- Accueil ›
- Business ›
- Economie ›
- Stratégie et Gestion ›
- UNE PRODUCTION À L’ÉPREUVE DU PRIX
UNE PRODUCTION À L’ÉPREUVE DU PRIX
L’industrie pharmaceutique française est confrontée à une baisse des volumes et des prix inéluctable. L’orientation vers la recherche et des médicaments à haute valeur ajoutée et la mise en œuvre d’une politique industrielle conciliant production de génériques et biotechnologies deviennent impératives pour que les laboratoires restent dans la course.
Les mauvaises nouvelles s’amoncellent dans la sphère du médicament. Après les plans sociaux chez Sanofi et le scandale du Mediator, c’est au tour du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2013 d’achever le moral des industriels et des distributeurs. Sur les 2,4 milliards d’euros d’économies inscrits début octobre, 876 millions concernent les produits de santé dont 530 millions de baisses de prix des médicaments de ville. Sans compter sur les effets induits par un renforcement de la maîtrise des prescriptions médicales. « Ce PLFSS inique est malheureusement dans la continuité du précédent !, lance Christian Lajoux, président du Leem. Un milliard de mesures, et c’est de facto une décroissance de deux points de notre chiffre d’affaires. »
Ce PLFSS précipite une industrie engagée non plus seulement dans la seule spirale de la baisse des volumes, mais aussi désormais dans celle des valeurs. Selon les chiffres publiés fin septembre par l’Assurance maladie, le chiffre d’affaires du médicament en ville et à l’hôpital devrait subir pour l’année 2012 une baisse de 1,5 %. Un fait inédit pour une branche habituée à des taux de croissance encore élevés. Selon Claude Le Pen, économiste de la santé, ce phénomène puise ses racines en 2005 : « La consommation de médicament s’est infléchie à raison de 1 % par an depuis la mise en place du dispositif de déclaration de son médecin traitant. » Ainsi amorcé, le mouvement s’est accentué au fil du temps au travers des diverses mesures de maîtrise médicale, y compris dans le cas des conventions médicale ou pharmaceutique.
BAISSES DES PRIX ET DES VOLUMES
Pour la branche du médicament qui aura à supporter en tout et pour tout près de 50 % du plan d’économies pour l’assurance maladie, le sentiment d’injustice est d’autant plus grand que le médicament ne contribue que pour 15,2 ?% aux dépenses de santé selon le Leem. « Il est effectivement plus simple de stigmatiser le médicament et son prix et de faire pression sur les fabricants que de s’attaquer aux structures du marché de la santé et à ses dysfonctionnements », remarque Vincent Genet, directeur de la business unit Santé chez Alcimed. Selon lui, l’industrie du médicament devra s’accoutumer à cette décroissance. Elle ne touche d’ailleurs pas seulement la France mais l’ensemble des pays occidentaux. « Des marchés matures qui voient leur taille en valeur diminuer en raison de la stabilisation démographique mais aussi en raison de la pression sur les prix », poursuit Vincent Genet.
C’est dire si la question du prix du médicament déborde largement des frontières de l’Hexagone ! Elle est à appréhender dans le contexte européen alors que la crise accentue la baisse des prix dans certains pays de référence, notamment ceux du sud de l’Europe. Selon la FEAIP (Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques), les mesures de restriction mises en place en Espagne, en Italie, au Portugal, en Grèce et en Irlande auraient déjà coûté 7 milliards d’euros à la branche pharmaceutique en 2010 et 2011. Mais les politiques de santé menées par ces pays, qui freinent le modèle économique des laboratoires basé sur le volume, ne sont cependant pas les seules responsables de cette décroissance du marché.
