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TOUR DE FRANCE DES OFFICINES EN DIFFICULTÉ
Tous les trois jours, une pharmacie française entre dans une procédure de sauvegarde ou dépose le bilan. Ce phénomène est sans précédent dans la profession. Quelques régions sont encore épargnées, mais plus beaucoup. Et si 2011 semble marquer une pause, les spécialistes s’attendent à une nouvelle vague de faillites en 2012.
Comme beaucoup, j’ai eu pendant longtemps une image déformée de l’officine, mais chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’il y a des défaillances économiques. » C’est Xavier Bertrand, ministre de la Santé, qui a fait cet aveu lors du 64e Congrès national des pharmaciens, le 22 octobre dernier à Bordeaux. Et pour cause : l’année 2010 a connu une progression de 25 % des ouvertures de procédures collectives d’officines. Les procédures de sauvegarde ont grimpé de 14 en 2009 à 20 en 2010, les redressements judiciaires de 64 à 69 et les liquidations de 34 à 51, soit un total de 140 procédures contre 112 en 2009. Record historique battu.
Aussi inhabituel soit-il, ce déferlement de faillites était pourtant prévisible. Car il a des racines à la fois structurelles et conjoncturelles. A l’origine des entrées en procédures collectives, toujours les mêmes éléments déterminants : des pharmacies achetées trop cher, des pharmaciens surendettés, des capitaux propres insuffisants, des rentabilités qui baissent et une activité qui stagne. Dans ces conditions, pas étonnant que les pharmaciens fraîchement installés soient les premières victimes de ce phénomène inquiétant accentué par la crise, les mesures gouvernementales et la baisse des prescriptions. « Notre système de rémunération à la marge est à gros risque et dépend des mesures décidées sur le médicament. Il suffit, en effet, qu’une année le PLFSS soit plus brutale que l’année précédente pour précipiter davantage la chute d’officines, explique Philippe Besset, président de la commission en charge de l’économie à la FSPF. Il n’y a pas plus ni moins de pharmaciens mauvais gestionnaires… Ces éléments ont toujours existé, n’ont pas changé et l’économie de l’officine a toujours composé avec. On peut donc imputer l’augmentation des ouvertures de procédures collectives à la rigueur du PLFSS qui, pour 2012, sera encore plus drastique sur le médicament. »
Paris et l’Ile-de-France concentrent presque un tiers des défaillances
La société de financement des professions libérales Interfimo a dressé la carte de France des défaillances de pharmacies pour 2010, laquelle montre des disparités frappantes entre les régions. « 30 % des pharmacies en difficulté se situent à Paris ou en Ile-de-France, qui enregistrent 42 procédures collectives, 12 % en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui en totalise 17, et 6 % dans les départements d’outre mer (9 procédures) », signale Luc Fialletout, directeur général adjoint d’Interfimo. Et de remarquer : « Il y a un lien évident entre la localisation des procédures collectives et la déconnexion entre prix de cession et rentabilité. »
Trois régions sortent indemnes (zéro procédure collective) en 2010 : Poitou-Charentes, Champagne-Ardenne et Alsace, cette dernière bénéficiant encore de l’héritage du passé (quorum longtemps plus avantageux). Trois autres régions ne déplorent qu’un cas isolé sur leur territoire : la Bretagne, la Franche-Comté et la Picardie. Les chiffres de 2010 rapportés à l’ensemble des officines du réseau montrent un taux de défaillance de 0,6 %. Si les pharmacies en difficultés financières inquiètent à juste titre les instances professionnelles, ces chiffres ne sont pas pour autant alarmistes pour les observateurs économiques extérieurs. Au triste palmarès des secteurs en crise, les pharmacies ne sont pas les plus mal loties. « Il y a eu, la même année, 55000 procédures collectives de PME recensées par l’INSEE, ce qui correspond à un taux de défaillance de 1,8 % », relativise le directeur général d’Interfimo.
