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Mon exercice
Un siècle a suffi pour chambouler le métier de préparateur en pharmacie. Du cahier de commandes au stock informatisé, des potions aux biothérapies, en passant par Internet, l’adaptation est votre maître mot.
LA PHARMACIE DE PAPA
1914
Les aides-préparateurs tiennent l’officine. Durant la guerre de 14-18, mobilisation des pharmaciens oblige, une pharmacie peut rester ouverte et tenue par un aidepréparateur avec deux ans de pratique, sous la surveillance du pharmacien d’une autre officine. La jurisprudence admet de courtes absences du pharmacien en 1919, mais depuis 1946, c’est niet !
1916
Réglementation des tableaux A, B et C. En raison de consommations élevées d’opium fumé, de cocaïne et de morphine, la loi du 16 juillet 1916 modifie celle du 19 juillet 1845 sur les substances vénéneuses. Ces tableaux sont les ancêtres des listes I et II de 1988.
1928
Naissance du ticket modérateur. Les personnes qui se soignent doivent contribuer aux frais. En 1935, la participation de l’assuré est fixée à 20 %. En 1945, est créée l’assurance de longue maladie, avec deux affections de longue durée (ALD) seulement !
1941
Le pharmacien exerce personnellement. Jusque-là, certaines personnes pouvaient servir de prête-nom pour ouvrir une officine. Un nombre de pharmaciens selon le chiffre d’affaires est fixé, c’est le début des assistants. L’ordonnance du 23 mai 1945 consolidera la loi de 1941 qui encadre l’exercice de la profession : publicité, quorum, suppression des herboristes… et création de l’Ordre des pharmaciens.
1950
Naissance de Porphyre. La revue est créée par des préparateurs pour les préparateurs afin de proposer des cours et une sorte de savoir-vivre et de conduite à adopter à l’officine ! Le premier numéro, trimestriel, sort en janvier.
1957-1958
Pandémie grippale. Contre la grippe asiatique A due au virus H2N2, aucun vaccin ni traitement. L’information est limitée (1 % des foyers ont la télévision) et le nombre de morts, sous-estimé, serait d’environ 20 000. La population française est démunie. Le froid terrible de 1957 a déjà beaucoup tué…
1975
Loi Veil autorisant l’avortement et accord tiers payant. La CNAM et les syndicats de pharmaciens s’accordent sur la dispense de l’avance des frais pharmaceutiques des assurés. C’est la subrogation de paiement. Le pharmacien avance les médicaments au patient, qui signe une facture subrogatoire afin d’autoriser l’officinal à se faire rembourser par les caisses.
1976
Arrivée des « micro-fiches » perforées Fahrenberger et télétransmission de la commande.
En 1976, le grossiste-répartiteur OCP élabore des « microfiches » perforées inspirées par le système allemand mis au point par Fahrenberger en 1976 et Siemens. Sur ces mini-cartes, étaient imprimés le nom de la spécialité, la forme galénique, le volume ou le nombre de comprimés, et son code CIP* sous forme de perforations.
Quand une nouvelle spécialité sortait, les éditions Vidal envoyaient une brochure d’information et deux « microfiches ». Une imprimée sur fond blanc était destinée à matérialiser le lieu de stockage pour repérer le produit dans un tiroir ou un meuble. L’autre, sur fond jaune et amovible, servait à passer les commandes. La rotation du stock était inscrite au dos de la jaune et, quand un médicament commençait à être épuisé, l’officinal prenait la fiche jaune et la rangeait dans le trieur des commandes.
La commande se faisait à l’aide d’un appareil capable de lire les perforations des micro-fiches et de transmettre les commandes, et d’un Minitel (ancêtre d’Internet). Chaque minicarte perforée était introduite dans la fente du terminal de télétransmission, où un lecteur optique décodait le CIP, et le nom du produit s’affichait sur l’écran du Minitel. L’officinal saisissait sur le clavier du Minitel la quantité à commander et la validait. La commande était enregistrée, puis télétransmise manuellement ou automatiquement au grossiste-répartiteur.
La perforatrice de mini-cartes était utilisée lorsqu’une spécialité n’avait pas de fiche. Le grossiste fournissait des mini-cartes vierges, blanches et/ou jaunes, munies d’une ligne verticale de sept perforations. L’officinal notait avec un stylo indélébile les mentions du produit, puis réalisait les perforations selon le CIP. Il introduisait la carte dans l’encoche de la perforatrice (photo), composait le code CIP à l’aide de tirettes mobiles correspondant chacune à un chiffre. Il voyait le code se former dans une petite fenêtre. Puis, il abaissait la manette et la fiche était perforée. Le petit tiroir sur le côté permettait de récupérer les confettis produits par cette opération…
INFORMATIQUE ET LIBERTÉS
1982
Généralisation du tiers payant pharmaceutique sans seuil minimum. La dispense d’avance de frais se développe avec l’informatique. Le tiers payant à la main, c’est fini !
