Stratégie et Gestion Réservé aux abonnés

QUELLES MISSIONS POUR QUELLES RÉMUNÉRATIONS EN 2023 ?

Publié le 25 février 2023
Par Francois Pouzaud
Mettre en favori

L’ANNÉE 2022 N’A PAS SUFFI POUR METTRE EN ŒUVRE LES MULTIPLES VOLETS DE LA RÉCENTE CONVENTION NATIONALE PHARMACEUTIQUE DANS LEUR INTÉGRALITÉ. LANCÉES EN DEUX TEMPS, ET SOUVENT AVEC RETARD POUR DES RAISONS TECHNIQUES OU RÉGLEMENTAIRES, LES NOUVELLES MISSIONS NE SONT PAS TOUTES PAYÉES À L’ACTE. ET LE VERSEMENT DE CERTAINES RÉMUNÉRATIONS A ÉTÉ REPORTÉ À 2023. ALORS QUE LE DÉPISTAGE DES INFECTIONS URINAIRES ET LA PRESCRIPTION DES VACCINS SONT ENCORE SUR LA RAMPE DE LANCEMENT, QUE VONT TOUCHER LES PHARMACIENS CETTE ANNÉE ?

Signée en mars, officialisée en avril et applicable le 7 mai, la convention ­pharmaceutique de 2022 a ouvert le bal des nouvelles missions avec le dépistage du cancer colorectal. Non sans difficultés au démarrage, en ce qui concernait la formation pour la remise du kit de dépistage ou le code traceur RKD de 0,01 € TTC, qui sert au paiement sous forme de rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp). La dispensation à l’unité des médicaments, notamment des antibiotiques, devait être opérationnelle le 7 mai. Elle ne l’a été que fin novembre – et encore, grâce au développement dans l’urgence des éditeurs de logiciels de gestion officinale (LGO), lié aux tensions d’approvisionnement sur l’amoxicilline.

L’intendance n’a pas suivi non plus lors du lancement de l’entretien court de la femme enceinte et de la dispensation à domicile (dans le cadre du service Prado, développé par l’Assurance maladie pour le retour des patients hospitalisés), le 7 novembre dernier. Les fiches réglementaires du GIE Sesam-Vitale, nécessaires à l’intégration des codes-actes pour la facturation dans les LGO, ont été transmises tardivement aux éditeurs de logiciels. Ainsi, la fiche concernant le code acte DDO pour la dispensation à domicile n’a été reçue que le 23 novembre ! La bataille a également été longue et difficile avant que les syndicats obtiennent gain de cause sur la généralisation de l’honoraire « grands conditionnements » de 2,70 € à l’ensemble des présentations trimestrielles (à l’exclusion des pilules contraceptives). L’impact de cette disposition est estimé à 50 M€ de marge supplémentaire par an pour le réseau officinal.

Pour pouvoir passer à l’acte, l’élargissement des compétences des pharmaciens exige un processus réglementaire et législatif, qui n’est pas toujours prêt pour le jour J.

Mais d’autres chantiers de la convention ont été différés faute de temps. L’expérimentation du dispositif de dispensation adaptée (DAD), qui permet au pharmacien d’ajuster la délivrance aux besoins du patient, s’est terminée le 30 juin de l’année dernière. Il est prévu de discuter la nouvelle version de la DAD en 2023.

En principe, celle-ci doit s’élargir aux produits de la LPPR (compléments nutritionnels oraux, pansements et bandelettes pour lecture de glycémie). Elle doit également faire l’objet d’un nouveau modèle économique.

Depuis le 1er juillet 2022, la dispensation adaptée n’est plus rétribuée. La rémunération annuelle versée en 2023 au titre de l’année 2022 tiendra compte uniquement des actes de ce type réalisés au premier semestre. S’ils le souhaitent, les pharmaciens peuvent continuer à saisir le code traceur DAD lorsqu’ils pratiquent la dispensation adaptée. Le code reste valable et les 10 centimes associés continueront d’être versés, a annoncé la Cnam. Rappelons que la facturation du code DAD peut s’effectuer même si aucun conditionnement de la ligne n’est facturé.