Pour 2011, la situation est à première vue un peu moins critique. D’après le dernier rapport de la compagnie d’assurances Coface, qui observe régulièrement les défaillances d’entreprises – et qui avait mis le feu aux poudres auprès des organismes financiers l’an dernier après une mauvaise interprétation des chiffres publiés sur les nouveaux cas de défaillances –, leur nombre en pharmacie a diminué de plus de 20 % sur les six premiers mois de l’année. Cette baisse succède à une hausse des défaillances de 23,7 % entre 2009 et 2010. Une tendance que confirme la FSPF qui, de son côté, relève 58 entrées en procédure sur la même période (9 plans de sauvegarde, 26 redressements, 23 liquidations). « Nous avons enregistré un pic en 2010, mais si l’on multiplie par deux les chiffres du premier semestre, 2011 est du même calibre que 2009 et lui sera même supérieur », craint Philippe Besset.
Chez les grossistes-répartiteurs, les seuls services en expansion sont ceux des contentieux, certains pharmaciens n’assurant plus leurs échéances. « Cet état de lieux est sans commune mesure avec les années précédant le décrochage de l’économie (avant 2006), où l’on ne déplorait qu’une quarantaine de nouvelles défaillances par an, ajoute Philippe Besset. De plus, ce chiffre des entrées en procédure s’ajoute à la masse des officines toujours en cours de procédure dont il est difficile de tenir les comptes et que j’estime autour d’une soixantaine. » La FSPF se refuse donc de parler d’embellie. Cette décrue tient certainement à la procédure d’assainissement déjà bien engagée du réseau qui a vu les officines les plus fragiles partir dans l’eau du bain de la crise. « Les plus fragiles ont déjà disparu tandis que les autres ont réduit la voilure pour ne pas couler dans la tempête », confirme Philippe Besset.
Ce phénomène de repli est préoccupant car il n’est ni anticipé ni accompagné par les pouvoirs publics. Aux yeux de beaucoup, il apparaît désormais inévitable que le réseau se restructure, avec probablement 1 000 à 2 000 pharmacies en moins d’ici quelques années. Mais cette recomposition doit être programmée afin de ne pas créer des difficultés d’accès aux soins pour les patients. De nouveaux modes d’organisation devront être promus pour ne pas laisser de trous dans le maillage des pharmacies particulièrement problématiques dans les secteurs les plus isolés. Sans tomber dans l’alarmisme, ce « tour de France des officines en difficulté » prend toute son importance au moment où syndicats et gouvernement tentent de donner un nouvel équilibre économique à la pharmacie. « Nous devons faire évoluer la rémunération car la situation sur le prix des médicaments ne s’améliorera pas, elle empirera même », confirmait le ministre de la Santé au Congrès des pharmaciens. « Il ne faut pas être timoré dans le changement de mode de rémunération, d’autant que les premiers effets du système « marge plus honoraires » ne se feront pas sentir avant fin 2012, voire début 2013 », conclut Philippe Besset.
Trois fermetures par mois à Paris
A l’instar des chiffres nationaux, l’allure s’est ralentie dans la capitale et sa couronne. « Nous sommes légèrement retombés en dessous du rythme d’une fermeture d’officine par semaine, soit approximativement trois par mois, annonce sans triomphalisme Patrick Zeitoun, président de l’Union des pharmacies de la région parisienne (UPRP). En revanche, ajoute-t-il, les causes continuent à se répartir équitablement, entre 50 % de fermetures suite à des départs en retraite et 50 % de liquidations judiciaires. » Pour Paris intra-muros, la situation est plus difficile à appréhender. « Si l’emplacement est correct, les titulaires s’en sortent en vendant le pas-de-porte et échappent ainsi aux affres de la liquidation judiciaire. » Et Patrick Zeitoun de citer le cas d’une sortie à moindre mal d’une petite pharmacie parisienne de 600-700 000 € de chiffre d’affaires qui a récupéré de cette façon 250 000 € avant paiement de ses dettes.
