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Comment se préparer à la fin du monopole ?

Publié le 30 juin 2017
Par Favienne Colin
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La tension monte chez les pharmaciens suisses. Le législateur veut faciliter l’automédication en élargissant la vente de certains médicaments. Une discussion est en cours pour qu’une partie d’entre eux deviennent disponibles n’importe où. Par exemple, en supermarché ! à quand la même mesure en France ? Emmanuel Macron souhaite qu’une « instance de concertation » travaille sur les questions de la vente des médicaments en ligne et en grande distribution. Ce point n’aura pas échappé à Michel-édouard Leclerc. Le trublion de la grande distribution promet depuis longtemps une baisse de « 20 à 25 % » des prix de l’OTC s’il pouvait en vendre dans ses paras.

SURVEILLER ses prix

Avant même l’entrée en scène des supermarchés, la guerre des prix fait déjà rage dans certaines zones de chalandise. Certains pharmaciens positionnent leur entreprise sur le discount. Que fera de plus la grande distribution ? Prenons l’exemple de l’Italie. Depuis 2006, l’OTC est autorisé à la vente en dehors des officines. Toutefois, cette commercialisation doit se faire en présence d’un pharmacien, dans un lieu séparé des autres activités, et avec une caisse dédiée. Depuis cette nouvelle réglementation, la baisse des prix de la médication familiale est estimée entre 15 % et 20 %. À peine moins qu’espéré par Michel-édouard Leclerc. « Cela a affecté la marge de façon immédiate », observe toutefois Paola Gallas, consultante en stratégie, spécialiste de l’officine. De son côté, Caitlin Sorrell, DG d’Alphega Pharmacy Europe, estime que « les pharmaciens italiens qui ont baissé dès 2006 leur prix ont réagi trop rapidement. Le pharmacien indépendant n’a nul besoin d’être leader sur les prix s’il est capable d’offrir un service à valeur ajoutée au consommateur », conseille-t-elle.

RESTER stoïque

De fait, l’OTC n’a pas déserté l’officine en Italie. Certes, des supermarchés ont créé des corners de parapharmacie, mais la clientèle ne s’est pas ruée dessus. Aujourd’hui dans la Botte, « les officines détiennent toujours plus de 90 % du marché de l’OTC. Rappelons que le pays compte 18 500 pharmacies, 4 000 parapharmacies et 300 corners de grandes surfaces », détaille Caitlin Sorrell. Un phénomène similaire se déroule au Royaume-Uni. On a toujours pu y acheter son ibuprofène et ses pastilles pour la gorge chez son buraliste ou en station service… Pour autant, la situation est loin d’être alarmante pour l’officine. « Environ 60 % des ventes d’OTC sont réalisées en pharmacie, 30 % en GMS et 10 % ailleurs, dans les stations service, les supérettes… », remarque Caitlin Sorrell. Dans les faits, outre-Manche, l’OTC vendu hors pharmacie se cantonne surtout au dépannage.

PROFESSIONNALISER l’offre

Quoi qu’il en soit, une concurrence exacerbée impose de réagir. Au Portugal, l’état avait autorisé la vente de l’OTC en dehors des officines en vue de rendre l’accès à ces produits plus pratique. L’objectif semble en partie raté. « Aujourd’hui, 80 % des ventes de médicaments OTC en dehors des officines est réalisée par trois grandes chaînes de supermarchés : Continente, Pingo Doce et Jumbo. C’est-à-dire dans les grandes villes et pas à la campagne. Les citoyens n’ont pas eu les bénéfices escomptés », estime Fernando Monteiro, titulaire à Guimarães, une ville portugaise de 150 000 habitants. Une manière pour ce membre du think tank European Pharmacist forum (EPF) d’offrir un argument à ses confrères français contre la fin du monopole. Et d’ajouter : « Il faut se concentrer sur la relation de proximité avec le consommateur et la praticité d’accès. Il faut un parking, beaucoup de lumière, un lieu très ouvert… » Une démarche que de nombreuses officines françaises ont déjà adoptée. Comme en Italie, où les pharmaciens ont fait face en devenant de meilleurs commerçants. « Ils ont rénové leurs points de vente, optimiser leur assortiment en ajoutant notamment des cosmétiques et de la nutrition. Surtout ils se sont concentrés sur de nouveaux services de diagnostic, de prévention, ou encore d’éducation thérapeutique », indique Paola Gallas.

