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SORTIR DE L’ORNIÈRE

Publié le 17 décembre 2011
Par Francois Pouzaud
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Les conditions ne sont plus réunies pour assurer l’équilibre économique des officines et LA RECHERCHE DE NOUVELLES RESSOURCES DEVIENT URGENTE. Le passage aux honoraires en négociation entre les syndicats et l’Assurance maladie sera-t-il le bon antidote ? Analyse.

L’économie officinale va mal. La baisse des volumes et des prix a entraîné un déclin de la marge des officinaux. « Entre 2005 et 2010, la pharmacie a perdu l’équivalent de plus d’un mois de chiffre d’affaires, et on va continuer sur cette pente, alerte Philippe Gaertner, président de la FSPF. Il n’y a plus de perspective de croissance en direction des prix et des volumes pour les cinq ans ou dix ans à venir. » Or, comme le craint Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial, « la pharmacie pourrait vivre une récession en 2012. C’est la fin du temps des illusions : les marges de manœuvre seront limitées pour le prochain gouvernement après l’échéance électorale de mai 2012 ».

Au fil des années, un cercle vicieux s’est enclenché. « Au fur et à mesure que les déficits sociaux se creusent, les plans d’économies s’accélèrent, ajoute Philippe Gaertner. Par conséquent, il a fallu faire face à des contraintes supplémentaires, notamment avec la protocolisation de la Haute Autorité de santé dans la prise en charge des pathologies et la nouvelle loi en préparation sur le médicament. » D’autant que « l’approche territoriale de l’accès aux soins devient très compliquée du fait de la désertification médicale. »

Pour se sortir de cette ornière, il est alors urgent d’adapter les conditions économiques de la pharmacie aux nouvelles particularités du marché du médicament et à l’application de la loi HPST. En clair, revoir la rémunération du pharmacien. La tâche s’annonce ardue. Cette refonte n’est pas simple car elle doit trouver un nouveau modèle économique. Avec un objectif principal : dynamiser la marge des pharmacies en la déconnectant le plus possible de la baisse du nombre de boîtes prescrites ou du prix des médicaments, au vu du contexte du marché.

EN ROUTE VERS VERS LES HONORAIRES

La révision du mode de rémunération, inscrite dans le PLFSS pour 2012, semble être en bonne voie. « Nous avons le support législatif et conventionnel qui nous permet de faire face à cette mutation », assure Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Au terme des négociations qui seront conduites avec la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, le nouveau texte réformera la rémunération liée aux médicaments remboursés – la marge du pharmacien. Surtout, il instaurera de nouvelles rémunérations : des honaires basées sur la dispensation d’un côté – sous-forme d’un forfait annuel – et les nouvelles missions de l’autre (voir Lexique ci-contre). En raison du contexte économique difficile, les syndicats souhaitent un passage progressif au nouveau dispositif, sous la forme d’un contrat sur cinq ans avec l’Assurance maladie.

DES OFFICINES MISES EN CONCURRENCE

Ces nouvelles rémunérations sous-tendent la possibilité de respecter un certain cahier des charges : accueillir le patient à part, se réorganiser, avoir du personnel formé, etc. Mais les nouvelles missions, et donc les honoraires qui y sont attachées, risquent de creuser l’écart entre les officines de taille différente. « La différenciation des actes va introduire une concurrence encore plus importante entre les pharmacies », s’accorde à dire Michel Caillaud, président de l’UNPF, qui se montre réservé sur cette nouvelle rémunération.

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Car, faute d’y avoir été préparé, l’ensemble du réseau n’est pas prêt pour les nouvelles missions. Pour Philippe Becker, « les pharmaciens ne pourront aller vers de nouvelles missions qu’à la condition de pouvoir disposer de temps à consacrer aux patients. Cela veut donc dire qu’il faut des moyens humains qualifiés. C’est la logique du système, si on s’écarte de cette logique les textes seront vidés de leur contenu ».

Toutes les pharmacies pourront-elles relever ce nouveau défi ? « La profession est en capacité d’évoluer, il faut la mettre dans une position qui lui permet de s’exprimer, insiste Philippe Becker. Tous les pharmaciens doivent se mettre en ordre de marche et en état de propositions permanentes. Dans le cas inverse, ce serait une catastrophe pour la profession qui serait alors condamnée à subir les évolutions ! »

UNE RECESSION DE L’OFFICINE EN 2012 ?