Dans le Val-de-Marne, un autre pharmacien travaillant seul dans son officine n’a pas eu cette chance. « Il s’est fracturé la jambe et n’avait pas les moyens de se faire remplacer par un adjoint. Faute de pouvoir vendre sa pharmacie il a été contraint de liquider le fonds », raconte Patrick Zeitoun. Les portes de sortie de crise se referment au fur et à mesure que les perspectives économiques de l’officine se réduisent. Par exemple, le transfert d’une pharmacie exsangue n’est plus la panacée. « J’ai le cas d’une commune du Val-de-Marne où le maire cherche à faire transférer une officine dans une zone qui lui garantit 3 500 habitants, mais il n’y a pas de candidat car il n’y a pas l’assurance financière que ce transfert est viable », livre Patrick Zeitoun, qui s’attend à un coup d’accélérateur des défaillances de pharmacies de la région parisienne en 2012 : « Les très mauvais résultats de cet été ont des effets retardés sur les comptes des pharmacies et, s’il n’y a pas de reprise de l’activité d’ici la fin de l’année, le phénomène risque de repartir de plus belle. »
A l’Est, les titulaires peuvent dire adieu à leurs anciens privilèges
Fruit de l’histoire, le surquorum dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle a longtemps protégé les pharmacies de l’Est. Mais ce privilège s’est éteint ou presque. Ne reste que le bénéfice d’un quorum fixé pour la première officine à 3 500 habitants. Aujourd’hui, les officines de la région se font rattraper par les difficultés économiques et financières. « Le rempart du quorum tombe et les pharmacies du département sont en proie aux mêmes difficultés financières que les autres, confirme Daniel Buchinger, installé à Colmar et président de l’antenne USPO du Haut-Rhin. Aujourd’hui, la réduction des délais de paiement des fournisseurs expose les pharmaciens du Haut-Rhin à des problèmes de trésorerie graves, la cession de pharmacies en difficulté sur le département ayant heureusement permis d’éviter à leurs titulaires le drame de la liquidation judiciaire. »
Le président de la Fédération, Philippe Gaertner, titulaire bas-rhinois, constate lui aussi que les avantages dus à la taille des pharmacies de l’Est ou à leur situation géographique s’estompent. Selon le titulaire de Boofzheim, la taille peut même avoir un effet amplificateur des difficultés quand elles surviennent. « Elles ont tendance à s’accélérer dans les pharmacies importantes du fait de la distorsion entre un chiffre d’affaires qui n’augmente pas et des charges d’exploitation élevées qui, elles, continuent à grimper », explique Philippe Gaertner. Autre conséquence historique du rattachement passé avec l’Allemagne : le régime spécifique de protection sociale qui se caractérise par un taux de remboursement supérieur à celui du régime général. « Les pharmaciens alsaciens vivent le revers de la médaille de ce régime local. Le choc des déremboursements est par voie de conséquence beaucoup plus fort », poursuit Philippe Gaertner.
Dans un département voisin, moins favorisé, les déserts médicaux rongent à petit feu les officines des Vosges. Les bassins d’emploi sont sinistrés et la situation sociale reste tendue. « Notre taux de couverture maladie universelle et de RSA est supérieur à celui des départements voisins », indique Daniel Antoine, président du syndicat des pharmaciens des Vosges. Pour autant, les pharmacies ne sont pas plus sinistrées qu’ailleurs et, depuis le début de l’année, le département ne comptabilise qu’une seule procédure de sauvegarde et aucune liquidation ou redressement judiciaire. « Cette procédure de sauvegarde concerne un pharmacien dont la gestion et ses relations avec la Sécurité sociale ne sont pas irréprochables. Ce n’est pas la première fois que ce confrère traverse des difficultés et celles-ci sont indépendantes de la crise et de la conjoncture économique actuelles », rassure Daniel Antoine.
En Rhône-Alpes, Lyon cultive sa réputation de discrétion…
Les signaux de la crise sont également bien identifiés dans la capitale des Gaules et son agglomération. En revanche, les syndicats locaux sont incapables de fournir des chiffres précis et d’avoir l’identité des pharmacies devenues défaillantes. « Nous n’avons que des bruits de couloir », confie Odile Garic, coprésidente de la Fédération régionale des syndicats de pharmaciens de Rhône-Alpes. Sans surprise, ces « signaux » trouvent leur origine du côté du centre-ville, dans les quartiers où les surdensités et la concurrence sont les plus fortes, où les loyers asphyxient le petit commerce (une partie du IVe et du VIe arrondissements…). En banlieue, les difficultés frappent en priorité les petites officines situées dans les quartiers difficiles.
