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Pour ou contre l’OTC en accès libre ?
Si le principe de l’automédication fait plutôt l’unanimité auprès des pouvoirs publics, de la profession, des industriels, des assureurs et même des consommateurs, les motivations des uns et des autres divergent. Avec en filigrane le spectre de la perte du monopole sur ce marché.
French paradox. Un de plus pourrait-on dire. Les Français, champions toutes catégories de la consommation de médicaments (en moyenne 50 boîtes par an), comptent parmi les derniers de la classe quand il s’agit de s’automédiquer. En effet, les ventes de médicaments non prescrits et non remboursés ne représentent que 8 % des ventes totales.
En juin 2006, Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, avait demandé un rapport sur la situation de l’automédication en France et ses perspectives d’évolution. Alain Coulomb, ancien directeur de la Haute Autorité de santé, et le professeur Alain Baumelou, président du groupe « prescription médicale facultative » à l’Afssaps, tous deux auteurs du rapport remis au ministre, ont jeté un pavé dans la mare en faisant apparaître un certain nombre de sujets prioritaires. Pêle-mêle : disposer de médicaments adaptés à l’automédication en termes de notices, de conditionnements et d’indications ; renforcer l’information en développant le conseil aux patients par les professionnels de santé, assurer une meilleure gestion des prix avec un engagement clair et durable des industriels ; et, surtout, l’argument qui a déchaîné les passions : faciliter l’accès aux consommateurs de ces médicaments dans les pharmacies. Dans le même temps, un sondage de la Mutualité française montrait que 35 % des personnes ayant souvent recours à l’automédication étaient prêtes à acheter ces médicaments ailleurs qu’en pharmacie. Alors, à la lueur de tout cela, quelle conduite adopter ? Réactions.
La perte du monopole n’est pas inéluctable »Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO
Parlons tout d’abord de médication officinale plutôt que d’automédication. Je suis opposé au libre accès et au « deux achetés, le troisième gratuit ». En revanche, je suis d’accord pour un espace conseil réservé où le patient ne peut aller se servir tout seul. La gamme sera à sa vue, mais pas à sa portée. Contrairement à l’industrie, nous prônons un parcours de soins et non une logique de consommation. Un parcours de soins cohérent et responsable pour créer le réflexe pharmacie pour les soins de première intention. Le conseil y sera approprié avec la possibilité de refuser de délivrer le médicament.
Les laboratoires pharmaceutiques doivent mettre à notre disposition des présentations parfaitement lisibles avec des conditionnements précisément adaptés aux durées de traitement et des molécules récentes, sûres et efficaces. Sur ce point, on prend du retard par rapport à la Belgique, l’Allemagne, l’Italie ou le Luxembourg. Ce projet doit se construire avec les associations de patients. Le remboursement par les complémentaires doit également être étudié, surtout s’il n’est pas nécessaire d’aller voir le médecin. Enfin, cet échange avec le patient doit être l’occasion d’une éducation thérapeutique afin de renforcer l’utilisation correcte du médicament.
« Pas de prix imposé »
Je suis défavorable à l’idée d’un prix imposé sur le médicament conseil. Ce serait donner à la Commission européenne un argument pour crier à l’entente sur les prix. En revanche, une régulation par accord de bonnes pratiques commerciales entre les laboratoires et les pharmacies s’impose pour mettre un terme à des écarts de prix préjudiciables d’une officine à l’autre. La perte du monopole n’est pas inéluctable. Ce n’est ni dans l’intérêt des patients, ni dans l’intérêt des organismes qui gèrent la sécurité sanitaire et les comptes sociaux, une mauvaise utilisation des médicaments générant plus de dépenses d’hospitalisation. La confiance qu’ont les patients vis-à-vis du circuit pharmaceutique est notre force.
