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Pertes et profits au sein du réseau officinal 

Publié le 14 septembre 2024
Par Anne-Charlotte Navarro
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Depuis quelques années, un nouveau paysage officinal se dessine : moins de pharmacies, davantage de regroupements, et des pharmaciens qui inventent déjà leur avenir.

 

Le chiffre a marqué les esprits. En 2023, selon le panorama démographique de l’Ordre national des pharmaciens, le nombre d’officines en France est passé sous la barre symbolique des 20 000. Cela représente une chute de 9,7 % en dix ans, avec de grandes différences selon les régions, mais aussi les typologies de secteurs. Pour autant, le maillage actuel permet de subvenir aux besoins des Français. « Selon l’analyse chiffrée de l’Ordre, il y a 30 officines pour 100 000 habitants en moyenne sur le territoire », note Bruno Maleine, président du Conseil central des pharmaciens titulaires d’officine de l’Ordre national des pharmaciens. « Le maillage est donc solide, mais jusqu’à quand ? 255 officines ont fermé leurs portes en 2023, soit une tous les jours et demi. Et 124 depuis le 1er janvier de cette année. »

 

Si les pertes avancées par l’Ordre peuvent faire peur, il est toutefois important de distinguer les fermetures sèches des regroupements, ainsi que les secteurs géographiques concernés. « Dans mon village de 1 500 habitants, il y a 13 ans, j’ai racheté l’autre pharmacie et je l’ai fermée, se souvient Olivier Rozaire, président de l’union régionale des professionnels de santé pharmaciens de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Cela n’a pas changé grand-chose pour les gens. » Mais la situation est en train d’évoluer avec davantage de fermetures sèches dans des zones rurales ou dans certains quartiers peu dotés. Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), s’attend à voir de plus en plus de pharmacies contraintes de baisser le rideau. « Surtout avec l’entrée en vigueur du nouvel avenant économique à la convention nationale pharmaceutique qui met l’ensemble du réseau sous pression. D’ailleurs, la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens projette 3000 fermetures sur les quinze prochaines années », confesse-t-il.

Le maintien à tout prix ?

 

Olivier Delétoille, expert-comptable et commissaire aux comptes chez AdéquA Santé, se montre moins inquiet. Il relève, pour sa part, « une prolifération de pharmacies, même dans les zones rurales », partageant la position de plusieurs économistes, qui estiment qu’un réseau de 15 000 pharmacies environ suffirait à garantir une couverture efficiente du territoire. L’expert-comptable est un partisan du regroupement, qui présente de nombreux avantages, selon lui. « C’est la fin du pharmacien qui joue à la marchande avec un préparateur dans un petit local, considère-t-il. Ce type d’exercice ne répond pas aux attentes des jeunes, aux impératifs de bon usage de l’argent public, et je ne crois pas qu’il soit très épanouissant pour le pharmacien. » On s’oriente donc vers un nouveau modèle, avec un titulaire qui doit posséder une vision d’entrepreneur et des compétences en management pour gérer une équipe plus importante. Un atout pour attirer les jeunes. « Ils sont particulièrement intéressés par l’exercice à plusieurs, renchérit Jérôme Capon, directeur du réseau chez Interfimo. Cela permet également de valoriser économiquement la pharmacie. » Sans négliger l’intérêt des patients : « La concentration des officines permet sans doute de mieux répondre à leurs attentes, en développant de nouvelles missions », souligne Jérôme Capon. Olivier Delétoille soulève une autre interrogation : « Faut-il préserver le maillage quoi qu’il en coûte ? Je n’en suis pas sûr. Les habitudes des patients ont changé. Les gens bougent, ils font des courses, ont des voitures, vont travailler. Les finances publiques ne permettent plus d’avoir une pharmacie à un quart d’heure à pied. »

Garantir un accès aux médicaments pour tous

 

Se pose cependant la question de l’accès aux pharmacies dans certaines zones géographiques, car l’officine n’est pas un commerce comme un autre : son rôle est d’assurer des missions de santé publique. Alors, comment préserver le réseau ? Pour Olivier Rozaire, il est important d’agir rapidement, en maintenant coûte que coûte les pharmacies existantes dans des zones peu dotées. Car rouvrir des pharmacies relève du parcours du combattant. « Autant faire venir un médecin, ce n’est pas trop compliqué : il suffit d’une pièce pour créer un cabinet, d’un ordinateur et d’un stylo. Pour une pharmacie, l’installation est beaucoup plus complexe ! Des questions réglementaires se posent, il faut aussi mettre en place un stock, un outil informatique, un système d’approvisionnement, etc. »

 

Le décret et l’arrêté dit « territoires fragiles » ont été publiés au Journal officiel le 8 juillet dernier. Ils donnent pouvoir aux agences régionales de santé de déterminer les pharmacies qui pourront prétendre au financement prévu dans l’avenant. Cette aide économique peut être une solution. Olivier Rozaire en souligne l’intérêt : « C’est la première fois que ce point a été clairement identifié par l’Assurance maladie. Au-delà de la méthode et du montant, c’est un sujet d’attention et un dispositif qu’on pourra faire évoluer, améliorer. » Pour sa part, Pierre-Olivier Variot estime que « le décret et son arrêté ne correspondent pas aux attentes et ont déposé un recours devant le Conseil d’État. »

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« Le problème de la pharmacie rurale est celui du désert médical, s’inquiète par ailleurs Jérôme Capon. Comment la viabilité économique d’une officine peut-elle être assurée quand les prescripteurs sont vieillissants ? » Car le cœur du chiffre d’affaires d’une pharmacie reste le médicament remboursable. Les prescripteurs à proximité sont indispensables pour assurer la pérennité économique de l’officine.