Confirmant la légère rémission des entrées en procédures collectives sur sa région, Odile Garic redoute en 2012 une nouvelle accélération des défaillances et s’inquiète de son ampleur : « Les mesures correctives ont permis de passer la première vague, mais les pharmacies les plus fragiles risquent de prendre la seconde de plein fouet car elles n’auront pas eu le temps de profiter des avantages des nouvelles mesures sur l’économie de l’officine. »
PACA et Marseille victimes de la cherté des pharmacies et de la pauvreté
PACA est après Paris et l’Ile-de-France la région la plus sinistrée. A croire que la marge fond plus vite au soleil ! « Quand Marseille éternue, toute la France s’enrhume ! » En citant ce dicton phocéen, Charles Fauré, président du syndicat des pharmaciens des Bouches-du-Rhône, confirme l’existence de particularismes locaux, y compris dans les difficultés financières : « Les problèmes de la pharmacie sont marseillais avant de devenir nationaux. Par exemple, notre syndicat départemental a été le premier à évoquer en assemblée générale de la FSPF les répercussions négatives des franchises médicales sur l’économie de l’officine. »
Lionel Canési, expert-comptable du cabinet C2C Pharma (groupe CGP), évoque les raisons de la plus grande fragilité des officines marseillaises : « La principale vient du fait que c’est la région où les prix de vente des pharmacies sont les plus élevés de France. Non pas qu’il y ait une rentabilité supérieure aux autres régions, mais l’attrait du soleil et de la mer a fait flamber les prix ces dernières années. Heureusement, le phénomène se calme et on commence à retrouver certains fondamentaux (prix en fonction de la rentabilité économique). Depuis deux ans, la progression du chiffre d’affaires des officines s’est sérieusement ralentie par rapport aux années précédentes et ces officines achetées trop chères avec une marge de manœuvre très faible sont en difficultés. Ensuite, les raisons sont souvent liées à la baisse du chiffre d’affaires d’officines de centre-ville du fait de la baisse des prescriptions médicales et de l’impossibilité de compenser cette baisse du panier moyen par une hausse de la fréquentation car la population des centres villes n’évolue pas. »
Comme dans toutes les grandes métropoles, le cœur de Marseille se dépeuple au profit de la périphérie. Avec des populations à faible pouvoir d’achat, les Ier et IIIe arrondissements ont la plus forte proportion de RMistes du département. « Selon un récent sondage effectué par la Ville, un Marseillais sur huit vit en dessous du seuil de pauvreté », indique Charles Fauré. La capitale phocéenne dépasse de plus de cent pharmacies le quorum. La surdensité est encore plus aiguë dans l’hypercentre. Et dans le lot, les petites pharmacies n’ont pas la partie facile. Faibles chiffres d’affaires, marges érodées par la politique de prix cassés que mènent à train d’enfer quelques très grosses pharmacies discounters conduisent à des situations financières très périlleuses pour certains. « Les deux dernières raisons des difficultés sont souvent marginales, termine Lionel Canési. Tout d’abord, les erreurs de gestion que peut faire un titulaire mal conseillé, ensuite le phénomène des discounters qui se voient trop grands trop tôt et qui sont rattrapés par le manque de rentabilité de leur affaire. Il ne faut pourtant pas tomber dans la sinistrose. Il y a quelques pharmacies en procédure collective et pas, comme on peut l’entendre ici ou là, une vague de dépôts de bilan. Sur les cent trente pharmacies que l’on gère chez C2C Pharma, nous avons trois dossiers en procédures collectives (deux dans les Bouches-du-Rhône et un dans les Alpes-Maritimes). Dans les trois cas, nous sommes en procédure de sauvegarde, c’est-à-dire une procédure qui vise à permettre à l’entreprise de retrouver des fondamentaux économiques pour la survie de l’entreprise. Il faut bien distinguer les officines en sauvegarde de celle en redressement judiciaire ! [lire l’encadré page 25]. »
A Bordeaux, les modifications de l’environnement font des ravages
L’économie se détériore gravement sur les bords de la Gironde, où se concentrent beaucoup de petites officines. Et le syndicat du département est en état d’alerte maximale. A Bordeaux, les effets de la crise sont amplifiés par une rénovation urbaine du centre-ville sans précédent. François Martial, président du syndicat des pharmaciens de Gironde et d’Aquitaine, ne cache pas son inquiétude. « La redéfinition des quartiers et des espaces piétonniers a modifié les courants de circulation dont pâtissent un certain nombre de pharmacies, car toutes ne peuvent pas se regrouper ou transférer près de la ligne du tramway », explique-t-il. Ces pharmacies pourraient s’expatrier hors agglomération mais les terres d’accueil tels les zones côtières ou le bassin d’Arcachon ne sont pas nombreuses. Malgré des manœuvres de désengorgement du centre-ville engagées par la municipalité (quelques transferts ont eu lieu vers la communauté urbaine de Bordeaux ou le département), les petites pharmacies restent inexorablement au bord de l’asphyxie financière. Qui plus est, la métropole girondine compte toujours une cinquantaine d’officines en trop tandis qu’une trentaine de dépôts de bilan ont été enregistrés sur 2009.