Oui au libre accès, mais dans des zones dédiées »Eric Maillard, président de l’AFIPA (Association de l’industrie pharmaceutique pour une automedication responsable)
Etes-vous favorable à ce que des groupements participent à cette expérimentation ?On se doit de faire reconnaître la pharmacie comme lieu de la délivrance du médicament. Oui au libre accès mais dans des zones dédiées, devant le comptoir. L’exposition accordée aux médicaments OTC doit absolument être plus importante que ce que l’on voit aujourd’hui dans les officines. C’est l’une des conditions du développement de l’automédication. S’il ne fait aucun doute que le médicament doit continuer à être distribué en pharmacie et délivré par un « homme de l’art », le mode de distribution doit être adapté à son temps et à la nouvelle relation que le consommateur peut avoir avec le médicament. Le libre accès garantira une absence de flambées des prix car il rendra la comparaison plus aisée. Côté prix, nous sommes d’ailleurs prêts à définir une maîtrise du prix public. Il faut aussi faire en sorte que nos concitoyens aient une meilleure connaissance de ces médicaments, en favorisant la communication des industriels auprès des consommateurs. Dès lors, la sortie du monopole ne me semble pas inéluctable.
Contre le libre accès »Pascal Louis, président du Collectif des groupements
Si vous y êtes favorable, cette expérimentation doit concerner :Il faudrait réfléchir à des projets d’expérimentation. Le médicament est un produit particulier qui doit être distribué avec des normes de sécurité strictes. Elles ne sont pas compatibles avec le libre accès. Le choix d’un médicament n’est possible qu’après un échange. Lors de l’entretien, le pharmacien questionne le patient afin de lui conseiller la solution la plus adaptée à sa pathologie. Il vérifie également les contre-indications et apporte une information sur l’indication et la posologie. Le non-échange entre le patient et le pharmacien présente un risque pour les deux.
La sortie des médicaments d’automédication du monopole des pharmaciens est à craindre. C’est pourquoi le pharmacien doit être vigilant et valoriser sa plus-value : le conseil et la sécurité qu’il apporte à ses patients.
Libéraliser l’accès au produit, c’est le bon sens »Bernard Lemoine, vice-président délégué du Leem
Que diriez-vous de ne mettre en accès libre que des boîtes vides, les consommateurs venant au comptoir chercher le médicament correspondant ?Le marché de l’automédication est en France notoirement plus faible que dans les pays voisins et se dégrade : l’embellie comptable est une illusion, liée à des déremboursements ayant accru le champ de l’OTC. Cette mauvaise situation n’est pas satisfaisante. L’automédication est une réponse thérapeutique, pas un problème thérapeutique. Les difficultés d’accès au médecin liées à la démographie médicale vont dans ce sens. Comme cela se fait dans les pays voisins, il faut harmoniser et simplifier le statut des produits et alléger les contraintes sur la publicité. Et comme dans les pays voisins, il faut libéraliser l’accès au produit en tenant compte de ses particularités. Les patients le souhaitent, l’évolution de la Mutualité sur ce dossier est un signe qui ne trompe pas, c’est le bon sens, et en cas de blocage l’Europe poussera avec peut-être moins de nuance que nous ne pouvons le faire. Quant à l’organisation interne de l’officine, elle est bien sûr et d’abord l’affaire des pharmaciens d’officine. Pour sa part, l’industrie réaffirme son attachement au monopole de vente – donc, clairement aujourd’hui, pas à la solution portugaise pour les produits avec AMM – mais souhaite une modernisation de ce monopole, notamment par le libre accès dans l’officine. Les modalités de ce libre accès doivent être tranchées rapidement.
Le conseil du pharmacien au sein de l’officine réaffirme le cadre de responsabilité, de déontologie et la démarche de santé. S’il faut procéder par expérimentation progressive, par groupes d’indications thérapeutiques, avec évaluation conjointe entre les professionnels et les autorités de santé, pourquoi pas. Si certains souhaitent des espaces dédiés au sein de l’officine et d’autres le libre accès accompagné, c’est un problème de concurrence officinale ; ce ne doit pas être un nouveau prétexte à ne rien faire.
