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On a retrouvé les substitueurs

Publié le 1 décembre 2001
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Nombreuses sont les interrogations sur l’attitude des pharmaciens vis-à-vis de la substitution. Le Centre de recherches économiques, sociologiques et de gestion (Cresge) l’a mesuré pour l’Institut du développement pharmaceutique (IDP). Une enquête publiée en exclusivité par « Le Moniteur ».

Deux ans après le démarrage effectif de la substitution en officine, le médicament générique est à la fois le point d’achoppement des négociations avec l’Etat (remises commerciales) et la meilleure arme de la pharmacie face aux pouvoirs publics. Les résultats de l’enquête menée par le Cresge sur un millier d’officines au printemps dernier viennent donc à point nommé pour tenter de répondre à la lancinante question : la moitié des pharmaciens qui ne s’est toujours pas lancée dans la substitution est-elle foncièrement hostile aux génériques ? Constitue-t-elle un levier suffisant vis-à-vis de nos gouvernants ?

La CNAMTS, dans son étude « Généricam » publiée en septembre, avait, elle, mis en cause la motivation des officinaux, ne trouvant aucun critère rationnel pour expliquer les différences d’investissement d’une pharmacie à l’autre. Le Cresge montre de son côté que 39 % ont une opinion favorable ou neutre vis-à-vis du générique sans pour autant substituer. Lever les freins auprès de cette population est la solution mais l’équation reste non résolue.

Seuls 13 % d’opposants farouches

Pour en arriver à ce chiffre, le Cresge a croisé les données de ces 1 000 officinaux, d’un côté en leur demandant leur opinion vis-à-vis du générique (favorable, négative ou neutre), de l’autre en observant leur comportement au comptoir (se reporter à l’infographie ).

Trois grandes typologies de pharmaciens sont issues de ce croisement :

Ceux qui adhèrent de manière complète aux génériques (en vert sur le graphique et dans notre tableau), analysés par le Cresge comme « le noyau dur et stable qui fait aujourd’hui le succès des génériques » (48 % des officinaux interrogés).

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Ceux qui sont favorables ou neutres mais n’ont pas un comportement de « substitueur » (en orange sur nos graphes), considérés comme « le coeur de cible des actions en faveur du générique » (39 % des pharmaciens).

Les désenchantés, rarement (mais parfois) « substitueurs » mais toujours opposés au générique… Ils sont 13 % (en rouge sur le graphique).

Pas de quoi désespérer, donc, si l’on part du principe (optimiste) que ceux qui hésitent toujours verront leurs réticences levées.

Plus inquiétant en revanche, le Cresge observe qu’« un désengagement se dessine chez des pharmaciens volontaires mais qui ont du mal à réussir l’exercice de la substitution. Si le mouvement d’opinion est lent, il constitue une menace pour le développement des génériques » . La politique des pouvoirs publics est montrée du doigt (« une stratégie basée sur le levier financier (intéressement/sanction) trop limitée »), tout comme le manque d’actions de promotion d’envergure vis-à-vis du patient, tant il est vrai que « la substitution est un acte de coproduction qui ne dépend pas uniquement de la volonté et du savoir-faire du pharmacien ». Et le Cresge de conclure que « l’ensemble des pharmaciens exprime une attente de renforcement des capacités à génériquer. Le développement inéluctable place certains au pied du mur. Ceux-ci l’ont réalisé et semblent prêts à sauter le pas ».

Mais cette démarche sera-t-elle facilitée vu la confusion engendrée par la sortie d’un Glucophage 1000, un Diamicron 30 mg, un Lipanthyl 160 micronisé ou un Prozac dispersible, autant de présentations antisubstitution ? Difficile de cerner ici la logique des pouvoirs publics, supposant qu’en présence de tant de complaisance (AMM…), la stratégie des laboratoires de princeps est toute tracée. Une logique d’autant plus tortueuse que la moitié des produits tombés dans le domaine public reste encore hors du champ du Répertoire officiel (cinquante-six spécialités pour 10 milliards de francs de CA selon la Fédération) ; un Répertoire officiel que maîtrisent pourtant les pouvoirs publics.

Enorme gâchis à l’horizon ?

Reste la prescription en dénomination commune internationale, effective dès 2002. Mais pourquoi les médecins, jusqu’ici hostiles au générique, se compliqueraient-ils la vie avec des DCI en l’absence d’incitation ? Enfin, Bernard Kouchner parlait récemment dans nos colonnes de discussions internes au ministère sur un éventuel tarif de référence applicable aux génériques. De quoi inciter les patients à accepter la substitution, assurément… De quoi aussi pousser les médecins à prescrire des spécialités hors Répertoire pour éliminer toute possibilité de substitution, sûrement…

Mais vu la tension qui s’est fait jour depuis l’étude terrain du Cresge, notamment à la suite des contrôles de la DGCCRF (qui avoue les avoir initiés en raison de l’octroi du droit de substitution aux pharmaciens), la question sera peut-être bientôt davantage de retenir les 48 % d’officinaux déjà impliqués de rester dans une démarche de substitution que de convaincre les 39 % encore bloqués à l’orange. Ce qui constituerait un énorme gâchis pour tout le monde, sachant que, toujours selon le Cresge, 70 % des officinaux sont favorables aux génériques.

IDP : bientôt deux ans

L’Institut de développement pharmaceutique a été constitué en association début 2000 à l’initiative des groupements Pharma Référence, Giropharm, Giphar, IFMO, Pharmaliberté, Pharmexel, Pharma 6 et Europharmacie et de Merck Génériques, dans le but de suivre de manière « proactive » les évolutions rapides de l’officine, notamment dans le contexte de la substitution, d’une future convention, du développement de SESAM-Vitale, de l’Internet santé et des réseaux de soins…

Qui substitue ?

La capacité des pharmaciens à substituer a fait l’objet d’une étude préalable qualitative basée sur leur attitude d’une part (leur position personnelle concernant le générique) et sur leur comportement effectif au comptoir d’autre part (leur capacité à faire passer le générique auprès du patient). Quatre groupes de « profils de substitution » se sont fait ainsi jour, du moins favorable au plus favorable :

– Groupe 1 : le « désengagement » (attitude et comportement au comptoir défavorables).

– Groupe 2 : la « soumission pragmatique » (attitude peu favorable mais comportement au comptoir favorable).

– Groupe 3 : le « volontarisme mesuré » (attitude favorable mais comportement au comptoir peu favorable).

– Groupe 4 : le « volontarisme forcené » (attitude et comportement favorables).

Les écarts de positionnement se fondent sur cinq thèmes principaux : le coût financier induit par la pratique de la substitution, le risque de perdre la confiance du patient, la difficulté à négocier avec les patients, la valorisation du rôle du pharmacien, l’incertitude de la reconnaissance par les pouvoirs publics des efforts accomplis.

Pourquoi substituer ?

– Les opinions favorables sont surtout liées à la reconnaissance de la compétence (pour 83 % d’entre elles), l’influence et la valorisation accrues dans le système de soins (78 et 66 %), la compensation de marge (51 %), l’enrichissement de la relation au patient (49 %).

– Les trois quarts des pharmaciens interrogés estiment que la substitution est un exercice difficile.

– Quant aux réticences des patients, 90 % évoquent des personnes âgées, 50 % des mères de famille et les deux tiers se disent confrontés aux réticences du corps médical.