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Reportage : le « Père Blaize », pharmacie herboristerie à Marseille
La petite rue Meolan et du Père Blaize est si vite encombrée de terrasses qu’on pourrait passer à côté de l’officine sans la distinguer. Pourtant, elle abrite au numéro 4 une enseigne toute boisée, presque conservée dans son jus depuis le début du XIXe siècle. C’est en effet à cette adresse, à Marseille, alors port de commerce qui offrait un accès unique aux plantes en provenance des quatre coins du monde, que le guérisseur Toussaint Blaize, natif des Hautes-Alpes, pose ses valises en 1815. L’endroit idéal, donc, pour y fonder l’herboristerie qui portera encore son nom deux siècles plus tard.
Conscients de la nécessité d’allier savoir empirique et rigueur scientifique, ses successeurs ont intégré une composante médicale à l’herboristerie, permettant à l’endroit de survivre à l’abolition du diplôme d’herboriste, en 1941, quand les pharmaciens étaient alors seuls autorisés à vendre des plantes médicinales. De nombreux établissements ont alors disparu en France, mais le Père Blaize, lui, a survécu et peut se targuer d’avoir la double casquette de pharmacie et d’herboristerie. Pour autant, même s’il est donc théoriquement possible de venir s’y approvisionner en médicaments, la pratique en a décidé autrement : on entre au Père Blaize en prenant le temps d’apprécier les conseils qui y sont délivrés, et on en ressort avec un mélange de plantes qui nous aura été méticuleusement conseillé.
Six tonnes de plantes par mois
Aujourd’hui, la pharmacie-herboristerie du Père Blaize est un labyrinthe vertical, avec ses 355 m² répartis sur trois étages. Malgré l’étroitesse des lieux et la complexité logistique que cela implique – notamment pour la réception des palettes de plantes –, l’établissement continue de prospérer. Chaque mois, ce sont six tonnes de plantes qui sont distribuées, témoignant de la fidélité et de la confiance des clients. À l’abri des regards, au dernier étage, des cartons s’empilent jusqu’au plafond. Sur chacun d’entre eux, le nom des dizaines de plantes qu’ils contiennent et qui représentent la ressource principale de la pharmacie-herboristerie. Ici, « on ne fait que des plantes sous leur forme galénique, explique le titulaire Cyril Coulard. Notre cœur de métier, c’est la plante sèche pour tisane mais on a aussi des plantes sous différentes formes. On essaie d’avoir toutes les plantes autorisées, ce qui représente presque 500 espèces ».
Dans l’espace de vente de 50 m², rien n’est en libre-service. Chaque plante est soigneusement rangée en fonction de sa popularité, avec des bacs – eux aussi en bois et ornés d’une écriture manuscrite qu’on dirait dessinée à la plume – dédiés aux best-sellers, comme la verveine ou le tilleul. Car au-delà de la quantité, c’est la qualité et la personnalisation du service qui font la renommée de l’établissement. Les clients ne viennent pas seulement pour acheter, ils viennent chercher des conseils adaptés à leurs besoins. « Mon métier, c’est de faire le lien entre la pathologie du patient, les médicaments qu’il prend, et les plantes qu’on va lui conseiller », abonde Cyril Coulard. « Une étude a montré que 98,9 % de nos patients viennent pour le conseil, ou en tout cas sont venus demander conseil à un moment ou un autre », explique le pharmacien pour qui cette approche personnalisée est une valeur ajoutée essentielle, dans un monde où le temps consacré à l’écoute du patient se fait, selon lui, de plus en plus rare.
- Équipe : 23 personnes dont1 titulaire, 2 pharmaciens assistants, 4 préparatrices, 2 personnes formées en herboristerie et phytothérapie pour la production, 1 acheteuse avec son assistante, 1 responsable pôle expédition assisté de 2 préparatrices de commande, 1 responsable RH, 1 manutentionnaire, 1 responsable marketing et son assistante. Le reste est composé d’alternants et de stagiaires.
- Surface de vente : 50 m² surface de vente
- Surface totale : 355 m²
- CA annuel HT : 2,5 M€
- Répartition du CA (par taux de TVA) :
– TVA 2,1 % = inf. à 1 %
– TVA 5,5 % = 60 %
– TVA 10 % = 10 %
– TVA 20 % = 30 %
- Panier moyen : 35 €
- Fréquentation : 185 patients jour/jour
- Réseaux sociaux :
- Services proposés : conseils personnalisés, conseils à distance, ateliers, conférences
Un artisanat minutieux et délicat
La pharmacie-herboristerie du Père Blaize se distingue aussi par son savoir-faire artisanal. Isolée des allées et venues des patients et des curieux, Florette, au même poste depuis 34 ans, est entourée de plantes aux couleurs variées. Les mains dans de grands sacs odorants, remplis de plantes variées, elle suit minutieusement les recettes qui lui sont confiées. Elle retire les impuretés de chaque plante, qu’elle mélange vigoureusement, avant de conditionner le résultat dans des sachets de 100 grammes, prêts à la vente.
