui constate que, dans la journée, son automate est utilisé par des personnes voulant éviter la file d’attente à l’officine.
En pratiqueDrive-in
Emmanuelle Sauthier s’était toujours dit qu’en tant que mère de famille, elle aurait apprécié une pharmacie en drive-in à l’image des chaînes de restauration rapide. Il y a deux mois, elle a fait installer un tel comptoir dans son officine de Villeneuve-d’Ascq. La titulaire a ainsi pu réaliser son vœu « sans grands travaux », se félicite-t-elle : « 70 à 80 % de mes clients drive-in sont des personnes avec des enfants en bas âge. En plus, je me sers du local comme sas de garde ! » Même constat pour Jean-Marc Facq installé à Montataire, qui a lui même relevé les mesures du McDo voisin pour aménager son comptoir drive. « On rend service aux mamans mais aussi aux fumeurs ! », déclare le titulaire, qui consacre au drive-in un poste de travail à part entière près des stocks. Si le drive-in a l’inconvénient de limiter les achats spontanés, il attire une clientèle hors de sa zone de chalandise, notamment aux heures de sortie d’école.
CommunicationLe bon service fait son buzz
« Pour les commerçants de proximité, le bouche à oreille est la meilleure pub », confirme Jean-Jacques Gressier. En termes de communication, le président de l’Académie du service ne croit pas aux chartes service affichées en vitrine ou dans le point de vente : « Elles n’intéressent pas les clients. Pour eux, ces chartes ne sont que le minimum légal. En revanche, ce qui leur importe, ce sont les contreparties qu’on leur offre si les engagements de service différenciant ne sont pas tenus ». Face à ces nouvelles exigences, tenir ses promesses ne suffit souvent plus. Il faut dépasser les attentes du client. « La qualité perçue par le client est essentielle, c’est elle qui déterminera la recommandation, plus importante que la communication », assène Xavier Pavie. A l’instar de cette interactivité mise en place par le bouche à oreille dans une communauté, les réseaux sociaux peuvent jouer le même rôle dans la communication du service. Par sa souplesse d’utilisation, le blog peut être un média idéal pour le pharmacien désireux de communiquer sur son savoir-faire et de se rattacher à une communauté.
M.L.
En pratiqueJournal « home made »
Prolonger le conseil au comptoir est également le service que les adhérents du groupement Calipharma dans le Nord offrent par le biais de leur journal Cali Infos. Une fois par trimestre, les titulaires rédigent à l’intention de leurs patients des articles de fond sur une pathologie, ou sur un sujet d’actualité de politique de santé. « Cela me demande plusieurs soirées de travail et de relecture mais nos patients sont heureux de voir que nous nous investissons pour leur fournir des informations de manière didactique », reconnaît Annick Ulrich qui détient avec son époux Bernard une pharmacie à La Madeleine. À Aire-sur-la-Lys, sa consœur Anne Dollé, co-rédactrice de Cali infos fait le même constat : « Nos patients sont contents que nous nous impliquions dans leur information, ils aiment trouver en toute confiance des réponses à leurs questions ».
En pratiquePôle beauté & paramédical
L’expérience en pharmacie ne s’arrête pas à la distribution de médicaments. Guillaume Duffez a ainsi doté son officine de Meximieux d’ une multitude de facettes (nutrition, phytothérapie… ) grâce à la spécialisation de chacun des membres de l’équipe ainsi que par l’embauche de deux esthéticiennes et d’une orthopédiste à temps plein. Il a aménagé un local pour recevoir ses patients dans l’esprit de son officine. « Nous y offrons des mini-soins avec des esthéticiennes, des entretiens sur les fleurs de Bach ou des conseils en micronutrition. Il est également possible de se faire faire un corset sur mesure ou des semelles orthopédiques, une offre inexistante dans la région », décrit le titulaire. Moyennant ces services, son officine située à une demi-heure de Lyon maintient son niveau d’activité et draîne une population nombreuse dans cette zone rurbaine.
En pratiqueLangage adapté
J’ai une préparatrice turque, une autre qui parle arabe et je suis en train de recruter une apprentie parlant turc. » Pour Jean-Yves Roux, titulaire de la pharmacie des Rochettes à Oyonnax, située au cœur d’une forte population immigrée, ce service linguistique est une évidence. « C’est une nécessité dans un domaine médical, de pouvoir communiquer de manière précise et sans équivoque avec le patient », expose-t-il. Un service gagnant-gagnant qui lui vaut une bonne réputation auprès de la population du quartier et pour lequel il n’a pas besoin de communiquer. Le bouche à oreille de la communauté turque s’en charge.
En pratiqueColombophilie…
Jean-Noël Padé, titulaire de la pharmacie des Provinces à Wingles (dans le Nord près de la frontière belge) s’est fait le spécialiste des colombophiles de la région. Féru de véto et passionné par les NAC (nouveaux animaux de compagnie), il dispense ses conseils et explique l’adaptation des gammes de produits initialement destinés aux volailles. « Cela évite aux clients concernés d’aller se fournir en Belgique et leur permet de conserver un loisir de plus en plus cher en raison de la crise », explique-t-il.
En pratiquePédagogie on-line
Le service existe aussi dans sa dimension digitale : vente Internet de produits para et de médicaments OTC, service « pick-up » de médicaments sur ordonnance réservés sur Internet pouvant être retirés à l’officine… Pourtant, Ilham Sentissi, titulaire de la pharmacie de l’Espérance à Reims, continue de voir dans son site Internet avant tout un outil pédagogique. « Mon site permet de poursuivre par un service de conseils ma relation au comptoir avec le client. Il renforce le lien en communiquant des informations sur les pathologies et en expliquant certaines actualités santé que je n’ai pas le temps d’exposer dans mon officine. C’est également un moyen de rompre l’isolement de certains patients », croit la titulaire qui depuis l’ouverture de son site en mai 2012 comptabilise une centaine de visites par jour.
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