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NOTRE-DAM DE L’ONDAM
Les délégués de l’Assurance maladie (DAM) ont pour mission de rencontrer les professionnels de santé et de les encourager aux efforts d’économies collectives. Mais l’efficacité de ces missi dominici sillonnant les routes de France fait l’objet de nombreuses critiques. Qui sont-ils ? Sont-ils suffisamment formés ? Font-ils vraiment le poids face aux visiteurs médicaux ?
Soigner mieux en dépensant mieux. » Depuis leur création en 2003, c’est le message d’incitation inlassablement porté par les délégués de l’Assurance maladie aux professionnels de santé. Lancés sur les routes de France et de Navarre par les caisses, ces agents sont aujourd’hui près d’un millier. Au départ, leur recrutement s’est surtout effectué en interne, intégrant les personnes autrefois chargées du déploiement du système SESAM-Vitale. La majorité des DAM sont donc des salariés de l’Assurance maladie en milieu de carrière.
Au fil du temps, la profession s’est ouverte aux candidatures externes. Profil recherché : les détenteurs d’une formation commerciale (bac + 2) dotés de compétences en sciences ou en sciences humaines. L’Assurance maladie ouvre grand ses bras aux visiteurs médicaux, dont beaucoup ont eu à souffrir de licenciements ces dernières années.
Etre pédagogue et maîtriser les techniques d’entretien
Les deux métiers sont différents mais se recoupent. « Etre délégué de l’Assurance maladie, c’est exercer un métier de contact itinérant, qui nécessite une souplesse dans l’organisation », explique Emmanuel Gomez, responsable du département des opérations de gestion du risque de la CNAMTS, dont dépendent les DAM. Ils doivent, en outre, être pédagogues et maîtriser les techniques d’entretien et de communication. Objectif : développer des argumentaires et savoir répondre aux questions des professionnels. En interne, le DAM reçoit une formation dans différents domaines (médical, économique, politique conventionnelle, etc.) débouchant sur une certification professionnelle.
Avec les DAM, l’Assurance maladie avance ses pions. Leur mission : promouvoir les bonnes pratiques médicales, informer les professionnels sur la politique de maîtrise médicalisée des dépenses de santé, expliquer les accords conventionnels. Ainsi, en lien avec les praticiens-conseils, les DAM s’efforcent de faire évoluer les comportements en matière de prescription. C’est le cas en particulier pour les antibiotiques et les génériques. Mais ce n’est pas tout. Les DAM doivent aussi maîtriser certains aspects réglementaires et techniques, à l’interface avec les services internes de l’Assurance maladie. Une feuille de route bien chargée. Trop chargée, selon certains.
« Il n’y a aucun domaine où les DAM soient spécialisés »
Pour François Pesty, consultant du groupe ITG, les DAM « papillonnent ». « Chaque année, ils ont une quinzaine de thématiques différentes à aborder successivement auprès de quatre ou cinq catégories de professionnels. C’est trop ! Du coup, il n’y a aucun domaine où ils soient spécialisés », déplore ce spécialiste auditionné lors des Assises du médicament au printemps dernier. Selon lui, la formation délivrée en interne par un médecin-conseil ou un pharmacien-conseil se révèle trop succincte. Aucune étude clinique n’est présentée pour étayer les argumentaires. Juste des rappels sur les recommandations des agences sanitaires (Afssaps, Haute Autorité de santé) sans réel développement. Outre la multitude des sujets traités, c’est la variété des professionnels rencontrés qui pose problème : médecins, pharmaciens, infirmiers libéraux, masseurs-kinésithérapeutes. Les DAM ne peuvent pas aller au fond des sujets. « Ils présentent des chiffres, font quelques commentaires et cela s’arrête là. On n’entre pas sur une discussion de fond. On ne s’engage jamais sur un débat technique », affirme Benoît Thomé, consultant et dirigeant de la société Médian Conseil, qui a consacré une étude détaillée à cette profession*. Pas de discussion de fond, donc, mais les DAM n’en auraient de toute façon pas vraiment le temps. Leur visite à l’officine dure entre 15 et 20 minutes, parfois plus si les besoins du pharmacien le nécessitent. Aussi, selon Emmanuel Gomez, la moyenne est de trois visites par an et par pharmacie, soit 75 000 (environ 20 %) des 450 000 visites annuelles menées auprès des professionnels de santé.