« Acculées financièrement, certaines officines sont dans l’impossibilité de payer une cotisation syndicale. Aussi pour leur venir en aide, nous avons mis en place une cotisation de soutien », précise le président du syndicat. Au niveau des fermetures sur Bordeaux, François Martial rapporte plusieurs cas : des licences rachetées par des confrères puis rendues à la préfecture jusqu’à celles reprises à la barre du tribunal par décision de l’adjudicateur judiciaire. « Un pharmacien a pu vendre la pharmacie sans ses dettes en démembrant son activité, un autre a vendu l’emplacement sur lequel s’est construit un parking », livre-t-il. A Marmande (Lot-et-Garonne), le regroupement de deux pharmacies a sauvé leurs titulaires respectifs qui étaient le dos au mur. Ces opérations de la dernière chance contribuent à faire baisser le nombre de procédures collectives.
A Nantes, une dizaine d’officines seraient au bord du dépôt de bilan
« Les pharmacies nantaises sont globalement de petite taille et en nombre important, rapporte Denis Millet, l’un des vice-présidents du syndicat des pharmaciens de Loire-Atlantique. Leur panier moyen est l’un des plus faibles de France. » Ce record associé à la faiblesse de leur chiffre d’affaires concourt à dégager des marges faibles et à fragiliser le réseau. Dans l’hypercentre de la ville, où l’on note une forte concentration d’officines, la Pharmacie de la Bourse a baissé définitivement le rideau de fer. « Elle a revendu son fonds à un glacier », précise Denis Millet. Le contexte économique y est pour beaucoup dans cette fermeture, même si les quelques pharmacies qui cassent les prix ont porté l’estocade.
D’une manière générale, tous les commerces de Nantes souffrent d’une désaffection de la clientèle et d’une baisse de la commercialité au fil des ans. « Faire ses courses en centre-ville est devenu très compliqué en raison des difficultés de circulation, explique Denis Millet. Selon les éditeurs de GPS, Nantes est la ville la plus embouteillée de France, devant Paris. » Certains titulaires de petites officines aimeraient bien transférer là où l’herbe est plus verte, mais ils n’en ont pas les moyens financiers. Comme ailleurs, les pharmaciens restent très discrets sur leurs difficultés financières, mais le bruit court qu’une dizaine d’officines serait au bord du dépôt de bilan. Les plus acculées paieraient « au cul du camion », au moyen d’un chèque de banque. Si des regroupements ne sont pas envisagés à Nantes, cette solution à en revanche la faveur dans les communes rurales à deux officines. « C’est le cas de figure le plus simple, nous avons eu deux regroupements en campagne et un troisième est en préparation », conclut le vice-président du syndicat.
Les officines normandes font de la résistance
En Normandie, les pharmacies en faillite se font plutôt discrètes. « Les cas sont marginaux et font peu de bruit, il y a eu une fermeture à Evreux et une autre du côté du Rouen, et il semblerait que les difficultés financières s’accentuent sur Le Havre », rapporte Dominique Leroy, expert-comptable du cabinet Norméco, sans prétendre avoir une connaissance exhaustive des pharmacies dans le rouge pourpre. En revanche, Dominique Leroy voit clairement le goulot d’étranglement se resserrer sur les pharmacies de centre-ville des grandes métropoles de la région. « Les chiffres d’affaires baissent et les charges d’exploitation de ces pharmacies augmentent dangereusement. Dans le même temps, les besoins personnels du dirigeant ne sont pas en adéquation avec la capacité financière de son entreprise, quelle que soit d’ailleurs la formule fiscale retenue », déplore Dominique Leroy. Néanmoins, selon lui, le gros de la tempête est passé, et « ceux qui ont tenu bon dans les difficultés l’an dernier devraient également pouvoir bien résister aux épreuves de 2011 ».