1987
Liberté des prix en officine. L’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, suivie de la loi du 30 juillet 1987, instaure une véritable concurrence sur le nonremboursable. Les prix peuvent désormais différer d’une officine à l’autre. L’ordonnance du 30 juin 1945, qui habilitait les autorités ministérielles et préfectorales à réglementer les prix de « tous produits et services », est abrogée.
1993
Des préservatifs à 1 franc en pharmacie. Cette mesure, soutenue par les syndicats de pharmaciens, vise à prévenir le sida. À l’époque, une capote coûte environ 4 francs, soit 0,87 euro.
1999
Droit de substitution pour les pharmaciens, création de la couverture maladie universelle (CMU) et de la carte Vitale. Tous les assurés sociaux de plus de 16 ans bénéficient de cette carte.
L’ESSOR DES RÉSEAUX
2007
Dispositif « Tiers payant contre génériques ». Ce dispositif réserve le tiers payant aux assurés qui acceptent un médicament générique. Depuis 2020, en cas de refus, l’Assurance maladie rembourse sur la base du prix du générique le plus cher du groupe.
2008
Ouverture de maisons de santé pluridisciplinaires, franchise médicale et réseaux sociaux.
2010
Scandale du Mediator. Alors que depuis plus de vingt ans les officines délivrent abondamment des ordonnances pour faire maigrir, des accidents cardiaques sont mis au jour.
2014
Disparition des vignettes. L’abandon des vignettes, instaurées en 1952, vise à simplifier et améliorer la traçabilité des médicaments grâce au Datamatrix, qui remplace le code-barres.
2020
Crise de la Covid-19. Vous y êtes en plein !
ILS SE SOUVIENNENT
Jean-Mary Robert, 80 ans, Montargis (45)
« Nous récupérions un maximum de bouteilles de sirop vides pour y verser notre sirop conseil ou conditionner la glycérine. »
Daniel Vallé, 70 ans, Caen (14)
« En tant qu’apprenti, j’ai d’abord été coursier ! Je faisais quelques livraisons auprès des personnes âgées. Je m’occupais également des approvisionnements urgents en médicaments auprès de la CERP et du CNPF (Comptoir national de la pharmacie française), je rangeais les commandes… Je nettoyais aussi les voitures de collection de mon employeur et je promenais le chien ! »
Évelyne Eragne, 83 ans, Aubervilliers (93)
« Apprentie à la fin des années 1950, je faisais beaucoup de back office : analyses d’urines, conditionnements… Le travail était assez physique car on recevait d’énormes bidons qu’il fallait descendre à la cave. Je faisais le ménage, et passais chez le médecin lui apporter les médicaments des patients avant sa tournée. S’il était déjà parti, j’allais à la poste pour les remettre au facteur. S’il était absent, je me rendais chez lui pour voir s’il était passé prendre un café avant sa tournée et je tentais de l’intercepter ! Je faisais tout à pied ! À l’époque, j’étais en province. »
Patrick Béguin, 69 ans, Paris (75)
« En 1968, lors de mes débuts, rien n’était conditionné ! Nous reconditionnions à la cave, sans aucune protection. Les bouteilles en verre que nous vendions étaient consignées. Nous pratiquions des analyses d’urines, comme la recherche d’albumine avant vaccination. On utilisait du sulfate de soude, de l’acide acétique, puis on filtrait et on chauffait le haut du tube. Nous recherchions également le sucre à l’aide de liqueur de Fehling, et ce jusqu’à l’arrivée des bandelettes urinaires. »
ET DEMAIN…
Francis Liaigre, 64 ans, Sillingy (74)
« La formation et le statut du préparateur doivent évoluer pour lui donner plus d’autonomie que celle qu’il détient sur le papier, tout en réduisant celle qu’il a en pratique (absence fréquente de contrôle effectif). Il y a une différence entre un diabète ou un cancer récemment diagnostiqué, et un patient qui vit avec depuis des années. Le suivi de patients stabilisés pourrait être confié au préparateur, sous la responsabilité du pharmacien qui prendrait le relais si besoin, mais sans contrôle effectif. Il suffit d’établir un cadre. Le pharmacien interviendrait pour la mise en place du traitement. Le préparateur prendrait le relais sur l’observance, l’hygiène de vie… Chacun aurait un rôle, ce qui valoriserait chaque profession. »
Laurent Quetstroey, 55 ans, Haute-Savoie (74)