De telles expérimentations sont-elles de nature à éviter des pressions de Bruxelles pour ouvrir le monopole ?« Une réponse moderne aux besoins d’aujourd’hui »
Le libre accès, c’est aussi la réponse à l’anxiété gouvernementale sur les prix prétendument élevés et variables de ces produits, la réponse aux prétendues hausses injustifiées pour des produits de prescription facultative sortant du remboursement. Plutôt que de recréer une police des prix modèle 1936 ou 1945, la concurrence sur ces produits industriels est le meilleur allié des consommateurs.
Le monopole officinal, avec son coût collectif, n’a de sens que s’il est une réponse positive et moderne aux besoins de santé publique d’aujourd’hui. A défaut, l’exemple portugais l’atteste parmi d’autres, aucune digue, même sophistiquée comme le dossier pharmaceutique, ne permettra sa survie dans l’Europe actuelle.
A nous d’être novateurs »Claude Japhet, président de l’UNPF
Entre totalement libre et totalement accompagné, il y a un espace pour laisser le consommateur avoir accès aux produits de façon à les toucher, les comparer pour poser plus facilement les questions. Les patients ne veulent plus être passifs en matière d’informations médicales. Je suis donc plutôt favorable à un accès semi-libre dans un secteur officinal différencié, où l’information sur les produits et leurs prix sera meilleure qu’aujourd’hui. Ce secteur doit être suffisamment proche du comptoir pour que le pharmacien puisse rapidement intervenir sans laisser le patient seul trop longtemps. D’où l’intérêt de mettre en place des expérimentations pour appréhender tous les types de comportements et définir la meilleure attitude.
Je suis en revanche contre le mélange de la médication familiale avec les autres produits. Il faudrait donc commencer ces expérimentations le plus rapidement possible. En Europe, le médicament est une source de convoitise pour différents secteurs autres que la pharmacie. On nous dit que notre monopole ne sera pas attaqué, mais le monopole de quoi ? Tous les médicaments ? Seulement les remboursables ? Si on ne fait rien, nos clients seront insatisfaits et ne nous suivront pas lorsqu’il s’agira de défendre ce monopole. Aujourd’hui, on a encore un peu de temps pour mettre en place le dispositif et le sécuriser. Une profession ne peut que régresser quand on lui dit « Surtout ne bougez pas, on vous dira ce qu’il faut faire et il faudra tous le faire au même moment »… Alors, avançons, progressons, adaptons-nous. A nous d’être novateurs.
Je crois au conseil officinal « Marianne Binst, directrice générale de Santéclair
L’automédication doit rester derrière le comptoir si l’on croit au conseil officinal, et moi j’y crois ! Quel serait sinon l’enjeu du monopole ? Le fait que l’automédication reste à l’officine renforce la notion d’automédication intelligente et va permettre aux pharmaciens de démontrer leur valeur ajoutée : plus de conseils et plus de services pour le consommateur. Cela dit, il y a un réel problème de transparence des prix. Finalement, le souci aujourd’hui n’est pas tant celui de l’accessibilité que celui de la transparence économique et du désavantage qu’il y a pour le client à aller directement chez son pharmacien plutôt que chez son médecin. Or, pour moi, la pharmacie est une alternative à la visite systématique chez le médecin. Il faut développer cet axe. Ma réflexion concerne plus le pharmacien par rapport au médecin généraliste que l’axe pharmacie-GMS. Néanmoins, il faut accepter le jeu du marché entre pharmacies. Car, si un jour la concurrence s’exerce avec la GMS, ce sera pire.