Des visites qui ne donnent lieu à aucune sanction ni à aucune contrainte
A l’officine, si les campagnes de santé publique orchestrées par l’Assurance maladie se développent, le sujet phare reste le générique. Des profils personnalisés par officine sont définis en fonction des résultats obtenus. « Le DAM présente les taux de substitution de l’officine par rapport aux objectifs individuels, locaux et nationaux », indique Emmanuel Gomez. Sont présentés les résultats sur un certain nombre de molécules (inhibiteurs de la pompe à protons, statines, psychotropes, etc.), notamment celles dont le potentiel de développement est important. Une comparaison est dressée avec la moyenne départementale. « L’intérêt de la visite du délégué de l’Assurance maladie est fonction du fait que les pharmaciens connaissent ou non leur taux de substitution. Dans un premier temps, ils sont étonnés de voir la masse de données les concernant à disposition des caisses. Ils éprouvent toujours une certaine curiosité vis-à-vis de ces informations, estime Benoît Thomé. En pratique, il y a des non-dits dans ces visites. Les délégués présentent l’intérêt économique pour la collectivité, jamais pour le pharmacien. » Mais les officinaux apprécient la visite des DAM, d’autant qu’elle ne donne lieu à aucune contrainte ni à la moindre sanction. « C’est par principe une démarche d’information et d’accompagnement », rappelle Emmanuel Gomez. Il est très rare en effet qu’un officinal soit convoqué par le pharmacien-conseil de la caisse pour s’expliquer sur ses résultats quant à la substitution.
Au cabinet médical, la mission n’est pas la même qu’en officine. L’approche des DAM n’est plus seulement économique. Au médecin, on parle principalement de bonnes pratiques, de prévention (dépistage du cancer du sein, etc.), de suivi de pathologies chroniques. Une intrusion parfois mal perçue par les prescripteurs. « C’est vrai que certains médecins peuvent refuser des visites », admet Emmanuel Gomez. En juin 2006, un appel au boycott des DAM par les syndicats de médecins avait, au final, été peu suivi d’effets. Très critique sur l’action des délégués de l’Assurance maladie, François Pesty vise surtout leur démarche auprès des médecins, visités deux à trois fois par an : « Les caisses ne travaillent pas sur la cible des hauts potentiels de prescription, alors qu’il faudrait s’appuyer sur un ciblage systématique des médecins correspondant à au moins 75 % du montant total de remboursement pour les médicaments concernés… ». Selon lui, la comparaison des médecins à des comportements de prescription nationaux ou même locaux n’a aucun sens en cas de « dérive collective ». Dans sa ligne de mire également, les outils élaborés par les caisses, jugés « sommaires, peu pertinents, inadaptés et non réactualisés ». Au final, le médecin ne dispose pas de schéma thérapeutique, de molécule et de posologie à privilégier.
Représenter un contrepoids à l’industrie pharmaceutique
Dans ces conditions, comment peut être évalué le rapport de forces entre délégués de l’Assurance maladie et visiteurs médicaux, qui se reconnaissent parfois dans la salle d’attente des médecins ? « Plus de la moitié des éléments évoqués ne leur sont pas communs », relativise Benoît Thomé. Sur le générique, évidemment, le discours est radicalement différent. Les industriels promeuvent l’innovation des médicaments princeps dont ils assurent la promotion. Autre différence majeure, la stratégie. « Les visiteurs médicaux sont spécialisés dans un domaine thérapeutique. Ils utilisent des outils de ciblage et d’évaluation, souligne François Pesty. Leur méthodologie d’approche est rigoureuse, leurs visites itératives et centrées sur des objectifs clairs. Ils passent dix à douze fois dans l’année pour voir le même médecin ». Les délégués de l’Assurance maladie en sont très loin. Il faut dire qu’ils sont bien moins nombreux que les visiteurs médicaux, au nombre de 21800 à ce jour. Et, à court terme, l’Assurance maladie ne prévoit pas d’augmenter les effectifs. Mais la donne pourrait quelque peu changer au plan qualitatif. Selon les consultants, les professionnels, et en particulier les pharmaciens, voudraient que les DAM puissent représenter un vrai contrepoids à l’industrie pharmaceutique. « De plus en plus, les praticiens sont devenus sensibles au coût des traitements prescrits. Ce à quoi l’Assurance maladie participe. Et, cela, l’industrie ne l’a pas forcément intégré », estime Benoît Thomé. Pourtant, dès l’origine, les laboratoires se sont méfiés des DAM. L’un d’eux a même engagé des poursuites, fin 2007, contre l’Assurance maladie, estimant que les données présentées par les délégués étaient partielles et mêmes erronées. « Au départ, il y avait une forte crainte des industriels vis-à-vis des délégués de l’Assurance maladie, affirme Benoît Thomé. Puis ils ont bien compris que sans carotte et sans bâton, il ne se passerait pas grand-chose. »
La carotte est aujourd’hui brandie. Elle se nomme CAPI (contrat d’amélioration des pratiques individuelles). De plus en plus de médecins généralistes y adhèrent, s’engageant de façon concrète dans des objectifs de prescription. La nouvelle convention médicale renforce encore ce type de collaboration avec les praticiens. Les délégués de l’Assurance maladie sont déjà sur le pont pour la promouvoir.