« Si le préparateur s’empare des créneaux de spécialisation qui s’offrent à lui en se formant sur le MAD, la nutrition, etc., il se fera une place à lui. Dans l’officine où je travaille, quand la situation le requiert, les pharmaciens s’en remettent au préparateur spécialiste. De mieux en mieux formés, nous devenons de vrais collaborateurs et endossons une responsabilité dans le conseil, même sous la responsabilité du pharmacien. Je souhaiterais aussi voir évoluer la rémunération. Je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas de carte professionnelle. »
Damien Chamballon, 35 ans, préparateur dans la Vienne (86)
« Le préparateur fait partie du système de santé. Il doit être intégré aux missions de santé publique. Le prélèvement pour les tests antigéniques est une première étape. Nous sommes un interlocuteur de santé en première ligne face au patient. À nous de mettre en place nos pratiques, de nous former, de nous intégrer. À nous de faire vivre le métier ! »
Pascal Caussimon, 61 ans, Montargis (45)
« Le préparateur de demain devrait être un éducateur de santé. Il devrait redevenir un technicien, en fournissant un conseil avisé sur l’alimentation, la phytothérapie, l’hygiène de vie et le médicament, en envisageant le patient dans sa globalité. Sa formation devrait le préparer à cette approche holistique. La pharmacie reste un espace de santé de proximité essentiel pour le public et c’est fort dommage qu’il n’en profite pas. »
Myriam Cerda, 59 ans, Eygalières (13)
« L’activité du préparateur va s’orienter vers la vente en parapharmacie, des rayons essentiels pour faire tourner l’officine, dont les marges sur le médicament se sont réduites. Trois jours par semaine, je gère la para. Cela me plaît, mais on ne peut plus dire que je suis préparatrice. Le ratio des activités s’est inversé. Le métier se dirige vers celui de “vendeur en pharmacie”. »
Témoignage
Jean-Mary Robert, 80 ans, Montargis (45)
« En 1964, dans certaines pharmacies, le titulaire était peu présent. J’avais les clés, je tenais la caisse et passais à la banque avant d’arriver… Je travaillais 45 heures par semaine, faisais les gardes de nuit, et j’emportais chez moi les documents afin de m’occuper du tiers payant après ma journée. »
Témoignage
Patrick Béguin, 69 ans, Paris (75)
« En 1968, le Corydrane* était en vente libre et consommé par des patients toxicomanes. Les produits listés appartenaient aux tableaux A, B des stupéfiants et C. »
(*) Stimulant des années 1950 constitué d’aspirine et de bêta-phénylisopropylamine (amphétamine) contre les rhinites et l’asthénie, retiré en 1971.
Témoignage
Daniel Vallé, préparateur retraité
« C’est sur la base de la revue Porphyre que j’ai préparé mes examens. Je me souviens d’un livre sur les doses maximales édité par Porphyre qu’il fallait apprendre par cœur ! La revue était très investie dans la formation. À la fin des années 1970, l’un de ses journalistes a contacté les centres de formation pour tenter d’harmoniser l’enseignement pratique. Une fois par an, nous nous retrouvions à Paris dans les locaux du journal pour échanger nos idées. »
Témoignage
Francis Liaigre, 64 ans, Sillingy (74)
« Porphyre, c’était la référence pendant la période de formation. Qu’il dure encore longtemps et qu’il accompagne le préparateur dans les grandes mutations ! »
Témoignage
Jean-Mary Robert, 80 ans, Montargis (45)
« À la fin des années 1950, la pandémie de grippe asiatique a fait de nombreux dégâts. À l’officine, nous manquions de médicaments et de suppositoires, alors nous les avons fabriqués. Sur les ordonnances, les médecins prescrivaient “Tel produit ou similaire”. »
Patrick Béguin, 69 ans, Paris (75)
« Avant la loi Veil, la réglementation était stricte ! Nous devions apprendre par cœur un texte du style : “Il est interdit de vendre ou de faire vendre, sous quelque forme que ce soit, toute substance abortive”. Certains médicaments pour faire venir les règles étaient parfois vendus sous le manteau… Un jour, une personne a déposé devant la pharmacie une femme qui faisait une hémorragie après avoir subi un avortement raté… Le conducteur a pris la fuite ! »
Myriam Cerda, 59 ans, Eygalières (13)
