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Tiens, revoilà l’ouverture du capital…
Hervé Novelli, secrétaire d’Etat au Commerce, à l’artisanat et aux PME a reçu, le 21 janvier, les « propositions pour une nouvelle dynamique de l’activité libérale » qu’il avait demandées. Elles sont 33. Et, surprise, figure parmi elles l’ouverture du capital des sociétés d’exercice libéral jusqu’à 49 %. Brigitte Longuet, rapporteuse du rapport, s’en explique au « Moniteur ».
Le 15 septembre 2009, Brigitte Longuet, avocate à Paris et membre de la Commission nationale de concertation des professions libérales (CNCPL), se voit confier par Hervé Novelli une mission sur l’amélioration de la compétitivité des professions libérales. « Le ministre avait pris en compte le poids considérable que représentaient les professions libérales dans l’économie et le maillage du territoire. Historiquement, ces professions se sont constituées sur les besoins essentiels des usagers, explique-t-elle. Mais ces besoins se sont étendus – avec la santé, par exemple, on a le bien-être –, et, avec eux, le périmètre des professions libérales. Dans un cadre européen, cet ensemble harmonieux et reposant sur la confiance du client vis-à-vis du professionnel libéral et de son éthique doit être préservé. C’est cela la philosophie du rapport. » L’état des lieux préalable indique que ces professionnels sont inquiets de la rapidité des mutations qui s’opèrent autour d’eux. Les pharmaciens n’échappent pas à cette règle.
« Ouvrir le capital est un moyen de garder son indépendance ? »
Pour Brigitte Longuet, les convergences sont évidentes entre un médecin, un pharmacien, un géomètre, un notaire ou un avocat dans la philosophie de leur métier : « On parle moins dorénavant de professions que d’activités, de marchés. C’est pourquoi nous proposons, dans le cadre du Code civil, une définition de l’activité libérale. Assorti de mesures de simplification sociales et fiscales, son mode d’exercice sera facilité et sa compétitivité renforcée. Toutes ces mesures, bien sûr, ne s’appliquent pas systématiquement aux professions de santé, qui ont leurs particularités. Le sentiment d’appartenance commune, c’est une harmonisation, pas une uniformisation. »
L’une des propositions du rapport est l’ouverture des SEL aux capitaux extérieurs. « J’entends les inquiétudes des pharmaciens sur le sujet. Il faut naturellement instaurer des verrous ; que les droits politiques (gouvernance, droit de vote…) appartiennent à la profession réglementée ; qu’un même investisseur ne puisse acheter plusieurs pharmacies. Bien sûr. Mais j’ai entendu aussi qu’il y avait un besoin de capitaux. Une pharmacie est une PME. Il lui faut pouvoir financer son développement. L’ouverture de capitaux minoritaires, jusqu’à 49 %, est le moyen pour un libéral de garder son indépendance. Le risque, sinon, est de voir disparaître la profession de pharmacien au profit de chaînes, de franchises. La solution actuelle n’est pas bonne. »
Un point sur lequel Claude Japhet, président de l’UNPF, se montre d’accord : « Nous sommes pour l’ouverture du capital. Mais le rapport propose de passer de 25 % à 49 %. Or, nous n’avons aucune garantie que 49 % suffisent pour l’Union européenne. J’aurais aimé que le rapport nous éclaire sur ce point. »
Les syndicats feront leurs propres propositions en mars
Toute la profession ne l’entend pas de cette oreille : « Nous ne voulons pas de capitaux extérieurs, même si les investisseurs sont des industriels ou des grossistes-répartiteurs, et n’avons pas besoin aujourd’hui de cet outil, insiste Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. Sans compter que l’ouverture du capital aura une incidence sur le maillage : les investisseurs choisiront plutôt des grosses pharmacies ou des zones de forte activité. Je ne suis pas sûr en outre que l’introduction de capitaux extérieurs rende service aux jeunes. » Même son de cloche du côté de la FSPF : « Le capital des officines doit rester aux mains des pharmaciens. Dans le domaine de la santé, on doit garantir l’indépendance professionnelle et, dans cette logique, garantir l’indépendance financière. » Gilles Bonnefond appelle à la vigilance : « On sent un petit relent de libéralisme. Nous ne devons pas rester passifs mais attentifs. » A ce titre, l’UNPF indique que l’ensemble des syndicats « doit remettre à la mi-mars des propositions communes au ministère de la Santé. C’est notre dernière chance ». La FSPF a également demandé à être reçue par M. Novelli.
