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QUAND LES MÉDECINS FERMENT LA PORTE

Publié le 21 janvier 2012
Par Isabelle Guardiola
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Le texte de loi débattu à l’Assemblée nationale ce 26 janvier et les récentes propositions de la Fédération hospitalière de France visent à limiter la liberté d’installation des médecins dans les zones surdotées. Des mesures qui fâchent pour un sujet qui bloque.

Stage obligatoire d’un an en 3e année d’internat en maison de santé ou hôpital de zone sous-dotée, retour à la régionalisation de l’internat, obligation d’installation de 3 ans minimum en territoire pénurique, non conventionnement en cas d’installation en zone surdotée… La proposition de projet de loi (PPL) relative à la démographie médicale, examinée le 26 janvier prochain à l’Assemblée, présentée par le député Philippe Vigier (Nouveau Centre), est cosignée par 53 députés, dont plus de 30 de l’UMP. Inutile de préciser qu’elle ne fait pas l’unanimité dans le milieu médical : « Son auteur ne connaît pas le monde de la santé (Il est médecin biologiste, NdlR) sinon il n’aurait pas pondu une loi aussi idiote », tonne Michel Chassang, président du Centre national des professions de santé (CNPS). Les récentes propositions de la Fédération hospitalière de France (FHF), qui dévoilait le 11 janvier, sa plateforme politique, intitulée « Le service public de santé, une ambition pour la France 2012-2017 », prônent elles aussi la coercition. La FHF avance l’idée que des médecins hospitaliers – ou recrutés pour cette mission – prennent en charge des cabinets désertés par des confrères libéraux, et assurent des visites à domicile. Cette proposition serait financée par l’enveloppe de ville : « A chacun son métier, rétorque Gilles Bonnefond, président de l’USPO. L’hôpital ferait mieux de s’atteler à assurer les sorties d’hôpital plutôt que de donner des leçons à la ville ».

Incitation plutôt que coercition

Si la PPL a peu de risque d’aboutir, Nicolas Sarkozy s’étant toujours prononcé contre la coercition, elle traduit cependant la crispation des élus sur un sujet épineux, celui des déserts médicaux : « On n’a jamais eu autant de médecins mais paradoxe, ils n’ont jamais été aussi mal répartis. Je suis content que la question fasse débat et ne soit plus taboue », déclare Philippe Vigier. Le sujet est politique parce qu’il touche au privilège, jusqu’ici toujours consenti aux seuls médecins, de leur totale liberté d’installation. D’autres professions de santé ont déjà évolué : sages-femmes, infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes ont récemment signé, chacun dans leur branche, un avenant conventionnel incluant des mesures de régulation démographique. Dans les zones surdotées, l’accès au conventionnement est restreint en fonction du nombre de professionnels déjà installés.

A l’approche des présidentielles, le thème des déserts médicaux fait campagne et chacun y va de sa propre analyse et de ses propres solutions : « Nous ferons prochainement des propositions concrètes sur les sorties de maternité, la prise en charge des maladies neurodégénératives ou des post-AVC à domicile », promet Michel Chassang. La majorité des acteurs de santé interrogés jugent inopportunes d’éventuelles mesures coercitives : « Il faut au contraire prendre soin des généralistes dont le nombre ne cesse de baisser et dont nous sommes dépendants, rappelle Philippe Gaertner, président de la FSPF. Je ne pense pas que les Français soient pour le retour des dispensaires, qui sont de plus, une mauvaise solution économique : les libéraux ne coûtent rien à la société ». Claude Leicher, président de MG France, estime lui aussi que l’obligation d’installation de trois ans ferait fuir les candidats à l’exercice généraliste libéral « et renforcerait l’attractivité de la pratique hospitalière ou salariée aspirant déjà la majorité des jeunes médecins, qui, pas plus que quiconque, n’ont envie de s’installer dans une zone sans services publics ni industries ou dans certaines banlieues difficiles. » Le syndicat de généralistes estime cependant intéressant l’article de la PPL sur les stages en zones sous-dotées, mais proposés « de manière incitative ». Car au coercitif tout le monde préfère l’incitatif : « Sauf que cela coûte cher pour de piètres résultats », objecte Gilles Bonnefond. Claude Leicher répond que tout n’a pas été essayé et suggère d’établir un diagnostic territorial préalable et précis par bassin de population, permettant une allocation de ressources ciblée et de moduler le forfait « médecin traitant » à la hausse en fonction de critères géographiques ou sociaux dans le cadre conventionnel de la rémunération sur objectifs. « On pourrait verser par avance au nouvel installé une rémunération forfaitaire », précise-t-il.

La coopération en question

Plébiscitées, les maisons de santé sont la solution la plus spontanément avancée. Elles étaient plus de 200 fin 2011, un grand nombre étant encore en cours de création. Autre ressource à développer, la coopération interprofessionnelle : « Je pense aux consultations à distance en télémédecine, projette Michel Caillaud, président de l’UNPF. Un coordinateur, pharmacien ou infirmière de préférence, pourrait servir de relais entre le patient et le médecin ». Des missions qui pour se développer nécessitent une ouverture côté médecins : « C’est au corps médical de trouver ses modes de régulation, admet Gilles Bonnefond. Mais il ne peut à la fois refuser la coercition et la coordination des soins ». Invoquant les possibilités ouvertes par les nouveaux modes de rémunération, le président de l’USPO réaffirme que lorsqu’un patient vit loin de son médecin mais près d’une officine, le pharmacien doit pouvoir agir en premiers recours, proposer du dépistage ou suivre, par exemple, une ALD. Et de conclure : « La condition sine qua non du développement du pharmacien référent, c’est le courage politique ».

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Les propositions de l’APR

L’Association de pharmacie rurale (APR) reprend elle aussi la proposition de pharmacien référent pour le suivi des traitements chroniques, l’éducation thérapeutique du patient, le premier recours, le dépistage… Autre idée (voir Le Moniteur n° 2910 du 17/12/2011), celle pour un médecin quittant son cabinet pour une maison de santé, de continuer à assurer 2 ou 3 consultations par semaine, avec l’aide de ses collègues, dans son ancien lieu de travail. Les frais de gestion du « cabinet satellite » seraient pris en charge par la commune, désireuse de conserver son prescripteur.