DES INTERVENANTS DE PLUS EN PLUS NOMBREUX
La transformation profonde de la filière du médicament est, elle aussi, à la source de l’effritement des prix. Cédant il est vrai plus tard que la plupart des autres secteurs industriels à la pression de la compétitivité, la branche du médicament, longtemps bâtie sur une intégration verticale, s’est peu à peu fragmentée de manière horizontale au cours des dernières années. Avec pour résultat une plus grande diversité d’intervenants et, à la clé, des entités mutualisant l’outil de production pour un plus grand nombre d’acteurs. Ce phénomène entraîne, dans un contexte de concurrence internationale, une fragilisation de ces fabricants impliqués de facto dans les appels d’offres. « Pour un prix à l’officine d’1,50 euro, le produit ne coûte à sa sortie d’usine que 10 centimes. Dans ces conditions, l’appel d’offres peut se jouer à un centime d’écart », décrit un façonnier. Le générique consommé en France, fabriqué à 95 % en Europe dont 50 % dans l’Hexagone (source : Gemme), n’échappe pas à cette règle. Cette réalité européenne est loin d’apaiser les laboratoires fabricant français, parce qu’elle n’en rend que plus criantes les disparités avec leurs voisins. « Il ne faut pas oublier qu’en France l’industrie pharmaceutique subit une fiscalité additionnelle et y sacrifie 3 à 4 % de son chiffre d’affaires de plus que les autres industries », rappelle Claude Le Pen. Marcel Lechanteur, président de Lilly France & Benelux, invité par le Leem lors d’un colloque début octobre, va même jusqu’à déclarer : « Notre charge fiscale serait inférieure de 16 % si nous fabriquions autre chose que du médicament. »
LE MODÈLE FRANÇAIS COPIÉ PAR SES VOISINS
En dépit de ce poids, le médicament s’en sort paradoxalement plutôt bien en France. Après avoir récemment tordu le cou à une idée reçue qui voulait que le Français soit le plus gros consommateur de médicament, il y a lieu aujourd’hui de réviser un autre lieu commun. Le médicament français n’est pas plus cher que ses principaux voisins et son prix se situe dans la moyenne européenne(1), parfois même dans la tranche inférieure en ce qui concerne le générique.
Le président du Leem, s’il regrette une politique d’« ostracisation » du médicament néfaste à l’industrie, reconnaît lui-même que « la France n’est pas loin de faire les choses intelligemment ». Il en veut pour preuve l’exemple des autres pays européens qui, en matière de fixation du prix du médicament, se rapprochent du modèle français. « Notre politique conventionnelle et notre système de concertation sont actuellement copiés en Europe », observe-t-il. En clair, les prix ne sont plus fixés de façon unilatérale par les laboratoires mais négociés. C’est désormais le cas en Allemagne. La loi de restructuration du marché du médicament (« Amnog »), introduite début 2011, oblige les fabricants à négocier le prix du médicament, après un an de mise sur le marché, avec les caisses d’assurance maladie sur la base de la plus-value apportée par le produit. Cette nouvelle donne n’est d’ailleurs pas sans inquiéter la branche pharmaceutique, laquelle menace de délocaliser ses unités de production. Et pour cause, le prix allemand du médicament sert de référence dans une dizaine de pays européens !
PLACE À LA VALEUR DU PRODUIT
La France elle-même n’est pas épargnée par le spectre de nouvelles délocalisations. C’est en tout cas les projections établies par une étude du cabinet Arthur D. Little/BPI(2). « Dans un scénario contraint, c’est-à-dire sans interventions d’actions politiques ou industrielles, des mouvements de délocalisation liés à la pression sur les prix et aux déremboursements pourraient intervenir », note Frédéric Thomas, directeur du pôle santé chez Arthur D. Little. Selon lui, l’échappatoire serait de contenir la baisse des prix en renforçant le niveau de productivité par de nouvelles mesures de rationalisation. Acculés à la compétitivité, notamment face à certains pays européens qui baissent les prix de 30 %, les industriels doivent affiner leur stratégie, quitte à revoir leur modèle économique.
D’autant qu’intervient un autre élément : la branche ne croit plus aux blockbusters. L’ensemble des acteurs est unanime : l’époque de ces médicaments phares qui ont contribué au début des années 90 à une croissance du marché en volume et en valeur est définitivement derrière eux. « Ce fut la dernière vague d’innovation en grosses molécules à fort potentiel financier », se souvient Vincent Genet. De fait, la relève ne semble pas assurée. Alors même que le laboratoire croyait pouvoir entrer dans la course d’un nouveau blockbuster pour l’hépatite C, Bristol-Myers Squibb a dû déclarer forfait au cours de l’été. Le groupe a cessé le développement de son produit qu’il avait pourtant acquis en début d’année pour 2,5 milliards de dollars à l’entreprise biopharmaceutique Inhibitex.
