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QUAND LA SÉCU TRAQUE LES FRAUDEURS

Publié le 24 juin 2011
Par Chloé Devis
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Du renouvellement de prescription anticipé à la falsification de factures, les irrégularités débusquées par la Sécurité sociale dans les officines sont en recrudescence. Et les sanctions sont loin d’être bénignes.

Le chiffre est révélateur : entre 2006 et 2010, le nombre de pharmacies contrôlées par le service de contentieux de la Sécurité sociale a triplé. Pourtant, aux dires de Pierre Fender, directeur du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude à la CNAMTS, la fraude ne concerne qu’une « petite minorité », qui, hélas, « pénalise l’ensemble de la profession », effet loupe médiatique oblige. Ce bond statistique reflète l’efficacité de la « machine de guerre » de l’Assurance maladie mise en place depuis quelques années pour traquer les abus en tous genres, qu’ils émanent des assurés, des employeurs, des professionnels ou des établissements de santé. En ligne de mire : la maîtrise des dépenses de santé et la qualité des soins.

Au-delà de ce credo louable, « l’inquiétude du pharmacien relative à d’éventuels contrôles est parfaitement justifiée, tant la définition des fautes, fraudes et abus reste vague », soutient l’avocat Guillaume Fallourd.

1 L’informatique, arme fatale

Pour déceler les fraudeurs, l’Assurance maladie surveille de très près les ordinateurs des pharmacies. Jour après jour, de puissants serveurs passent au filtre, à l’aide de multiples indicateurs, les données en provenance des officines. Le but : repérer les « atypies statistiques ». « On peut constater, par exemple, une consommation par client très différente d’une pharmacie à une autre, ou encore repérer des patients qui obtiendraient des remboursements pour un produit dans une pharmacie alors qu’il leur avait déjà été délivré dans une autre », explique Pierre Fender. Par ailleurs, sur des périodes limitées, l’organisme peut activer un certain nombre d’indicateurs inédits, permettant d’attirer dans ses filets des officines qui auraient pu passer au travers des contrôles habituels.

Autre source de détection des abus, l’« information ponctuelle », autrement dit la dénonciation. Généralement, employés et conjoints bafoués en sont à l’origine. D’ailleurs, toute alerte aboutit à une enquête… sauf si elle est anonyme.

2 Trois niveaux de griefs

Le premier niveau de grief peut concerner, par exemple, des délivrances de trois conditionnements mensuels au lieu d’un conditionnement trimestriel ou un renouvellement anticipé. Dans ces cas, l’Assurance maladie modulera son action en fonction de l’importance des anomalies, d’un simple entretien de mise en garde à la récupération des sommes indûment versées.

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A un degré supérieur, en cas de pratiques fautives, abusives ou frauduleuses, la saisine de l’Ordre des pharmaciens s’impose. C’est notamment le cas pour l’officinal qui ne respecte pas les règles de la délivrance des médicaments à prescription restreinte, qui commet une erreur dans l’appréciation de l’ordonnance, qui facture pour une durée supérieure à un mois… Le pharmacien mis en cause devra alors répondre de ses actes devant la Section des assurances sociales du conseil régional de l’Ordre. Il risque un avertissement, un blâme et jusqu’à une interdiction, temporaire ou permanente, de donner des soins aux assurés sociaux. « Au-delà d’un an d’interdiction, le pharmacien sera amené, en pratique, à céder son officine », souligne Guillaume Fallourd.

Enfin, certains types de fraudes constituent des délits au sens pénal du terme. Il s’agit de la production ou de l’usage de faux, de la falsification de documents (factures ou prescriptions), de l’utilisation ou de l’emprunt illégal de documents (cartes Vitale par exemple) ou encore de l’organisation de la fraude avec complicité (du médecin et/ou du patient). En présence de tels faits, la juridiction pénale est saisie. En cas d’escroquerie qualifiée, la peine encourue peut atteindre cinq ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende.

3 Des procédures disciplinaires

Le conseil de l’Ordre est informé par l’Assurance maladie de toutes les plaintes pénales déposées. L’institution peut alors décider d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre du pharmacien fraudeur, indépendamment des poursuites pénales. Les modalités du déroulement d’un contrôle dépendent, là encore, de la qualification des infractions suspectées.

Si les griefs apparaissent comme frauduleux, une enquête est réalisée à partir des archives de l’Assurance maladie. Elle donne également lieu au dépôt d’une plainte de la part du conseil de l’Ordre. Le contrevenant ne sera alors prévenu qu’au stade de l’interrogatoire policier.

En cas de faute ou d’abus, l’officinal est informé du déclenchement d’une analyse d’activité. Dans ce cas, des médecins, mais aussi des clients de la pharmacie peuvent être interrogés. Le moindre détail est alors passé à la loupe. Fichier clients, livre de comptes, registres (l’ordonnancier et le registre des médicaments dérivés du sang) et factures d’achats (médicaments, produits de la LPP et tout autre produit …) des divers fournisseurs doivent aussi être fournis afin de détecter les anomalies.

4 Des recours pour les contrevenants

Vous êtes visé ? « La transparence est impérative, car tous les mouvements anormaux seront reconstitués. Il faut expliquer d’une manière claire et sans détour toutes les erreurs commises », recommande Guillaume Fallourd. Bien sûr, des recours sont possibles et passent par les voies habituelles : la Cour d’appel, un pourvoi en cassation… Côté ordinal, c’est la section des assurances sociales du Conseil national qui est compétente en appel. Le Conseil d’Etat peut aussi être saisi dans le cadre d’un pourvoi en cassation.

Le succès de la chasse aux abus

De 2006 à 2010, le nombre de plaintes pénales à l’encontre de pharmaciens d’officine est passé de 5 à 16 par an et celui des plaintes ordinales de 16 à une quarantaine. Il faut y ajouter en 2006 et 2007 une quarantaine de plaintes pénales et une cinquantaine de plaintes ordinales, sur une centaine de pharmacies repérées dans le cadre d’une campagne ponctuelle. L’Assurance maladie a par ailleurs programmé une campagne avec de nouveaux indicateurs d’ici à la fin de l’année.

Une convention pour s’y retrouver

La Convention nationale conclue entre les pharmaciens et l’Assurance maladie en 2006 précise le rôle du pharmacien en termes d’analyse des prescriptions, de conseils et d’accompagnement thérapeutique accordé aux patients particulièrement exposés. Ce texte prévoit également une procédure à mettre en œuvre en cas de non-respect des règles de dispensation et de facturations par un pharmacien d’officine.

AVIS D’EXPERT

Guillaume Fallourd
AVOCAT

« Le pharmacien doit faire preuve de rigueur dans la tenue de son officine et disposer d’un système informatique performant lui permettant de mettre en place un contrôle qualité efficace. Il lui faut également prévoir une répartition des responsabilités et des missions entre chaque intervenant dans l’officine. »