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ça gronde dans les DOM-TOM !

Publié le 19 avril 2008
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Pratique marquée par de fortes spécificités, difficultés quotidiennes, inquiétude croissante, angoisse face à l’avenir… Les pharmaciens des DOM-TOM, solidaires, attendent plus d’écoute et de considération des laboratoires et des pouvoirs publics.

Paradisiaque, l’exercice pharmaceutique outre-mer ? En apparence seulement. Dans les faits, beaucoup moins. Nombreuses sont en effet les difficultés auxquelles se heurtent nos confrères domiens et tomiens. C’est ce qui ressort de l’enquête IFOP Healthcare menée pour le compte des laboratoires Sanofi-Aventis auprès de 188 pharmaciens et 118 préparateurs qui exercent à la Réunion, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

A leurs yeux, la pratique ultramarine est à la fois spécifique et désavantagée par rapport à la métropole. La distance, l’insularité, l’équipement moindre en matière de communications et de transports notamment sont effectivement à l’origine de problèmes que ne connaissent pas leurs confrères hexagonaux. « Nous avons de gros soucis par rapport à l’approvisionnement, avec des délais de livraison beaucoup plus longs. Par ailleurs, nous ne parvenons pas à travailler en direct avec un certain nombre de laboratoires. Du coup, nous ne bénéficions pas des mêmes conditions commerciales qu’en métropole, alors même que le coût des produits est supérieur en raison des frais de transport supplémentaires », se plaint Rémi Vila, installé aux Abymes, en Guadeloupe.

Des pharmaciens snobés par certains laboratoires

Des problèmes d’approvisionnement et de coût qui sont encore plus aigus dans certains territoires, considérés par des laboratoires comme quantité négligeable. « Vous n’êtes même pas une tête d’épingle dans nos ventes, vous ne nous intéressez pas », a-t-on un jour répliqué à Viviane Thillier, titulaire d’une officine pourtant importante à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. « Depuis les fusions de laboratoires et l’apparition des holdings, nous avons droit avec certains à la politique du « tout au rien » : soit vous acceptez tout, soit vous n’avez rien. Résultat : nous n’arrivons plus à obtenir certains produits, notamment de parapharmacie », révèle Viviane Thillier.

« Ceux qui élaborent la politique commerciale en métropole n’ont pas conscience du marché outre-mer », déplore Christophe Delest, installé à Nouméa depuis trois ans et demi. Ou ne veulent pas en prendre conscience.

Mais les pharmaciens ne baissent pas la tête pour autant. Et n’hésitent pas à faire jouer la solidarité, à se serrer les coudes. « En nous regroupant, nous permettons aux petites officines d’accéder à des prix intéressants, sans qu’elles soient obligées de commander de grosses quantités et ensuite être confrontées à des problèmes de stocks à liquider ! Il y a également ici un groupement qui permet, lorsque vous y adhérez, d’avoir des tarifs compétitifs », précise Viviane Thillier.

Une nécessité d’autant plus évidente que les patients des pharmaciens ultramarins vivent dans des conditions sociales globalement plus difficiles qu’en métropole. « Mon officine se trouve dans un quartier très populaire, avec des personnes atteintes de pathologies lourdes du type diabète. Ma pharmacie est donc ciblée « médicaments ». Ici, les gens ont l’habitude de payer. Même s’ils n’ont pas beaucoup d’argent, ils viennent directement chercher leur paracétamol sans passer par le médecin, et ils le payent. Face à cette spécificité locale, nous avons fait le choix de mettre les médicaments OTC à prix bas, sans jouer sur les marges », explique Christophe Delest. Outre la difficulté à recruter des collaborateurs, celle de se former fait aussi partie des points noirs.

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Un manque cruel en matière de formations

Avec là encore des problèmes de coût. « Beaucoup de formations, comme par exemple les diplômes universitaires, se font en métropole. Mais le coût n’est pas le même lorsque vous prenez le train pour vous rendre à votre formation et quand vous devez prendre l’avion pour faire 7 000 kilomètres ! », lancee Jean-Claude Marie-Nelly, dont l’officine est située à Rivière-Salée, en Martinique.

Il existe aussi des problèmes d’accessibilité au sein même du département ou du territoire. « Certes, on nous propose des formations mais, rapporté à l’échelle de l’île de la Réunion, il m’est difficile, moi qui suis au sud, de me rendre le soir à une formation qui a généralement lieu dans l’ouest, le point centralisateur », commente Emmanuel Ruette, qui a racheté il y a trois ans une officine à Saint-Joseph.