Surtout, rien n’est encore fait. « Quelle assurance avons-nous que les mesures du PLFSS pour 2012 se traduiront bien par une aide économique et arriveront suffisamment tôt pour sauver les confrères en grande difficulté ?, s’inquiète Michel Caillaud. Tout reste à faire avec l’Assurance maladie, et je suis très réservé sur la deuxième partie des négociations. » Celles-ci, qui devraint avoir lieu en début d’année 2012, porteront sur l’économie des officines à l’horizon 2014-2015. « Entre-temps, les mesures indirectes (déremboursements, baisses de prix, maîtrise des volumes) continueront d’aggraver la situation et l’on demandera au pharmacien, de plus en plus étranglé financièrement, de réaliser des tâches supplémentaires, de travailler plus pour une rémunération moindre… », s’alarme le patron de l’UNPF. D’autant que, pour Michel Caillaud, « le passage aux honoraires va entraîner une correction à la baisse de la valeur des fonds par rapport à des éléments d’exercice professionnel et personnel ». Car cette nouvelle rémunération liée à l’acte individuel d’une personne ne pourra se répercuter sur la valeur du fonds en cas de cession.

« IL FAUT ENTRER DANS UNE LOGIQUE DE PLAN »

Pour relever la tête, les syndicats s’accordent pour dire qu’il faut changer de modèle. Outre l’attribution de nouvelles missions rémunérées dans le cadre de la loi HPST, les regroupements – qui restent trop timides – et les SPF-PL sont en discussion. « Il est urgent d’arrêter la chute de l’économie de l’officine, martèle Philippe Gaertner. Or, la mise en place de cette rémunération mixte risque de ne pas être suffisante pour ceux qui sont en grande difficulté. Il faudra, en complément, d’autres mesures coup de pouce telles que la révision de la tarification des grands conditionnements, les nouvelles dispositions votées par le Parlement sur les regroupements* ou encore les SPF-PL qui aideront à la restructuration du réseau. Il faut entrer dans une logique de plan pour l’officine : chaque action prise isolément ne sera pas suffisante, et c’est la somme de tous ces leviers d’action qui permettra de redonner vraiment du dynamisme et des perspectives pour chaque officine. »

Plus de logique de professionnel de santé, moins de logique marchande… « Les axes de travail de la profession convergent, ils portent notamment sur la qualité et le dossier pharmaceutique. Cette réorientation du métier sécurisera le circuit pharmaceutique, confortera l’avenir de l’officine et la rendra plus forte », conclut le patron de la FSPF. Dans ces conditions, est-ce le début d’une mutation vers des horizons meilleurs ? L’avenir le dira.

* Un nouveau quota de 4 500 habitants pour la deuxième officine, le gel des licences après regroupement durant douze ans pour rassurer les banques et la possibilité de rachats de licences.

Lexique

• Honoraires de dispensation : ils prennent en compte trois paramètres : l’ordonnance, les lignes d’ordonnances et les médicaments.

• Honoraires des nouvelles missions : nouveaux services pouvant être rémunérés à l’acte : accompagnement des patients chroniques, dépistages, bilan de médication, PDA, dispensation à domicile…

• Protocolisation de la HAS : plan précis et détaillé pour le diagnostic d’une pathologie ou pour un régime thérapeutique. Il est destiné à établir le protocole de soins prévu par la loi entre le médecin, le patient et le médecin-conseil.

AVIS D’EXPERTS

Michel Caillaud, président de l’UNPF

« Combien d’officines viables restera-t-il dans deux ou trois ans ? La revalorisation de la première tranche de la MDL est d’un effet immédiat, c’est la seule solution à court terme pour redonner de l’oxygène aux officines ! »

Philippe Gaertner, président de la FSPF

« Il n’est pas illégitime de demander un relèvement de la première tranche de la MDL, mais cette revalorisation ne peut plus être liée à la marge commerciale traditionnelle. Elle prendra la forme d’une forfaitisation, d’honoraires à l’ordonnance, à la ligne ou la boîte. »

Gilles Bonnefond, président de l’USPO

« Il faut aller chercher une rémunération stable reposant sur des honoraires spécifiques pilotés par l’Assurance maladie. Parallèlement, les pharmaciens doivent se battre pour prendre le marché des EHPAD, être présents sur l’HAD, la préparation des doses à administrer et les services. Pour amorcer la pompe, 300 millions d’euros sont nécessaires. Nous les demandons au travers de l’arrêt du calcul de la rémunération actuelle sur les grands conditionnements et de l’octroi d’une enveloppe financière pour amorcer les nouveaux modes de rémunération. »