ENTRETIEN AVEC
EMMANUEL GOMEZ
RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT DES OPÉRATIONS DE GESTION DU RISQUE DE LA CNAMTS« Nous avons un retour positif des professionnels »
Quelles sont les actions menées par les DAM auprès des pharmaciens ?
Leur rôle central est d’accompagner la mise en œuvre de la convention pharmaceutique. Il s’agit essentiellement d’aider les officinaux à atteindre les objectifs collectifs et individuels en termes de génériques, en fonction de leur profil, molécule par molécule. L’échange vise à comprendre les difficultés éventuelles sur certaines références et à trouver des solutions. L’an dernier, les DAM avaient aussi pour mission de rappeler le bon usage des dispositifs d’inhalation aux pharmaciens pour les accompagner dans leur rôle de conseil des patients asthmatiques.
Disposez-vous de données permettant d’affirmer que les DAM remplissent leurs objectifs ?
De manière globale, nous avons un retour positif des professionnels de santé sur ces visites. D’un point de vue quantitatif, les résultats enregistrés sur la maîtrise médicalisée depuis plusieurs années sont bons, avec 85 % des objectifs atteints en 2010. S’agissant des génériques, nous avons enregistré une très forte progression de la substitution avec un taux de près de 80 %. Naturellement, c’est un ensemble de facteurs qui a permis d’atteindre ces résultats, mais les DAM y contribuent par leurs actions.
Le manque de spécialisation dans certains domaines ne vient-il pas fragiliser le travail des DAM ?
Notre objectif n’est pas d’avoir des intervenants spécialisés. La mission des DAM est globale et couvre de nombreuses thématiques. Lors d’une visite, même si celle-ci concerne une thématique particulière, les délégués doivent pouvoir répondre aux différentes questions des professionnels de santé sur la réglementation ou la facturation, par exemple, et apporter un premier niveau de réponse. Si les questions posées sont très pointues, une réponse de second niveau est formulée par un praticien-conseil ou un expert de la caisse. Cependant, pour chaque campagne organisée, des formations spécifiques sont délivrées aux délégués, notamment sur les classes thérapeutiques.
Le matériel de communication des DAM apparaît parfois comme obsolète…
Nous avons fait beaucoup de progrès depuis quelques années sur nos supports de communication. De même, depuis sa création en 2003, le métier de DAM a très fortement évolué. Les outils proposés aux médecins ont donc été améliorés. Constitués notamment de mémorandums et d’arbres décisionnels, ils s’appuient sur un partenariat important avec la Haute Autorité de santé et l’Afssaps.
Repères
• Effectif : 988 au 31 décembre 2010 (dont 850 en équivalent temps plein).
• Salaire moyen : 1 720 euros brut mensuel environ sur 14 mois, en début de carrière.
• Accès : bac + 2 (commerce, sciences et sciences humaines), avec une expérience confirmée soit en entreprise (visiteur médical, conseiller commercial en assurances), soit dans le cadre de l’Assurance maladie.
(Source : site Internet de l’Assurance maladie.)
3 QUESTIONS À
FRANÇOIS PESTY
CONSULTANT (GROUPE ITG)« C’est un gâchis épouvantable ! »
Quel est votre constat sur l’action des DAM aujourd’hui ?