Selon l’enquête IFOP, près d’un tiers (30 %) des pharmaciens interrogés n’a assisté à aucune formation durant les 6 derniers mois. En moyenne, ils ont assisté à 1,63 formation durant cet intervalle. Un pharmacien sur deux se dit satisfait de l’offre de formation qui lui est proposée. L’enseignement électronique est plébiscité (38 %) par les titulaires, quasi à égalité avec les soirées (42 %) et les sessions de formation sur site (36 %). L’UTIP est l’organisme qui, selon eux, leur propose les formations les plus adaptées à leurs besoins (44 %), devant les laboratoires (36 %) et l’autoformation qui repose en grande partie sur les outils proposés par la presse spécialisée (26 %).

Les besoins en information sont également grands et l’outil Internet (même si la qualité de connexion n’est pas toujours au rendez-vous) est évidemment une grande aide pour nos confrères domiens et tomiens. Ils recherchent surtout des informations sur les nouveautés thérapeutiques et les médicaments en général (82 %), ainsi que sur les pathologies, en particulier celles qui sont spécifiques à leur région (75 %).

Si nos confrères sont plutôt satisfaits de la qualité des informations thérapeutiques, ils le sont moins en ce qui concerne les maladies. Leurs sources d’information sur les médicaments ? Le Vidal en premier lieu (84 %), suivi de la presse professionnelle (69 %), des laboratoires pharmaceutiques (60 %) et des grossistes (57 %). Et ce sont le Vidal et la presse qui arrivent en tête au niveau de l’indice de satisfaction (respectivement 98 % et 89 % de satisfaits). Certains même nous soufflent que Le Moniteur fait partie de ceux-là…

Mais, pour les titulaires, ce sont les informations sur les nouvelles lois et les changements de réglementation qui sont les plus prisées (90 %). Et, là encore, ils considèrent que la qualité n’est pas au niveau de leurs attentes.

Les patients ont confiance en nous »

Pour autant, la pratique de la pharmacie d’officine dans les DOM-TOM n’est pas qu’une perpétuelle source de soucis. Beaucoup de confrères mettent en avant la relation de proximité avec la population, la considération et la reconnaissance dont ils jouissent. Bien plus qu’en métropole. « En arrivant à la Réunion, j’ai trouvé que la structure familiale était bien conservée. Les enfants, les parents, les grands-parents restent dans un même environnement familial, ils ont besoin d’être accompagnés – parfois jusqu’au bout – et, pour certains, d’être médicalisés sur place, notamment ceux qui souffrent de pathologies lourdes. On est donc appelé à se déplacer, à apporter médicaments et matériel, à être très proche, très présent, il y a un vrai suivi. Les patients ont confiance en nous, on se sent reconnu, écouté. C’est un exercice très gratifiant, très enrichissant », reconnaît Emmanuel Ruette.

« Du fait de notre insularité, de l’existence de petites communes, nous sommes amenés à bien connaître la population, à répondre à ses attentes, à partager un même esprit de famille. De manière générale, la relation avec les patients est, je pense, plus proche qu’en métropole, et on sent la population en phase avec ses pharmaciens », poursuit Jean-Claude Marie-Nelly.

De fait, les Français d’outre-mer se disent majoritairement satisfaits de leur pharmacie habituelle (94 % en ont une bonne opinion). Plus de neuf personnes interrogées sur dix se déclarent satisfaites de l’écoute, de l’accueil, des conseils et des informations donnés, ainsi que des explications sur les ordonnances. Trois sur quatre se déclarent fidèles à leur pharmacie.

Selon l’enquête IFOP Healthcare effectuée auprès du grand public, 54 % des personnes interrogées ont déclaré consommer des médicaments au moins une fois par mois (au moins une fois par semaine pour 40 % d’entre elles, une à trois fois par mois pour 14%). Au cours des douze derniers mois, près de neuf personnes sondées sur dix (87 %) ont effectué personnellement leurs achats à la pharmacie. Concernant les achats faits par une autre personne, il s’agissait du conjoint dans 27 % des cas, d’une autre personne de la famille dans 25 % des cas et enfin des enfants dans 11 % des cas.

Toujours au cours de l’année écoulée, une grande majorité s’est rendue chez le pharmacien pour acheter des médicaments prescrits par un médecin (93 %). Un peu plus de la moitié pour acheter des médicaments sans ordonnance (55 %) ou des produits de parapharmacie (52 %). Enfin, près de la moitié est venue demander un conseil (43 %). Mais, à cause des réformes de santé en cours, 46 % des clients interrogés achèteront moins de médicaments non remboursables conseillés par leur pharmacien. En revanche, ils continueraient à venir aussi souvent à la pharmacie (69 %), sans pour autant s’automédiquer plus qu’ils ne le font déjà (67 %).