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MONTER en compétence

Toutefois, il faut rester dans un esprit cherchant à valoriser l’équipe, selon Caitlin Sorrell. « Certains pharmaciens italiens ont permis à des personnes extérieures de développer leurs services dans leur propre pharmacie. C’est une erreur de ne pas monter en compétences soi-même, estime la dirigeante. En développant son propre savoir-faire, on contribue à assurer la différenciation de son officine. »

Le service internalisé constitue aussi une façon de fidéliser la clientèle. Ainsi, « au Royaume-Uni, les médicaments pour les enfants demeurent davantage achetés en officine que les autres. Cela montre l’importance de développer le lien avec les consommateurs. Établir une relation de confiance, c’est défendre son territoire », résume Caitlin Sorrell. Fernando Monteiro abonde dans ce sens : « Pour anticiper une éventuelle fin du monopole, il faut s’assurer d’entretenir une forte compétence technique au sein de son équipe ».

LE CAS DU MOIS

Inutile de faire l’autruche. Depuis le temps que Michel-Édouard Leclerc. milite pour l’arrivée des médicaments sans ordonnance dans les parapharmacies de ses supermarchés… ses désirs vont bien finir par devenir réalité. D’autant qu’en Europe, l’Italie, le Royaume-Uni ou encore le Portugal ont passé le cap de l’AMM en grande distribution. En France, si Emmanuel Macron ne remet pas en cause la vente de médicaments sous la responsabilité d’un pharmacien, il laisse un point d’interrogation quant à la distribution des produits de prescription médicale facultative hors d’une officine. Un jour, vous le savez, l’OTC pourrait vous échapper. Autant vous préparer à un tel scénario, pour ne pas avoir à le subir. Pour cela, profitez du retour d’expérience de nos voisins européens.

LES EXPERTS

Fernando Monteiro titulaire à Guimarães, au Portugal, et membre du think tank European Farmacist Forum (EPF)

Paola Gallas consultante en stratégie spécialiste de la pharmacie en Italie

Caitlin Sorrell directrice générale d’Alphega Pharmacy Europe

AH OUI !

Mettre en valeur l’équipe (ses diplômes, ses compétences, ses spécialisations, ses services…) afin que la clientèle perçoive la démarche d’accompagnement santé.

OH NON !

Engager la course aux prix. Cette stratégie peut s’avérer court-termiste. D’autres circuits que les pharmacies ont toute latitude pour y avoir recours et avec des moyens plus puissants.

RÉACTION

« il faut créer des services différenciants »

Fabien Brault-Scaillet titulaire de la pharmacie de la chaussée à montargis

Les pharmaciens ont déjà perdu l’optique, la location de matériel médical, l’orthopédie… En ce qui concerne l’OTC, les laboratoires ont mis sur le marché, sous leur marque de médicaments, des dispositifs médicaux qui peuvent être vendus partout », déplore le titulaire. Alors que faire pour inciter les gens à venir en officine ? « Créer des services différenciants afin que les clients aient le réflexe de venir chez nous pas uniquement pour un produit de santé et de beauté. À nous de faire preuve d’imagination et de créativité. Souvenons nous que nous faisons de la santé publique. » Ainsi, à la Pharmacie de la Chaussée, on trouve des personnes compétentes en diététique. Elles accompagnent gratuitement les patients en surpoids par exemple. « N’oublions pas qu’une personne qui a perdu 5 ou 10 kg en discute avec ses proches. C’est la même chose pour le sevrage tabagique. Le fumeur qui a arrêté de fumer grâce à votre soutien, en parle autour de lui… Dans la zone de chalandise, ça finit par se savoir : via le client mais aussi via le généraliste souvent… » Et lorsqu’on interroge Fabien Brault-Scaillet sur sa politique de prix attractive, il répond : « Bien sûr, il faut rester vigilant sur les prix car on peut donner un conseil et voir le patient acheter ailleurs. Mais dans les faits, les gens sont reconnaissants du travail d’accompagnement. J’avais une chef de rayon bébé tellement réputée que les prescripteurs l’appelaient la “puéricultrice” de la pharmacie… »