Publicité

La prescription des vaccins

En principe, le pharmacien aurait dû avoir le droit de prescrire des vaccins au 1er janvier 2023, ouvrant par là même le droit au remboursement du produit. Ce droit est différé. Il est suspendu à la parution d’un arrêté et d’un décret à venir, à la consultation de l’ANSM et à la rédaction du cahier des charges d’une formation obligatoire. L’honoraire prévu est de 9,60 € TTC lorsque la personne ne dispose pas d’une prescription préalable établie par un professionnel de santé (autre que le pharmacien lui-même) pour un vaccin à prescription obligatoire. Le pharmacien renseigne alors un bon de prise en charge sur le portail de l’Assurance maladie dédié aux professionnels de santé, qui vaut prescription pour les vaccins à prescription médicale ­obligatoire. Sinon, c’est 7,50 € TTC l’acte vaccinal.

La prescription des vaccins par le pharmacien est l’un des réacteurs importants de la prévention, clé de la nouvelle convention, estime Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). En effet, sur le plan économique, les deux honoraires créés pour les vaccinations autres que la vaccination antigrippale représentent une manne supplémentaire de 32 M€ au mieux pour le réseau officinal. Dommage que ce dispositif soit sans doute reporté de six mois, causant de fait un préjudice économique pour la profession.

Le dépistage des infections urinaires

Le dépistage des infections urinaires simples de la femme n’est pas entré en vigueur le 1er janvier. Plusieurs arrêtés manquent encore (pour l’inscription à la liste des Trod autorisés en pharmacie, pour permettre la réalisation de l’acte, la facturation à l’Assurance maladie et la mise en place de l’ordonnance conditionnelle), de même que l’avis consultatif du Conseil national professionnel de biologie médicale (CNPBM).

La rémunération prendra la forme d’un paiement ponctuel annuel. Il sera effectué à partir de la facturation d’un code traceur de 0,01 € TTC par le pharmacien après chaque test réalisé et déduit du tarif fixé à 6 € TTC. Le premier versement de la rémunération, sous forme de Rosp, aura lieu avant la fin du deuxième trimestre 2024. Par la suite, le pharmacien tarifera l’exécution du test 5 € TTC pour l’analyse et l’interprétation, et 1 € TTC pour la bandelette urinaire, au seul bénéfice des patientes éligibles.

Le dépistage du cancer colorectal

Jusqu’au 31 décembre 2023 inclus, la remise de kit de dépistage est rémunérée 5 € TTC et payée annuellement, sous forme de Rosp, donc en année n+1. Une rémunération à l’acte sera instituée au 1er janvier 2024 seulement et complétée par un paiement annuel : 3 € TTC, plus 2 € TTC si le patient a exécuté son test. Cette rétribution mêlera alors un paiement à l’acte et une Rosp, celle-ci étant calculée au déclenchement des 2 €, une fois que le patient aura effectué son dépistage. Le montant total dû pour le nombre de tests réalisés en 2024 sera versé par un paiement annuel au deuxième trimestre 2025.

Le pharmacien correspondant

Les dispositions législatives et réglementaires actuelles le prévoient : sous certaines conditions et seulement pour les ordonnances du médecin traitant des patients l’ayant désigné comme pharmacien correspondant, ce ­dernier peut notamment renouveler les traitements chroniques au-delà de l’indication de durée mentionnée sur l’ordonnance. Il peut aussi ajuster des posologies si le médecin traitant a inscrit sur l’ordonnance une mention précisant cette faculté.

Ce travail vaut au pharmacien correspondant une rémunération annuelle qui prend en compte chaque patient pour lequel il a effectué au moins une mission du pharmacien corres­pondant lors de l’année civile. Ce montant est dégressif : 2 € TTC par patient, de 1 à 100 patients, puis 1 € TTC au-delà de 100 patients. La rétribution est limitée à 500 € TTC par an, tous patients confondus. Elle est versée dans le cadre de la Rosp pour la modernisation des échanges numériques et l’accès aux soins. La ressource attachée au pharmacien correspondant est estimée à 1,5 M€.

La dispensation à domicile

La faible rentabilité de ce service est très sévèrement critiquée par les pharmaciens. Ils trouvent honteux d’être rétribués 2,50 € pour une dispensation à domicile, au regard de l’impact qu’elle peut avoir sur l’organisation de l’officine et de ses coûts (en temps et en frais de déplacement).