Des problèmes d’accessibilité aux soins de dessinent

Par ailleurs, les pharmaciens ultramarins semblent éprouver moins de sentiment d’isolement professionnel que leurs confrères métropolitains. En effet, ils sont nombreux à déclarer être souvent ou de temps en temps en relation avec les autres professionnels de santé de leur département ou territoire : 88 % le sont avec leurs confrères pharmaciens et 77 % avec les médecins, ce qui laisse apparaître des relations entre pharmaciens et médecins plus fréquentes que dans la métropole.

Au final, grâce à la solidarité existant entre les officines d’un même département ou territoire, à la relation de proximité établie avec les patients – une spécificité forte de l’exercice outre-mer -, les pharmaciens se disent satisfaits de leur métier, ce qui compense en partie les difficultés quotidiennes. Mais pour combien de temps encore ?

« Avec les baisses de marge et toutes les réformes qui vous nous tomber dessus, le réseau de proximité que nous avons créé, qui permet de maintenir un lien fort avec la population, est en péril. Nous allons revenir sur des modèles beaucoup plus proches de ceux de la métropole. Il faut voir qu’ici le rôle social du pharmacien est beaucoup plus important, et que c’est grâce à ce réseau que nous pouvons assumer ce rôle, y compris auprès de ceux qui vivent à l’écart des grandes villes, dans des zones souvent peu accessibles, analyse Gilles Narboni, qui exerce à Sainte-Clotilde, à La Réunion. Si on casse ce réseau de pharmacies, cela entraînera des problèmes d’accessibilité aux soins, et donc de santé publique. Le gouvernement réalisera peut-être des économies à court et moyen terme, mais à long terme certainement pas. La destruction du réseau officinal, c’est une énorme erreur, y compris en termes de gestion de la santé. »

La désertification rurale est aussi une réalité pour les Domiens

Pour Rémi Vila, installé dans un petit quartier à la fois rural et citadin de Guadeloupe, la baisse déjà effective de 3 % sur le prix des médicaments remboursés va conduire mathématiquement à la disparition des très petites officines. « Il faudra bien faire comprendre à la population que, plus les petites officines vont disparaître, moins il y a aura de service de proximité, d’écoute, de prise en considération du patient. Et qu’est-ce que l’on va retrouver demain ? De grosses structures, où le patient va devoir faire une demi-heure de queue pour être servi. Avec ce système, c’est encore la population qui va en pâtir. »

De façon générale, plus de 80 % des pharmaciens interrogés s’avouent très préoccupés quant à l’avenir de leur métier. Mais ils le sont aussi quant à l’avenir de la qualité des soins. Tous redoutent de devoir annoncer à la population, dont le revenu est généralement faible, que leurs petites officines, avec lesquelles elle entretient une relation privilégiée, sont quasiment condamnées. Ceci alors même qu’une désertification médicale – et, plus largement, une pénurie au niveau du personnel soignant – est d’ores et déjà constatée.

Pour Emmanuel Ruette, c’est évident : « Cette logique comptable, il faut que le gouvernement l’abandonne dès maintenant. Avec cette baisse arbitraire de marge que nous allons subir, j’ai vraiment peur pour la santé économique des pharmacies, dont le maillage est plutôt bien fait sur la Réunion, avec un réseau de proximité solide. Si on étrangle les officines sur le plan économique, les pharmaciens vont licencier, d’autres vont fermer, assure le titulaire. Or, sur une île où il y a un fort chômage, cela va contribuer à générer un peu plus de chômage, moins de services pour les patients. Forcément, les grossistes vont réagir puisqu’ils sont concernés aussi, avec moins de tournées, moins de médicaments disponibles… »

Les pharmaciens veulent une égalité de traitement

L’apparition de pharmaciens discounters n’arrange pas les choses. « Nous avons en Martinique deux grosses pharmacies qui vendent des produits à prix pratiquement coûtants. Pour faire face, nous avons été obligés de nous regrouper pour essayer d’avoir les mêmes conditions d’achat et pouvoir lutter à armes égales, tout en maintenant la qualité des soins, c’est-à-dire le conseil, la proximité, etc. », indique Jean-Claude Marie-Nelly. Emmanuel Ruette craint lui que ce phénomène n’apparaisse également à la Réunion. « Ramené à l’échelle d’une île, c’est un problème important car les gens vont vite aller dans les officines où les prix seront plus intéressants, car ils ont un faible pouvoir d’achat. Ici, il y a beaucoup de chômage… Forcément, toutes les officines autour vont souffrir, le réseau de proximité et avec lui l’accès aux soins. »

