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Pharmacies en transformation : entre missions de santé et rentabilité
Les réformes gouvernementales de santé publique mises en place pour réduire le déficit de la Sécurité sociale ont largement pénalisé les officines ces dernières années. Le gouvernement a consenti à la mise en place de mesures favorisant l’amélioration des marges officinales, mais cela ne semble pas suffisant. Même s’il est vrai que le chiffre d’affaires des pharmacies ne cesse d’augmenter, atteignant 2 253 000 € en 2024 (chiffre d’affaires hors taxes moyennes des officines, source KPMG), parallèlement la marge s’effondre. L’augmentation du chiffre d’affaires, due en particulier aux médicaments chers, cache une dégradation de la rémunération officinale. Pour Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) : « L’inflation, l’explosion des charges professionnelles et salariales, la revalorisation insuffisante des honoraires… tirent la marge vers le bas. Quant à la trésorerie, elle a fortement diminué entre 2023 et 2024, et selon les experts, cela risque de s’accentuer. » Le niveau de trésorerie baisse en moyenne de 15 % par rapport à l’an passé, quant aux charges de personnel, elles ont augmenté de 12 %, entraînant la régression de l’excédent brut d’exploitation (EBE).
Pour faire face à la situation, les pharmaciens vont donc devoir trouver de nouveaux relais de croissance s’ils veulent maintenir leur rémunération et la valeur capitalistique de leur officine. « Nous assistons à un tournant dans les pharmacies qui doivent développer des services à plus forte marge, comme la téléconsultation ou l’accompagnement des maladies chroniques qui permettent aux officines de dégager des marges complémentaires. Même si les pharmacies se lancent timidement dans ces nouvelles missions, les chiffres commencent à parler. Pour exemple, 8 pharmacies sur 10 ont déjà administré un vaccin autre que la grippe », explique Bertrand Cadillon, responsable du marché de la pharmacie chez Fiducial, et expert-comptable. Et de poursuivre : « Ce n’est plus la vente du médicament qui fait gagner de l’argent, mais bien les services et les honoraires qui représentent deux tiers de la marge brute. » Or, pour développer ces nouveaux services, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut libérer du temps. « C’est le nerf de la guerre ! Les pharmaciens doivent trouver où gagner du temps pour en redonner au patient. Ils effectuent de nombreuses tâches qui pourraient être déléguées, automatisées, voire robotisées. Je pense par exemple aux achats ou à l’optimisation de l’organisation pour lesquels il est indispensable de s’appuyer sur des groupements. La gestion du tiers payant implique également l’exécution de différentes tâches administratives particulièrement chronophages qu’il est possible de déléguer à des structures spécialisées. Certains pharmaciens ont pu gagner entre 35 000 et 40 000 € de trésorerie en passant par l’Agetip ou Ospharm. Ce n’est pas rien ! », poursuit Pierre-Olivier Variot.