La rémunération se concrétise par un paiement annuel sous forme de Rosp (code traceur de 0,01 € TTC, à facturer après chaque dispensation), à raison de 2,50 € TTC par patient, mais dans la limite de cinq dispensations à domicile par jour, tous patients confondus. En raison de la mise en œuvre tardive – fin novembre, voire début décembre, selon les possibilités de facturation du LGO du pharmacien -, la Rosp correspondante versée par pharmacie en 2023 au titre de 2022 sera insignifiante, quand elle ne sera pas nulle. Sur une année entière, le gain pour la profession est estimé à 1 M€.

L’entretien de la femme enceinte

Pour les mêmes raisons, la Rosp versée cette année pour la réalisation d’entretiens courts de la femme enceinte ­(honoraire de 5 € TTC par entretien) sera famélique.

La dispensation à l’unité

Même dans le contexte actuel de fortes tensions sur les stocks d’amoxicilline, les syndicats pharmaceutiques restent fermement opposés à la dispensation à l’unité (DAU).

« La dispensation à l’unité est une mauvaise réponse à une bonne question », répète sans cesse Pierre-Olivier Variot, président de l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), totalement réfractaire à l’usage des ciseaux. Il juge que le procédé est inutile, chronophage, entraîne une perte de sécurité et de traçabilité, et qu’il complique l’organisation du travail.

Pierre-Olivier Variot plaide en faveur de l’accélération de l’utilisation des Trod angine pour identifier une angine virale. Or les tensions ou ruptures sur l’amoxicilline devraient perdurer jusqu’à la fin de l’hiver. Les pharmaciens vont donc acquérir ce nouveau réflexe de dépistage, notamment lorsqu’ils recevront du médecin une ordonnance de dispensation conditionnelle de l’antibiotique pour le traitement d’une angine aiguë.

Prévue par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), la DAU n’a pas de caractère obligatoire. Elle peut être pratiquée sur l’ensemble des « antibactériens à usage systémique » dès lors que leur présentation le permet (sachets-doses ou blisters, par exemple).

Si le Trod est positif, le pharmacien peut cumuler deux rémunérations : celle sur objectif de santé publique, soit 1 € par acte (dans la limite de 500 € annuels TTC quand il délivre à l’unité), et celle pour la réalisation d’un Trod angine. Dans ce cas, la facturation du test (avec le code acte TRD) est de 6 € TTC (dont 1 € de matériel de dépistage).

Pour rappel, ce tarif s’applique si le patient se présente ­spontanément à l’officine ou s’il est orienté par le médecin traitant et si le résultat du Trod angine est positif. Le tarif majoré à 7 € s’applique seulement si le patient est orienté en officine par le médecin traitant et si le résultat du Trod angine est négatif.

Le Trod angine favorise le bon usage des antibiotiques et génère des économies pour l’Assurance maladie. Oui, mais comment étendre son utilisation ? Le président de l’USPO demande une revalorisation de la rémunération du pharmacien, ainsi qu’une formation obligatoire moins lourde, de façon à en faciliter l’accès aux officinaux. Il appelle aussi au développement de Trod combinés permettant de détecter, chez l’adulte, grippe et Covid-19, et, chez l’enfant, grippe, Covid-19 et virus respiratoire syncytial (VRS).

Les téléconsultations

Le dispositif était déjà prévu dans la précédente Convention nationale. La convention de 2022 l’a simplement actualisé, notamment sur le plan du forfait de prise en charge de l’équipement de base et du nouveau barème tarifaire.

Le poids et le nombre de téléconsultations stagnent en médecine générale (entre 3 % et 5 %, selon les mois), tandis qu’elles se démocratisent en officine. De plus en plus de pharmacies s’équipent de bornes permettant ces échanges et aménagent des salles dédiées, tout en proposant un accompagnement du patient qui téléconsulte.

La part des téléconsultations à l’officine a été multipliée par 2,6 en un an, passant de 6 % à 16 % (en cumul fixe à fin novembre 2022, comparé à la même période de 2021, des pharmacies ayant effectué au moins une téléconsultation depuis le début de l’année, selon les données du Gers). 2 % des pharmacies opèrent la moitié des téléconsultations, et 8 % en réalisent 90 %. En 2023, une rémunération forfaitaire au titre de 2022 leur sera versée. Son montant variera selon le nombre de téléconsultations exécutées au sein de l’officine sur l’année civile (5 € TTC par téléconsultation), dans la limite d’un plafond annuel de 750 € TTC.