La branche a atteint aujourd’hui un point de non-retour. Avec la perte annoncée des brevets de l’ensemble de ces blockbusters d’ici à 2015, l’industrie du médicament entre à marche forcée dans une nouvelle ère. « Tous les sites industriels fondés sur les blockbusters sont à risque depuis 2007 », met en garde Frédéric Thomas. Pour Anne-Christine Marie, associée responsable des activités françaises chez PricewaterhouseCoopers (PwC) pour l’industrie pharmaceutique et les sciences de la vie, « l’enseignement de cette époque révolue est que désormais le volume ne paie plus. Demain, les industriels se paieront sur la performance et sur la valeur du produit » (lire interview p. 54). Du reste, de nombreux groupes anticipent ce mouvement. Animés par l’enjeu du prix du médicament et la compétitivité sur les marchés internationaux, ils nouent des alliances stratégiques jusqu’alors inédites. « Ces groupes préfèrent avant tout acheter des molécules à des start-up plutôt que de les développer eux-mêmes. Ils diminuent ainsi leurs dépenses et partagent leur risque avec la start-up puisqu’ils n’interviennent qu’en fin de phase II ou près de la phase III », relève Claude Le Pen.
Dans ce nouveau contexte, mégafusions et blockbusters n’ont plus cours. Après l’année 2011 qui avait vu le rachat de la société biopharmaceutique Genzyme par Sanofi et du suisse Serono par l’allemand Merck, elles tendent aujourd’hui à se raréfier au profit des fusions acquisitions plus stratégiques, voire défensives face à la perte des brevets. « Ils achètent le pouvoir d’étaler leurs brevets jusqu’en 2017-2018 ! », résume Claude Le Pen. En 2012, les exemples se sont succédé illustrant cette nouvelle stratégie : Johnson & Johnson a acheté pour 1,1 milliard de dollars les droits du daratumumab au groupe biopharmaceutique danois Genmab, en septembre, l’allemand Merck, dans le secteur de l’oncologie, a acquis pour 20 millions d’euros Sym004 à un autre biopharmaceutique danois, Symphogen… L’alliance inédite à ce jour de dix grands groupes biopharmaceutiques pour la création, en septembre dernier, d’une société commune TransCelerate BioPharma (3), destinée à accélérer le développement des médicaments et à les rendre moins chers, est significative de cette évolution profonde du marché.
UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE COHÉRENTE
En tournant le dos au volume et aux grands marchés, en se spécialisant vers des produits destinés à de petits groupes de patients, voire en les individualisant grâce aux connaissances génomiques, les groupes pharmaceutiques basent désormais leur modèle économique sur la valeur. Une option qui n’est cependant pas sans interpeller les observateurs alors que perdure la crise de la dette. Les politiques incitatives, voire directives, des organismes de tutelle ne semblent pas non plus suivre les laboratoires dans cette voie.
Un autre constat, franco-français cette fois, inquiète. Alors que le modèle dominant est orienté sur la haute valeur ajoutée du médicament, l’innovation française peine à trouver sa place sur les marchés. « Sur les 47 produits autorisés en 2011 par l’Agence européenne du médicament, aucun n’est français. Et sur les 40 produits hospitaliers de haute technologie, 8 uniquement sont issus de l’Hexagone », regrette Christian Lajoux. La recherche serait-elle en panne alors que l’âge moyen du médicament sur le marché français est de 18 ans ? Non. Les aires thérapeutiques, comme en attestent les nombreux pôles de recherche industrielle et académique français, ne manquent pas : maladies rares, dégénératives, neurosciences, infectiologie, oncologie… Mais alors que la France excelle au niveau européen dans des domaines tels que les vaccins et l’insuline, l’industrie pharmaceutique éprouve des problèmes à se renouveler, souligne une étude du cabinet en conseils stratégiques Roland Berger (4), qui préconise « un coup d’accélérateur sur le développement des produits biotechs, et pas seulement biosimilaires ». Patrick Biecheler, responsable « industrie pharmaceutique et santé » chez Roland Berger, identifie un second levier pour l’avenir du médicament français : « La France doit devenir un pays de production de volumes, elle ne fabrique pas assez de génériques et doit poursuivre dans la hausse de la production du générique. »
Dans le domaine des produits à haute technologie, la France ne doit pas délaisser le secteur de la production chimique, mais au contraire le moderniser pour y intégrer les biotechnologies. « Il y a un besoin de reconversion de la chimie vers la biotechnologie, ces produits peuvent développer une activité très forte en France », a affirmé Francis Carré, vice-président « chimie & biotechnologie affaires industrielles » de Sanofi lors du colloque organisé par le Leem début octobre.