Les étudiants au cœur du défi

 

Autre cheval de bataille : réussir à attirer les jeunes dans ces secteurs peu dotés. Pour Nicolas Savic, ex-porte-parole de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France, la garantie d’un maillage efficace nécessite des mesures dès les études. Notamment un accompagnement financier pour encourager ceux qui le souhaitent à découvrir les pharmacies isolées. « J’ai toujours effectué mes stages en zone rurale, et je sais que c’est là où je pratiquerai. Mais il faut pouvoir payer une voiture, un logement, etc. Ce n’est pas toujours facile pendant ses études. » Sans oublier la question du financement d’une installation. « Ce qui fait de la peine, renchérit Nicolas Savic, c’est qu’actuellement un jeune de 25 ans, qui sort diplômé, thèse en main, et veut acquérir une pharmacie ne peut plus le faire. Le pouvoir d’achat d’un étudiant qui se place sur le marché comme repreneur est très bas ! Et les banques ne prêtent plus aussi facilement qu’avant à un étudiant qui dispose rarement d’un apport considérable. D’autant qu’on est sorti du carcan où majoritairement des fils de médecins ou de pharmaciens devenaient pharmaciens. Avec le parcours accès santé spécifique (Pass) et la licence accès santé (LAS), cela a ouvert le spectre. C’est une très bonne chose, mais on n’est plus sur les mêmes catégories socioprofesionnelles qu’avant. » Le soutien financier de la famille est souvent moindre.

Une touche de numérique

 

Et s’il n’est plus possible d’avoir une pharmacie à un quart d’heure à pied de chez soi, comment le réseau doit-il se mobiliser pour assurer les missions de santé publique de l’officine ? Se dirige-t-on vers des solutions comme des bus, circulant de village en village ? Les professionnels sont partagés. « Je suis contre toute solution de substitution à une pharmacie réelle. On peut se faire livrer des chaussettes…, mais pour les médicaments, on a besoin de conseils ! », tranche Olivier Rozaire. Surtout avec les nouvelles missions. « Un test rapide d’orientation diagnostique dans un bus, c’est impossible ! », ajoute-t-il. Sans oublier que les pharmaciens sont souvent les derniers professionnels de soin accessibles facilement, sans rendez-vous, pour la population.

 

« Toutes les idées sont bonnes à prendre, tempère David Syr, directeur exécutif de Cegedim Pharma. Je suis dubitatif concernant la vente à distance, mais on ne doit pas la balayer pour autant. » Selon lui, l’enjeu est surtout de réfléchir, en fonction des contraintes, à ce qu’il est possible de mettre en place pour permettre l’accès aux médicaments à tous et assurer un équilibre financier aux pharmacies. « Le Ségur du numérique en santé, si tant est qu’on arrive à le mettre en place, peut favoriser les flux d’ordonnances, améliorer les process de préparation de commandes, de livraisons et de suivi de patientèle. » L’essentiel étant de garder ce relationnel dans un réseau qui est à l’aube d’une restructuration. Encore faut-il se mettre d’accord sur la méthode à adopter pour y parvenir. Si certains acteurs estiment qu’il est impératif de sauver toutes les officines avec l’aide d’une politique de santé publique volontariste, d’autres considèrent que résister ne sert à rien. Il faut plutôt saisir les opportunités pour que le métier de pharmacien se professionnalise et qu’il devienne un vrai chef d’entreprise au service de la santé publique de ses patients.

           

La Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) projette 4 000 fermetures de pharmacie par an. 

À retenir

Avec une moyenne de 30 pharmacies pour 100 000 habitants sur le territoire, le maillage officinal reste solide, mais jusqu’à quand ?

Si le rythme des fermetures de pharmacies s’intensifie, certains économistes estiment désormais qu’un réseau d’environ 15 000 pharmacies suffirait à garantir une couverture efficiente du territoire.

L’investissement financier est un des freins à la reprise pour les néotitulaires, désormais issus de différentes catégories socioprofessionnelles.

La numérisation du secteur de la santé jouera un rôle prépondérant dans la restructuration du réseau officinal.

Vente de pharmacies : un investissement moins juteux qu’avant

« Lors de l’élaboration du prix de vente, les cédants doivent avoir à l’esprit qu’il ne faut plus raisonner en prenant en compte un pourcentage du chiffre d’affaires hors taxes, mais en fonction de l’excédent brut d’exploitation, plus pertinent pour apprécier la réalité économique de l’officine », précise Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo. Au-delà, les experts-comptables sont unanimes : les cédants doivent avoir conscience que les plus-values de cessions seront moindres, mais le bilan reste positif.