Investir
Pour Mme Nguyen, pharmacienne dans le Val-de-Marne, « le gain de temps, la diminution de l’attente au comptoir, la mobilisation des équipes sur des tâches plus intéressantes et une meilleure répartition de la charge de travail sont les principaux points à surveiller pour les mois et années à venir. Dans mon officine, je prévois d’investir dans la robotisation afin d’améliorer la gestion des stocks de médicaments et de nous libérer du temps. Nous agrandirons également notre pharmacie pour mieux accueillir les clients, mais aussi permettre aux équipes d’avoir accès à une belle salle de pause. » Comme elle, 99,7 % des pharmaciens déclarent avoir augmenté leurs investissements au sein de leur officine au cours des cinq dernières années (sondage mené par l’UNPF et Gers Data au premier trimestre 2024). 22 % des titulaires disent avoir investi plus de 100 000 € et 19 % plus de 30 000 €. Des investissements qui touchent prioritairement aux locaux et à la formation de l’équipe. La robotisation ne concerne pour l’heure que peu d’officines : « À peine 20 % sont robotisées et 30 % ont des étiquettes électroniques, ce n’est pas énorme. Ce sont des investissements importants que certains ne peuvent pas se permettre, entre autres les plus petites pharmacies », précise Bertrand Cadillon, de Fiducial. Il faut en effet compter entre 40 000 € et 200 000 € pour un robot et prévoir le coût de la maintenance. « Le retour sur investissement est d’ailleurs difficile à mesurer, mais il est certain qu’en termes de gestion du temps, l’investissement est intéressant. »
Manager pour motiver
Si une grande majorité des investissements réalisés par les pharmaciens interrogés par l’Union nationale des pharmaciens de France (UNPF) ont été portés sur la formation de l’équipe (79 %), c’est que cette dernière « renvoie une image impactante auprès des patients, par la qualité de l’accueil, l’écoute et le conseil. Cela agit directement sur l’expérience d’achat du client », souligne Charlotte Lacoley, responsable de la société Proactiv Pharma. Ainsi, le pharmacien, par ses talents de manager, définit et engage son équipe dans un véritable projet d’entreprise qui donne du sens aux différentes actions. « Mais les pharmaciens ne sont pas assez formés aux problématiques du management et de la gestion, lors de leurs formations. Nous travaillons beaucoup avec l’association des étudiants pharmaciens pour pouvoir modifier le contenu des études. C’est fondamental car cela fait désormais partie intégrante du métier », explique Olivier Variot.
Le gain de temps et l’optimisation passent en effet par un meilleur management, comme le souligne Mme Nguyen, dans le Val-de-Marne : « J’ai suivi plusieurs formations depuis le début de ma carrière car je voulais avoir des outils pour pouvoir mieux discuter avec mes équipes. Au sein de l’officine, c’est primordial. Un pharmacien qui ne sait pas gérer son équipe ne va pas être capable de garder ses meilleurs éléments. Il faut établir un climat positif, faire des échanges, s’adapter… c’est un travail quotidien. » Motivation, cohésion et formation sont ainsi devenues les maîtres mots du pharmacien manager dont les frais de personnel sont de plus en plus importants. « Ces charges sont l’enjeu des mois à venir car elles vont continuer à augmenter – à cause de la pénurie de main-d’œuvre, des prétentions salariales plus élevées chez les jeunes et bien sûr, de l’inflation –, alors que les marges baissent. Il est donc important de réfléchir à l’organisation, à la planification et à une meilleure utilisation des ressources humaines. Ce sera la clé de la rentabilité », explique Bertrand Cadillon.
En quête d’un nouvel équilibre
L’année 2024 enregistre une diminution significative de la marge brute globale, avec la quasi-disparition de l’activité Covid-19. Même si les honoraires ont été revalorisés, ils ne compenseront pas l’inflation : celui à l’ordonnance passera de 0,51 € à 0,61 € en 2025, et celui lié à l’âge de 1,58 € à 1,68 € en 2026. Par ailleurs, les nouvelles missions confiées aux pharmaciens offrent davantage de services mais touchent à l’organisation de l’officine, à la formation des équipes et à la gestion financière. Un nouveau modèle doit être trouvé.
Déploiement des missions
Concilier rentabilité et missions de santé n’est cependant pas chose aisée. Pourtant, en adoptant des pratiques de gestion efficaces et en proposant des services à forte valeur ajoutée, les pharmacies peuvent offrir des soins de qualité aux patients, tout en générant des revenus intéressants. « Les nouvelles missions représentent une évolution nécessaire de notre métier, notamment dans un contexte de désertification médicale. De par la légitimité qu’elles nous confèrent auprès du grand public, elles sont absolument essentielles et elles garantissent le trafic de demain dans les officines », explique Christophe Le Gall, président de l’Union nationale des pharmacies de France. Afin de stimuler le déploiement de ces missions, l’avenant économique à la convention pharmaceutique a d’ailleurs fixé des rémunérations sur objectifs de santé publique (Rosp) inédites pour l’année 2024. Ces Rosp seront payées au 1er semestre 2025 si les missions afférentes ont été réalisées avant le 31 décembre prochain. 50 € pour la réalisation d’au moins un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) angine au sein de l’officine, 400 € pour la réalisation d’au moins un entretien auprès de patients atteints de maladies chroniques, 50 € pour la réalisation d’au moins un entretien femmes enceintes … Des Rosp qui permettent de récupérer au total 950 €.