« En 1983, j’ai changé d’officine. Le samedi après-midi, j’y étais seule. Je connaissais tous les clients mieux que les pharmaciens. Ils avaient presque plus confiance en moi qu’en eux ! »
Témoignage
Patrick Béguin, 69 ans, Paris (75)
« Avant que les commandes soient informatisées, nous notions chaque vente sur un carnet, au fur et à mesure, pour pouvoir synthétiser en fin de journée la liste des commandes à passer. »
Témoignage
Laurent Quetstroey, 55 ans, Haute-Savoie (74)
« Avec le tiers payant à la main, nous avions trois volets à remplir au stylo : nom, prénom, date de naissance, adresse, nom du médecin, tarification, etc. Un volet jaune à envoyer à la caisse de Sécurité sociale avec les vignettes, et deux volets blancs à conserver, que l’on déchirait une fois remboursés. »
Témoignage
Pascal Caussimon, préparateur, 61 ans, Montargis (45)
« Avec la libération des prix, les pharmaciens, très liés jusque-là, sont entrés en concurrence et ont commencé à s’espionner, à faire baisser leurs tarifs pour attirer la clientèle et à s’improviser businessmen. Ils ont vu certaines de leurs marges chuter et sont devenus plus présents. Puis, ils ont ouvert de nouveaux rayons en parapharmacie pour créer d’autres marchés. »
LE SAVIEZ-VOUS ?
En 1987, la vente libre de seringues, autorisée par la ministre de la Santé, Michèle Barzach, vise à réduire la transmission de l’infection au VIH et les overdoses. Depuis 1972, la vente de seringues n’est autorisée qu’aux majeurs et sur prescription. Créé en 1991 par un médecin, le Stéribox se déploie en officine les années suivantes. Il contient le nécessaire à injection pour les consommateurs d’héroïne. C’est une révolution.
Témoignage
Isabelle Cuzançon, 48 ans, Meuse (55)
« Quand les génériques sont arrivés, on s’est questionné sur la façon dont on allait effectuer les rangements. Par indication ? Les princeps d’un côté, les génériques de l’autre ? Par ordre alphabétique ?… »
Témoignage
Myriam Cerda, 59 ans, Eygalières (13)
« Certains clients font la tête. S’ils choisissent le princeps, en plus de faire l’avance, ils ne sont remboursés que sur la base du prix du générique. La mention “non substituable” sur l’ordonnance a aussi été supprimée. »
Témoignage
Damien Chamballon, 35 ans, Vienne (86)
« Les clients des pharmacies rurales sont plutôt fidèles, mais nous avons constaté davantage de volatilité lorsque les professionnels de santé se sont rassemblés au sein de cabinets ou de maisons pluridisciplinaires dans un village voisin. Dans un souci pratique, les clients se sont mis à fréquenter la pharmacie située à proximité de ces maisons. »
Laurent Quetstroey, 55 ans, Haute-Savoie (74)
« Avec le journalisme d’investigation et la presse spécialisée, les gens craignent qu’on leur mente. Résultat, ils cherchent à anticiper pour ne pas être dupés. À nous d’être convaincants et de trouver les mots au comptoir. Les formations en communication peuvent être utiles. »
Témoignage
Damien Chamballon, 35 ans, Vienne (86)
« Le scandale du Mediator a été un gros déclencheur. Il a entraîné une crise de confiance envers le monde pharmaceutique. »
Témoignage
Myriam Cerda, 59 ans, Eygalières (13)
« Avec la Covid-19, les clients ont été très agressifs au début quand on leur a répondu qu’on ne pouvait pas leur vendre de masques, mais, au final, nous avons gagné en fidélité avec le confinement car ils ont vu qu’on était toujours là pour les servir malgré les circonstances. »
LE SAVIEZ-VOUS ?
Les marques qui ont marqué : Aspirine Upsa, Pulmoll, Dermophil indien, cigarettes contre l’asthme, Stédiril, alcool de menthe Ricqlès, vins médicinaux, Elixir parégorique, pastilles Valda, les sangsues, Papier d’Arménie, aspirine du Rhône, Essence algérienne, Optalidon, charbon Belloc, Di-Antalvic, Solutricine…
(*) Le « Club inter pharmaceutique » propose une codification « normalisée, simple et nationale » exprimée par un nombre à sept chiffres correspondant au numéro à six chiffres de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) plus un chiffre de contrôle. Sur www.cipmedicament.org. Source : article de Cécile Raynal, Revue d’histoire de la pharmacie, 100e année, n° 380, 2013.
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