Mais avant que les biotechnologies ne trouvent leur place dans l’armoire à pharmacie du Français moyen, de nouvelles mesures s’imposent. Car, comme le dénonce Sébastien Aguettant, président du groupe de façonnage Delpharm « on ne pourra se payer les biotechs dans trente ans si on assèche aujourd’hui la production. Il faut apporter un soin aux structures existantes. Dans le cas contraire, on risque de perdre des compétences indispensables ». Il ne s’agit pas d’opposer les biotechnologies aux génériques et aux autres produits, mais bien de concevoir une politique industrielle cohérente. Une politique qui sera déterminante pour le médicament bien au-delà de l’évolution de son prix.
(1) Les prix français se situent dans la moyenne européenne pour les ASMR I à III (sources Leem, FEAIP).
(2) « L’emploi dans les industries de santé en France : facteurs d’évolution et impact à dix ans », (données du contrat d’études prospectives des industries de santé).
(3) Cinq groupes américains et cinq européens (GSK, AstraZeneca, Roche, Sanofi et Boehringer Ingelheim).
(4) « La production pharmaceutique en France ».
Trois questions à Anne-Christine Marie, associée responsable des activités françaises chez PwC pour l’industrie pharmaceutique et les sciences de la vie« C’est à l’industrie de démontrer la valeur ajoutée du médicament »
Les différentes projections convergent sur une nouvelle baisse du médicament alors qu’il est déjà en retrait de 1,5 % en 2012. Comment, dans ce contexte de réduction des dépenses de l’assurance maladie, les industriels peuvent-ils faire valoir le juste prix du médicament ?
C’est à l’industrie, si elle veut augmenter ses prix, de démontrer la valeur ajoutée qu’elle apporte dans la chaîne de santé. Si le médicament permet par exemple de faire des gains en consultation de professionnels de santé ou en jours d’hospitalisation, s’il apporte une réduction à la facture finale, alors oui, ce sera le juste prix apporté par l’industriel.
Cela suppose-t-il que d’autres acteurs (professionnels de santé, patients…) puissent aussi influer sur le prix du médicament ?
Les industriels vont être amenés à travailler de plus en plus étroitement avec les organismes payeurs mais aussi avec les patients afin de démontrer la valeur du médicament en regard de son prix. On constate actuellement en France, comme en Espagne, que de plus en plus de résultats sont exigés. Plus seulement en termes de pharmacovigilance, mais aussi en termes de résultats en fonction de l’observance. La question est aujourd’hui de savoir comment l’ensemble de ces données vont être agrégées et utilisées. Mais je remarque qu’en France, notamment avec l’Agence nationale de sécurité du médicament, nous sommes sur la bonne voie. Il y a une réelle volonté d’amélioration dans le partage des informations et un effort manifeste de transparence.
Les industriels – on vient de le voir une nouvelle fois avec le PLFSS 2013 – sont dans la ligne de mire du régulateur. Comment pourront-ils se soustraire à cette pression sur le médicament de manière générale et sur le prix, en particulier ?
Je pense que les industriels du médicament ne doivent pas être les seuls à défendre leurs prix, mais que l’ensemble des professionnels de santé doivent prendre conscience que chaque acte, chaque prestation a un prix qu’ils doivent défendre. La question va émerger avec la télémédecine, les rendez-vous non traditionnels, l’accompagnement du patient à distance par son médecin… Les innovations vont induire la question du paiement de la santé mobile. L’ensemble de ces prestations constitue non seulement une chaîne à travers le cycle de la vie d’un patient, mais aussi une chaîne de valeur dont le médicament n’est qu’un maillon. Il faut introduire la rémunération du pharmacien dans cette chaîne de valeur.
PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE LUGINSLAND
- 5 outils d’IA qui ont fait leurs preuves à l’officine
- Administration des vaccins : la formation des préparateurs entre dans le DPC
- Prevenar 20, Voltarène, Talzenna… Quoi de neuf côté médicaments ?
- Biosimilaires : 10 milliards d’économies potentielles, un enjeu majeur pour l’officine
- Rémunérations forfaitaires 2024 : il reste deux semaines pour déclarer vos indicateurs