Le rapport précise que, pour que l’ouverture du capital soit attractive, il faudrait instaurer un système de dividende prioritaire. « Je crois à la profession libérale indépendante, protégée, avec une structure moyenne qui rend des services particuliers au client. C’est cela que je veux favoriser », précise Brigitte Longuet. Cette structure, le rapport propose d’en faciliter le choix. De permettre au professionnel d’en changer et de s’orienter vers ce qui lui convient le mieux sans que cela ne lui coûte un centime. « J’ai demandé, poursuit Brigitte Longuet, qu’un certain nombre de structures ad hoc soient ouvertes à tout le monde. Si nous voulons que les investisseurs s’intéressent aux entreprises libérales, il faut qu’ils puissent y comprendre quelque chose. Pourquoi ne pas aller vers une société commerciale de droit commun, en reprenant la déontologie commune et toutes les interdictions et les verrous dans les statuts types qui iraient pour chaque profession ? La confiance du client, on ne la pérennisera que dans la transparence et la lisibilité. »
Intéresser le personnel des SEL aux résultats ?
Le statut d’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée), qui touche à la création d’un patrimoine professionnel séparé, est aussi mis en avant. Enfin, l’une des mesures introduit la participation dans les SEL du personnel salarié de la structure, ce qui constituerait un intéressement aux résultats, le seuil pouvant être fixé à 20 ou 25 % du capital. Le rapport évoque la création d’une dotation pour investissement afin d’encourager les regroupements de structures sur les territoires défavorisés. Cette dotation pourrait permettre une défiscalisation à hauteur de 30 000 € par an pendant trois ans : « Je ne vois pas pourquoi les professions libérales, qui maillent le territoire, n’auraient pas les mêmes avantages que le monde agricole », conclut l’auteur.
Ordres et publicité
Pour un patient, tout professionnel de santé est facilement identifiable. Ce qui lui semble plus opaque, c’est parfois son discours, le sentiment qu’il sait des choses mais qu’il ne les dit pas. Brigitte Longuet estime que les Ordres doivent faire des efforts à ce sujet, grâce notamment à la publicité institutionnelle : « Autant leur pouvoir doit être renforcé, autant ils doivent aller davantage vers les patients. Communiquer auprès d’eux. C’est ainsi qu’ils feront avancer les professions. » Le rapport préconise également le renforcement de leur représentation dans les institutions, notamment dans les conseils économiques et sociaux régionaux et dans les agences régionales de santé, ainsi que leur participation aux conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale.
L’objet de toutes les convoitises
Attali, Bruxelles et maintenant Longuet… L’ouverture du capital des officines aux investisseurs extérieurs reste d’actualité. En janvier 2008, Jacques Attali défendait au Sénat un rapport qui expliquait que « les pharmaciens pourraient plus utilement se développer en acceptant que le capital de leurs officines soit détenu par un tiers ». Mais, un an plus tard, le groupe UMP à l’Assemblée détricote ledit rapport, précisant notamment que la profession est capable de s’autofinancer. Pendant ce temps, Bruxelles tance le Portugal et l’Allemagne concernant le capital de leurs pharmacies, puis l’Italie qui interdit aux pharmaciens de détenir plusieurs pharmacies et limite à quatre le nombre pouvant être détenu par la même société de pharmaciens. En décembre 2008, les conclusions de l’avocat général de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) quant aux affaires italienne et du Land allemand de Sarre redonnent espoir : Yves Bot estime que la restriction de la détention du capital aux seuls pharmaciens est justifiée par la santé publique et réaffirme le principe de subsidiarité en matière de santé. Cerise sur le gâteau : au printemps 2009, la CJCE déboute la Commission européenne. Un Etat est donc fondé à réserver le capital aux pharmaciens !
Jusqu’à présent, le capital a ainsi été à chaque fois sauvé in extremis. Tiendra-t-il encore longtemps, sachant qu’au sein même de la profession des désaccords existent (ouvrir aux adjoints ? aux autres pharmaciens ? à personne ?) et que le capital des LABM est également dans le collimateur de la Commission ?
A.-L.M.
![AU CŒUR DU RÉSEAU CARDIAUVERGNE](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/07/article-defaults-visuel-680x320.jpg)