Le Nord dans la voiture-balai
L’état des lieux est plus sinistré dans la région voisine du Nord-Pas-de-Calais, qui figure dans le haut de tableau de ce mauvais palmarès des officines en difficulté. François Gillot, expert-comptable du cabinet Conseils et Auditeurs Associés à Lille, se dit surpris par ces comparaisons régionales peu flatteuses. « C’est assez paradoxal dans la mesure où le Nord-Pas-de-Calais est une des régions les moins chères au niveau des prix de cession. » Néanmoins, en y regardant de plus près, François Gillot rapporte que des officines rurales situées dans des déserts médicaux et une grosse pharmacie lilloise de centre commercial achetée à prix d’or ont mordu la poussière. « L’inflation des procédures est la conséquence de la frilosité des banques. Celles-ci refusent de prêter à une pharmacie en difficulté financière pour ne pas être accusées ensuite de soutien abusif. Les pharmaciens n’ont alors pas d’autres choix que d’entrer dans une procédure de sauvegarde ou de déposer le bilan pour bénéficier d’un plan de redressement et ainsi forcer la main au banquier », termine François Gillot.
Trois principaux facteurs de risque
L’origine des difficultés des pharmacies est souvent multiple et Interfimo a identifié trois groupes de facteurs de risque.
– Les accidents de trésorerie semblent arriver en tête, notamment en raison des incohérences des prix pratiqués par le marché et/ou de montages financiers acrobatiques : déséquilibre entre prix de vente, EBE et apport, insuffisance de capitaux propres, remboursement d’avances familiales ou d’un crédit « découpage » du répartiteur, pression fiscale et sociale en année n + 3, mauvaise appréciation du stock repris. Par ailleurs, les officines souffrent terriblement des effets de la loi LME et du raccourcissement des délais de paiement.
– Les accidents d’activité : ce sont les aléas du commerce et ce risque n’est pas propre à la pharmacie : travaux dans la zone de chalandise à l’origine d’une baisse de fréquentation (« syndrome du tramway »), arrivée d’un concurrent discounter, perte de marchés (établissement d’hébergement des personnes âgées dépendantes, traitements lourds…), erreurs de merchandising, échec d’un transfert…
– Les erreurs de management peuvent également être lourdes de conséquences pour les pharmaciens : licenciement trop tardif, absences au comptoir, surcharge salariale, démarque inconnue, prélèvements excessifs, problèmes familiaux, mésentente entre associés…
Distinguer sauvegardes, redressements et liquidations
Les procédures collectives sont classées en trois catégories : les sauvegardes, les redressements et les liquidations.
– La sauvegarde, comme son nom l’indique, est avant tout destinée à permettre de se réorganiser afin de poursuivre son activité. Déclenchée à l’initiative du débiteur, elle permet d’apurer un passif important, avant la cessation de paiements. La procédure commence par une période d’observation pendant laquelle l’administrateur judiciaire établit avec le titulaire le bilan économique et social de l’entreprise. Il fait le point sur les difficultés, la situation financière, les mesures correctives à envisager. Cela débouche sur un plan de sauvegarde. Pendant la procédure de sauvegarde, le titulaire continue à diriger son entreprise et peut bénéficier d’avantages : suspension des échéances des dettes, arrêt des poursuites individuelles…
– Le redressement se met en place quand le débiteur est dans l’impossibilité de faire face au passif avec son actif. Il se retrouve donc en cessation de paiements : c’est le dépôt de bilan. Le redressement passe par l’élaboration d’un plan de continuation ou plan de cession.
– La procédure de liquidation concerne un débiteur en cessation de paiements et dont le redressement est impossible. Le tribunal de commerce désigne un juge-commissaire et un mandataire judiciaire qui fera office de liquidateur. A l’issue de cette liquidation, il arrive que le tribunal prononce à l’encontre du chef d’entreprise une interdiction de gérer qui peut aller jusqu’à 15 ans.
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