Refuser le mouvement pour préserver ses privilèges est criminel « Lucien Bennatan, président de PHR
Le nombre de pays favorisant la mise à disposition de certains médicaments auprès des consommateurs en Europe augmente. Cette nouvelle façon d’exercer devrait arriver en France. Avec un gouvernement qui souhaite valoriser l’automédication pour diminuer les dépenses de santé, l’industrie pharmaceutique qui veut augmenter ses ventes, l’émergence des pharmacies Doc Morris ou encore la participation de fonds américains dans le capital d’un grossiste-répartiteur reconnu, la pharmacie doit s’attendre à un bouleversement dans son mode de distribution des médicaments. Par conséquent, elle doit évoluer et s’adapter en valorisant ses points forts. Les pharmaciens doivent alors développer la prescription pharmaceutique. Le médicament mis à disposition du public dans une zone sécurisée en pharmacie peut suffire à l’attente du consommateur. Refuser le mouvement pour préserver ses privilèges, dans un monde ou tout est remis en cause, est criminel.
Néanmoins, je ne pense pas que les médicaments d’automédication sortent du monopole des pharmacies comme c’est déjà le cas dans certains pays en Europe. Notre politique de santé publique va à l’encontre de la vente de médicaments comme des petits pois. –
La justification du monopole n’est que dans le conseil »Pierre Leportier, président de la FSPF
Si le libre accès signifie self-service, je suis contre. Cela ne sert à rien. On cherche en fait à faire comparer les prix . Cette absence de logique thérapeutique ne correspond pas à l’idée que je me fais d’un service de santé publique. On mettrait en place actuellement un parcours de soins et, en même temps, on créerait pour d’autres médicaments, simplement parce qu’ils ne sont pas remboursables, une désorganisation de ce parcours de soins. Ce n’est pas sérieux ! Inciter le patient à chercher un meilleur prix d’une pharmacie à l’autre entraînerait un nomadisme délétère.
« Un corridor de prix comme pour les livres »
En revanche, pour donner plus de visibilité, notamment en termes de coût, l’organisation des prix s’impose. La fixation du prix du livre, pour lequel il y a un corridor, qui plus est validé au niveau européen, est intéressante. Quant au libre accès accompagné… Recréer dans un autre espace de l’officine une logique de dialogue entre le pharmacien et son patient, quelle différence avec un comptoir entre les deux ? Je suis contre des expérimentations. Et il n’y a aujourd’hui aucun argument de santé publique pour me faire changer d’avis. Faisons plutôt en sorte de rendre les linéaires d’automédication plus lisibles pour créer le dialogue, mais derrière le comptoir. Si on place les médicaments en libre-service on ne pourra plus préserver le monopole dont la justification n’est que dans le conseil. Si ce conseil s’efface, si les pouvoirs publics estiment que les patients peuvent faire leur choix eux-mêmes, alors…
Mettre en concurrence »Marie-Jeanne Husset, directrice de la rédaction, de « 60 Millions de consommateurs »
Le libre accès offre l’intérêt de mettre en concurrence les pharmaciens entre eux, ceci pour une meilleure transparence, une harmonisation et une diminution des prix. Car aujourd’hui, le déremboursement entraîne une flambée des prix qui peuvent varier du simple au double d’une officine à l’autre. Aucun intérêt en revanche s’il s’agit juste d’un libre choix où le patient peut se servir tout seul. Ce libre accès doit être accompagné par le pharmacien.
Le risque que les médicaments d’automédication sorte du monopole existe. Rien n’est inéluctable. Mais il faut avant tout prendre en compte l’intérêt sanitaire et économique du patient.
Manuel d’automédication à l’usage du public
60 Millions de consommateurs vient de publier un numéro hors série consacré au bon usage des médicaments d’automédication, une pratique « qui suppose transparence et même encadrement des prix ». Il met le doigt sur le changement de comportement des consommateurs français face au médicament, sur l’importance de l’éducation du patient et d’une bonne diffusion de l’information par les professionnels de santé.
Vingt et une fiches pratiques sur les principaux maux relevant de l’automédication sont exposées. « Apprendre à se soigner soi-même, en toute sécurité, ce n’est pas se transformer en professionnel de santé », peut-on y apprendre. Nous voilà rassurés !
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