Et demain, quelles missions ? « Nous demandons un élargissement de la liste des biosimilaires et hybrides, véritable enjeu de santé publique, qui assureront en même temps un revenu substantiel aux officines au travers du mécanisme des remises. Nous réclamons aussi la possibilité de vacciner les voyageurs en pharmacie. Mais tout cela ne sera possible que par modification de la loi », explique Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Les prescriptions de substituts nicotiniques feront, quant à elles, l’objet d’une expérimentation en 2025, ouvrant peut-être la voie à une nouvelle mission dans les années qui suivront.
Connaître sa clientèle
En attendant, les pharmaciens développent de plus en plus de services liés à l’orthopédie, au MAD (maintien à domicile), à l’accompagnement des patients atteints de cancer, à la santé intégrative ou encore à la micronutrition, afin de permettre à chaque patient de trouver le service qui répondra le mieux à ses besoins. Charge au pharmacien de bien cerner sa clientèle, évidemment.
La compréhension fine des besoins de la patientèle est d’ailleurs l’un des points clés d’une rentabilité reboostée. Comme l’explique Charlotte Lacoley, consultante en gestion et management de l’officine : « On ne peut pas imaginer avoir un point de vente performant et un référencement adéquat sans connaître sa clientèle. Cela permet d’avoir une approche merchandising raisonnée et d’influencer le parcours client, d’organiser l’offre en fonction de son comportement d’achat, de choisir les bons visuels… Ce sont des actions simples à mettre en place et qui ont un impact direct sur le chiffre d’affaires. Dernièrement, l’une des pharmaciennes que j’accompagne a été bluffée de voir à quel point les clients se servent désormais dans les linéaires et arrivent au comptoir les bras chargés. » Une idée supplémentaire pour remobiliser les équipes autour d’un projet concret et aller plus avant vers une rentabilité retrouvée.
Les indicateurs
Parmi les indicateurs clés, l’excédent brut d’exploitation (EBE) mesure la rentabilité d’une entreprise en comparant les revenus et les charges d’exploitation. La marge brute représente, quant à elle, la différence hors taxes entre le prix de vente et le coût de revient total des biens et services vendus.
Désormais boudé par les comptables, le chiffre d’affaires représente quant à lui la somme des montants des ventes réalisées pendant une année. L’essor des médicaments chers ne permet plus d’en faire un indicateur fiable puisqu’au-delà d’un prix de vente de 1 930 € (qui peut aller jusqu’à 50 000 €, voire plus), la marge est plafonnée à 98 €.
Le merchandising
Le merchandising est l’ensemble des techniques mises en œuvre pour accroître la rentabilité d’une officine et l’écoulement de ses produits. Cette démarche repose sur l’adaptation permanente de l’offre aux besoins des clients et la présentation appropriée des produits. Il s’appuie sur la règle des 5 P : produit, place, période, proportion et prix. Des mesures qui ne peuvent être efficaces que si le pharmacien a procédé à une étude approfondie de sa clientèle.
Et l’écologie dans tout ça ?
80 % des pharmaciens titulaires déclarent avoir déjà mis en place une démarche de développement durable au sein de leur officine. En plus d’un devoir citoyen, près de 8 pharmaciens sur 10 y voient une source d’économie. Rappelons que la vente de médicaments en officine représente 11,5 millions de tonnes d’équivalent CO2 (rapport 2023 du Shift Project).
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