Pour l’heure, qu’attendent tous les pharmaciens d’outre-mer ? Réponse de Jean-Claude Marie-Nelly : « Que les pouvoirs publics comprennent mieux nos spécificités liées à notre insularité, à notre éloignement, et aussi cette nécessité de service public, afin que nous puissions conserver un réseau de proximité. » Mais aussi, plus concrètement, les pharmaciens ultramarins veulent une égalité de traitement. « Nous voulons enfin être traités d’égal à égal avec les pharmaciens de la métropole, que ce soit au niveau de la prise en charge, des relations avec les laboratoires ou de l’accès à tous les produits », conclut Gilles Narboni. n

« La loi, quelle loi ? »

Ici, en Nouvelle-Calédonie, la législation est différente. Par exemple, les médicaments d’exception, les médicaments à prescription hospitalière initiale, on ne connaît pas. C’est au bon vouloir du pharmacien de respecter ou non la législation en cours. Ce qui fait que les médecins disent à leurs patients : « Ce pharmacien ne voudra pas vous donner ce produit, allez chez l’autre. » Cette particularité législative crée un décalage entre ceux qui veulent appliquer la loi et les autres, qui se sentent lésés en l’appliquant…

« Le grossiste gagne plus que le pharmacien ! »

Après la baisse du prix des médicaments qui a été décidée par le gouvernement, il y a un réel problème, notamment à la Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, sur le calcul de nos prix et de nos marges. En effet, nous sommes complètement lésés par rapport à la métropole car nous avons un système de dégressivité qui ne s’applique pas. Car c’est nous qui encaissons la baisse de la marge au niveau du répartiteur ! Au final, nous aboutissons à un système où le grossiste-répartiteur, sur les tranches hautes du médicament, gagne plus que le pharmacien, donc que le distributeur. Comment peut-on en arriver à des aberrations pareilles ?

« J’ai le sentiment que l’on nous néglige »

Je suis étonné que des médicaments concernant des pathologies spécifiques d’outre-mer aient subi des déremboursements, mais aussi que les laboratoires qui les commercialisent en aient profité pour augmenter leurs prix de façon considérable. Si l’on prend la filariose par exemple, c’est tout de même une maladie qui est endémique en Polynésie, qui sévit dans le Pacifique, que l’on trouve également à la Réunion, dans toutes ces zones tropicales où l’on trouve les moustiques vecteurs de la maladie. Pourquoi de tels déremboursements alors qu’il y a un vrai problème de santé publique ? On est pourtant toujours sur le territoire français ! Bien sûr, nous avons mis en place des actions pour tenter d’éliminer les foyers de propagation, mais cela va durer des années car il faut compter une ou deux générations avant de pouvoir éliminer entièrement la pathologie. Donc, pour l’instant, on en est loin. Sur ce terrain des maladies endémiques comme sur d’autres, j’ai le sentiment que l’on nous néglige.

« Nous sommes aux côtés de la population »

C’est une erreur de vouloir privilégier l’économie aux dépens de la santé publique. Ici, on peut être confronté à de gros problèmes à tout moment. L’an dernier par exemple, on a subi deux catastrophes naturelles. Il y a d’abord eu le cyclone Dean, au mois d’août, qui nous a privés d’eau et d’électricité pendant plusieurs jours. Nous, les pharmaciens, étions dès le lendemain présents sur le terrain pour assurer notre rôle de service public, pour être près des gens, les rassurer. Grâce à nos stocks, nous avons pu faire face. Il n’y a pas eu de rupture de soins pendant une semaine. Ensuite, en novembre, nous avons eu un tremblement de terre d’une magnitude de 7,5 sur l’échelle de Richter. Là encore, il y a eu beaucoup de stress et nous étions aux côtés de la population pour aider, rassurer encore une fois, et ça, ça n’a pas de prix. Au lieu de l’ignorer, l’Etat devrait prendre en considération ce rôle primordial que nous avons lors de telles catastrophes et nous donner les moyens de répondre aux besoins, en termes de stocks notamment, et nous permettre d’assurer cette qualité de soins sur le terrain.

Des pharmaciens très PACIFIC !

Lors de Pharmagora 2007, Sanofi-Aventis avait constitué un groupe de travail de 18 pharmaciens des DOM-TOM. Nom de code : PACIFIC (Pharmacien en Action pour le Conseil, l’Image, la Formation, l’Innovation et la Cohésion). Autour de ce projet a été menée l’enquête IFOP reprenant les thématiques de travail du groupe : « Action-formation-innovation », « Solidarité et cohésion », « Le patient au coeur du système » et « Présence du pharmacien dans la politique de santé ». Quelque 500 personnes, plus 188 pharmaciens (68 % de titulaires) et 118 préparateurs des DOM-TOM ont été sondés.