La production des mélanges de plantes pour tisanes est également confiée à Florette. C’est elle qui s’assure que chaque sachet est parfaitement trié et conditionné. La production est une tâche minutieuse, qui ne peut être industrialisée. C’est là que réside l’essence même de l’herboristerie : un artisanat délicat, transmis de génération en génération, qui perpétue des recettes anciennes tout en s’adaptant aux besoins des patients et aux connaissances scientifiques modernes.
Malgré son succès, Cyril Coulard reste conscient des défis qui se posent à lui. Le marché des plantes médicinales est un marché de niche, éclipsé par l’industrie des compléments alimentaires qui pèse des milliards au niveau mondial. Pour autant, il perçoit une véritable quête de naturalité chez ses clients, particulièrement renforcée par la crise sanitaire.
Dans cette optique, l’herboristerie a diversifié son offre en proposant, depuis 2018, une gamme de tisanes gustatives, imaginées pour être infusées à froid. Cette innovation permet aux clients de découvrir un autre aspect de l’herboristerie, tout en répondant à une demande croissante pour des produits naturels et accessibles.
Lieu de transmission et de partage
Loin de se limiter à la vente de plantes, le Père Blaize est aussi un lieu de transmission. Cyril Coulard et son équipe partagent leur passion pour la phytothérapie et l’aromathérapie à travers des formations, aussi bien en interne qu’en externe, comme à l’université Paris-Saclay où un diplôme universitaire d’herboristerie est proposé. De plus, l’établissement organise régulièrement des ateliers pour ses clients, leur permettant par exemple de créer leurs propres tisanes.
L’équipe de la pharmacie-herboristerie est composée de 23 personnes, dont le pharmacien Antoine, embauché en mai. Pour lui, « vendre des plantes est une chose, mais proposer un suivi personnalisé est primordial. Dans la plupart des pharmacies on ne prend pas ce temps-là mais ici, les gens viennent pour l’écoute et les solutions individualisées ». Pour le titulaire Cyril Coulard, l’avenir de l’officine passe par une expansion raisonnée, en restant fidèle aux valeurs qui ont fait sa réputation. Il envisage d’ailleurs de préempter deux appartements voisins pour agrandir les locaux, tout en préservant l’atmosphère unique du lieu. « Le Père Blaize, c’est toute une histoire qui dure depuis 1815, et c’est à nous de continuer à la faire vivre pour qu’elle ne meure pas », conclut le Marseillais. « Je pense qu’il y a une vraie quête de naturalité, qui s’est encore renforcée depuis la crise Covid. Mon objectif est de rendre la santé au naturel accessible au plus grand nombre. »
Interview : André Borg, docteur en droit et en pharmacie
Retour sur les particularités juridiques de l’exercice en herboristerie, et en particulier ce qui les distingue des officines à la croix verte.
Le métier d’herboriste ayant été interdit en 1941, il n’est maintenant plus rattaché à l’exercice de la pharmacie. Par conséquent, plusieurs règles s’appliquent pour les personnes qui veulent ouvrir une herboristerie. D’une part, les 148 plantes soumises au monopole des pharmaciens ne peuvent pas être vendues, car elles ont un caractère de dangerosité. Elles suivent par ailleurs le circuit de distribution réservé aux pharmacies et s’en procurer reviendrait donc à de la pratique illégale de la pharmacie. Toujours sur la question de l’approvisionnement en matières premières, d’autres plantes qui appartiennent à la pharmacopée sans être soumises au monopole des pharmaciens, comme le thym ou le romarin, peuvent quant à elle être distribuées sans passer par le circuit pharmaceutique.
Mais un autre type de réglementation s’ajoute à cela et concerne la façon dont les produits sont distribués, selon leur fonction et leur présentation. Par exemple, pour le baume du Pérou, onguent sur lequel il existe une jurisprudence fleuve, il est interdit de le présenter comme un médicament, en y inscrivant des indications thérapeutiques ou une posologie. C’est également le cas pour les plantes. Hors pharmacie, si de tels éléments sont inscrits sur l’emballage, alors il s’agit là encore de pratique illégale de la pharmacie.
En somme, dans une herboristerie tenue par un commerçant non-pharmacien, il est en théorie autorisé de recevoir des recommandations, mais il est interdit de recevoir les conseils thérapeutiques que seuls les pharmaciens peuvent donc prodiguer. L’important est de distinguer la « distribution » de la « dispensation », la seconde étant de la distribution accompagnée de conseils. Pour cette raison, les produits doivent être en libre accès, et non sous forme de comprimés ou toute forme similaire à celle d’un médicament.
En cas de non-respect de ces réglementations, les risques encourus sont variables. Le paradoxe étant que la personne en faute n’est pas soumise aux règles déontologiques, puisqu’elle n’est pas pharmacienne. Elle ne peut donc pas recevoir de blâme, ni de suspension, etc., mais plutôt des sanctions civiles (dommages et intérêts) ou pénales (exercice illégal de la pharmacie). Par ailleurs, la France possède la réglementation la plus stricte des 28 États membres de l’Union européenne. De fait, il serait étonnant que des dérogations assouplissent toute cette réglementation
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