C’est un échec. Ce constat n’est pas nouveau, mais il est implacable. L’analyse des données détaillées publiées par la CNAMTS sur la période 2001-2009 le confirme. On pouvait attendre de ces visites qu’elles soutiennent la prescription de médicaments anciens, disposant d’un équivalent générique et présentant les meilleurs niveaux de preuve dans leurs indications. En réalité, ces molécules sont délaissées par les firmes pharmaceutiques au profit de fausses innovations. Et l’Assurance maladie ne fait rien pour contrer cette tendance.
Selon vous, les DAM ont-ils cependant une raison d’être ?
Oui, mais leurs missions sont mal définies. Plusieurs missions d’accompagnement des caisses, que j’ai menées à l’insu de la direction de la CNAMTS, montrent qu’une visite médicale financée par des fonds publics présente un réel intérêt. Elle obtient des résultats sur la prescription de molécules jugées anciennes parce qu’elles sont abandonnées par les laboratoires, malgré un très bon service médical rendu. Ainsi, dans l’Aude, entre octobre 2005 et avril 2006 nous avons visité 214 médecins à trois ou quatre reprises. Ils représentaient 76 % du potentiel de prescription du département. Six mois plus tard, nous avons constaté une augmentation de 77 % de la part de l’amoxicilline au sein du panier des 19 antibiotiques les plus prescrits, soit une réduction de 25 % (561 000 euros) du cumul annuel des dépenses de la caisse pour ces antibiotiques, un an après le début de la campagne. Rapportée au plan national, l’économie était évaluée à 350 millions d’euros par an. Des campagnes similaires ont été menées sur les prescriptions de statines et d’hypolipémiants, avec des résultats tout aussi probants.
Que préconiseriez-vous pour améliorer ce dispositif ?
Lors de mon audition aux Assises du médicament, j’ai proposé que les DAM soient spécialisés par domaine thérapeutique. Beaucoup d’entre eux sont déçus. C’est un gâchis épouvantable ! Au lieu d’un millier de délégués, il en faudrait 5 équipes spécialisées de 200 chacune. Ils recevraient une formation pointue sur le thème abordé lors de leur visite. Leur argumentaire en serait renforcé, fondé sur des études cliniques et l’évaluation comparative des médicaments. C’est cela que les praticiens attendent. Par ailleurs, l’Assurance maladie dispose de données très précises sur les prescriptions médicales. Elle peut faire des extractions de données médecin par médecin et cibler les praticiens à fort potentiel de prescription. Cela n’est pas fait. Les DAM ne doivent plus partir la « fleur au fusil », mais opérer un ciblage efficace des médecins à visiter.
Le chemin des DAM
A cause de difficultés d’emploi comme visiteuse médicale, Caroline Boutin est devenue DAM à la caisse de Loire-Atlantique en juin 2007. « Ce sont deux métiers différents dans l’approche des professionnels de santé. La visite médicale, c’était fait très rapidement dans le couloir du médecin, explique-t-elle. Je m’épanouis beaucoup plus aujourd’hui. Rien ne me ferait revenir en arrière. » Caroline Boutin aime le contact et l’échange avec les professionnels de santé. Et elle affirme ne pas souffrir de son manque de spécialisation. « Nous ne parlons jamais dans le vague ! Pour chaque nouvelle thématique, nous avons un training en interne pour nous mettre à l’aise sur les sujets. » DAM à Paris depuis 2008, Paul Chanteloup était auparavant affecté à la plate-forme de scannérisation des feuilles de soins. La moitié de ses visites se font en officine. Prise de rendez-vous, rencontre avec les pharmaciens, élaboration d’un compte rendu…, ses journées se doivent d’être bien organisées, entre deux déplacements en métro. La capitale n’est pas réputée pour ses résultats performants en termes de substitution. « Mais il n’y a pas de mauvais joueur, constate Paul Chanteloup. Si le pharmacien en éprouve le besoin, le suivi se fait mois par mois, en tenant compte de ses particularités. » L’intervention du DAM est souvent relayée auprès des équipes officinales, ce qui en fait un outil de management vis-à-vis de la substitution. C’est aux délégués qu’a été confiée la tâche d’accompagner les officinaux dans le dispositif « tiers payant contre génériques » et de leur fournir des brochures explicatives à l’attention des assurés. Car ce sont eux également que le DAM entend toucher à travers ses visites. « Les pharmaciens sont de formidables vecteurs de promotion de la santé publique », affirme Paul Chanteloup.
* « Délégués et médecins-conseils de l’Assurance maladie en ville : la nouvelle visite médicale ? », parue en octobre 2008.
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