Les Rosp

Elles ont fait peau neuve dans la récente convention. La Rosp générique, dont les pharmaciens ont été privés en 2021, a réintégré, la « Rosp bon usage des produits de santé », créée en 2022. Principale caractéristique de celle-ci : le pharmacien doit satisfaire deux indicateurs socles pour pouvoir la toucher (adhésion à la démarche qualité mise en place par le Haut Comité qualité officine et pénétration des génériques dans l’ensemble du Répertoire).

Pour percevoir cette Rosp (jusqu’à 500 € pour 2022), le pharmacien doit s’être engagé dans la démarche qualité avant le 31 décembre 2022. Ce qui suppose de s’être inscrit à la newsletter Démarche Qualité Officine, d’avoir effectué son autoévaluation et d’avoir lancé au moins une procédure qualité dans son officine. Quant à la seconde Rosp, pour le développement du numérique en santé et l’amélioration de l’accès aux soins, les pharmaciens en retireront 820 € en 2023 (au titre de 2022) pour participation à un exercice coordonné. Cela s’ajoute aux rémunérations de l’ex-Rosp « qualité de service » (télémise à jour des cartes Vitale sur le poste de travail, utilisation d’une messagerie de sécurité de santé, taux de FSE transmises en Sesam-Vitale, dématérialisation des pièces jointes…).

Exceptionnellement, pour sa première année d’application, le caractère socle de l’indicateur « participation à un exercice coordonné » est neutralisé. En clair, les pharmaciens n’ayant pas encore pu intégrer un exercice coordonné en 2022 percevront tout de même la rémunération liée aux autres indicateurs de cette Rosp. Une condition, toutefois : que les deux autres indicateurs socles applicables à compter de 2022 soient remplis (ne pas avoir été condamné pour fraude ; disposer d’un logiciel d’aide à la dispensation certifié par la Haute Autorité de santé, un indicateur neutralisé comme les années précédentes, tant que cette ­certification n’est pas possible).

Sérialisation, attention !

Les pharmaciens d’officine qui contreviennent à leurs obligations en matière de sérialisation risquent gros. Le gouvernement envisage, à travers la future loi « portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture », des pénalités financières trimestrielles automatiques et reconductibles, plafonnées à 2 000 € par mois et 8 000 € par an.

Numériquement vôtre

Le Ségur du numérique en santé va fortement impacter les relations du pharmacien avec ses patients et avec les autres professionnels de santé. Il va aussi transformer les LGO en outils de gestion de dossier patient et de son parcours de soins. Le déploiement de la version référencée Ségur, commencé en fin d’année 2022, est en cours. L’objectif est que chaque officine soit formée et que la version Ségur des LGO soit installée avant le 28 avril 2023, conformément au calendrier officiel. Une enveloppe de plus de 1 Md€; est allouée aux éditeurs de LGO pour développer des fonctionnalités exigées par le Ségur de la santé, dont 600 millions en soutien aux libéraux qui ont passé commande d’une version Ségur de leur logiciel. Mais le pharmacien aura à sa charge les coûts de remplacement si son matériel est obsolète ou si la version du logiciel qu’il utilise est trop ancienne. Et, au cas où il a excédé la date limite pour passer commande (fin 2022), il peut encore demander en 2023 un module Ségur auprès de son éditeur, mais à ses frais.

LES NOUVELLES MISSIONS QUI POURRAIENT VOIR LE JOUR EN 2023

Sortie du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, la dispensation sous protocole dans le cadre des soins non programmés pourrait bien s’inviter cette année à la table des discussions conventionnelles. Porté l’été dernier par le ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, le dispositif doit trouver un nouveau souffle et rebondir. Mais, pour cela, il faut lever les contraintes liées à la participation obligatoire du pharmacien à un exercice coordonné et les blocages sur le plan politique liés aux médecins. En ce qui concerne les travaux conventionnels pour 2023, les parties prenantes se sont engagées à travailler sur de nouvelles missions et à transformer l’essai sur : le sevrage du patient dépendant aux opioïdes, le dépistage du risque cardiovasculaire et les interventions pharmaceutiques sur l’ordonnance, l’accompagnement des patients diabétiques, le développement des médicaments biosimilaires et hybrides, ou encore la préparation des doses à administrer (PDA).