Stratégie et Gestion Réservé aux abonnés

MISER SUR LE SEUL MÉDICAMENT

Publié le 7 janvier 2012
Par Françoise Sigot
Mettre en favori

Certains titulaires ont réduit au strict minimum la parapharmacie et réalisent la quasi-totalité de leur chiffre d’affaires avec le médicament. Choix délibéré ou dicté par la contrainte, les résultats sont probants sous réserve de miser aussi sur le conseil.

Al’heure où la parapharmacie est de plus en plus présente dans les officines, rares sont celles qui font le choix de ne pas en proposer. « Il y a quelques années, le médicament progressait de 5 à 6 % par an. Aujourd’hui, la tendance s’inverse. Les pharmaciens qui pensent qu’une pharmacie peut vivre uniquement sur le médicament se trompent », estime Philippe Lévy. Le dirigeant du cabinet de conseil Neopharma nuance toutefois son propos : « Les pharmaciens qui veulent se concentrer uniquement ou presque sur le médicament doivent impérativement développer une offre de conseil et de prévention particulièrement aboutie. » Ce faisant, ce positionnement doit s’accompagner d’une formation de l’équipe officinale. « En général, ce positionnement est adopté par de petites officines et il obère la valeur de vente de l’entreprise », prévient Philippe Lévy. « Tout miser ou presque sur la vente de médicaments est une stratégie qui semble à contre-courant du développement qu’a pu connaître l’officine durant ces dernières décennies », confirme Matthieu Riberry, cogérant du cabinet conseil Riberry à Lyon. Mathieu Belliard, dirigeant du cabinet de transaction POD situé à Nantes, constate que « cette stratégie est adoptée parfois à la campagne où la consommation de parapharmacie est faible ».

« Les clients n’entrent plus ici pour les produits exposés »

Installée depuis janvier dernier à Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, Barbara Le Boennec a choisi de rompre radicalement avec les pratiques de son prédécesseur. Exit les vitrines aux promotions aguicheuses et l’espace de vente bondé de produits en libre accès. Désormais, seuls quatre fauteuils confortables trônent au milieu de l’officine, tandis que l’offre de parapharmacie a été diminuée de moitié. « Les clients n’entrent plus ici pour les produits exposés. En revanche, ils commencent à savoir qu’ils peuvent compter sur nos conseils. Nous prenons systématiquement le temps de les écouter, de leur commenter les prescriptions et de répondre à leurs questions », explique la nouvelle titulaire, qui se félicite de son orientation en direction de l’ordonnance. Les résultats sont là : « Le panier moyen par client est passé de 33 à 45 euros depuis que j’ai repris l’officine », fait-elle remarquer.

Par ailleurs, en misant sur le médicament la jeune titulaire est parvenue à stabiliser le chiffre d’affaires de la pharmacie (aux alentours de 960 000 euros sur une année) alors qu’il était en baisse constante ces dernières années. Certes, elle a moins de patients mais sa clientèle est plus fidèle et moins jeune. « Actuellement, 38 % de ma clientèle est composé de personnes de plus de 60 ans contre 23 % au moment où j’ai repris la pharmacie. Mon souhait est de voir cette proportion atteindre 50 %. Pour cela, il faut poursuivre cette stratégie axée sur le conseil », estime la titulaire. D’ailleurs, ce parti pris ne sacrifie pas les ventes sans ordonnance. « Le panier moyen de ventes hors ordonnance est passé de 8,50 à 12,50 euros. Neuf ventes sur dix sont associées à l’ordonnance. »

« Je m’organise pour ne pas avoir à faire revenir les patients »

A Montbert, en Loire-Atlantique, Bertrand Tilly réalise la quasi-totalité des 400 000 euros de chiffre d’affaires de son officine avec le médicament. Au-delà du choix, ce positionnement lui est dicté par une surface de vente exiguë, soit une vingtaine de mètres carrés. « En parapharmacie, j’ai cinq ou six références dans les gammes les plus demandées. Ce n’est pas ma priorité, d’une part parce que ce ne sont pas les produits qui dégagent les plus gros bénéfices et, d’autre part, parce que Montbert se trouve à une trentaine de kilomètres seulement de Nantes, où l’offre est importante en la matière. En outre, mon officine est située à proximité d’une autre officine qui, elle, propose une large gamme de parapharmacie », explique Bertrand Tilly.

Publicité

Si le titulaire ne s’autorise que peu d’offres en parapharmacie, en revanche, sur le médicament, il s’organise pour « ne pas avoir à faire revenir les patients » et s’investit sur le conseil. « Nous prenons beaucoup de temps avec nos clients, ce qui nous permet de les fidéliser », souligne Bertrand Tilly, qui insiste sur la nécessité de s’investir au comptoir – « Les clients apprécient d’avoir un pharmacien comme interlocuteur » – mais aussi de consacrer plus de temps en back-office pour optimiser les commandes, négocier les prix et comparer les offres des fournisseurs. « Je suis pharmacien, donc je travaille sur les fondamentaux de ce métier, c’est-à-dire le conseil en médication », conclut-il.

3 QUESTIONS À

JEAN-PATRICE FOLCO
TITULAIRE À FONTAINE (ISÈRE), CRÉATEUR DE MÉCA-PHARMA

Pourquoi consacrez-vous la quasi-totalité de votre chiffre d’affaires aux ventes sur ordonnances ?

Les études de pharmacie nous forment pour répondre aux besoins de médication du malade. D’ailleurs, en moyenne 90 % du chiffre d’affaires des pharmacies provient de la médication prescrite : la rémunération principale du pharmacien provient donc de l’acte de dispensation des ordonnances. Cette rémunération est toutefois fonction de son mode d’exercice et elle peut aller du simple au double, selon la stratégie menée dans les pharmacies.

Quels indicateurs vous permettent d’être aussi affirmatif ?

Le panier moyen d’ordonnances est le panier le plus élevé dans toutes les officines. Or, il s’élève quand la moyenne d’âge des patients s’accroît. Par ailleurs, il existe une corrélation entre le pourcentage d’ordonnances dans les ventes et la moyenne d’âge des patients. Cela montre que le développement des ventes hors ordonnances influe sur le niveau de rémunération final du pharmacien. Or, le modèle économique suivi par la profession vise à rajeunir la clientèle en adoptant des stratégies commercialement agressives. Mais cela provoque la baisse de la rémunération par la baisse du panier moyen d’ordonnances et, par voie de conséquence, du panier moyen des ventes. Le mode d’exercice devient donc primordial pour maintenir le panier moyen d’ordonnances au niveau le plus élevé possible.

Ce positionnement est-il tenable compte tenu des évolutions du système national de santé, de la baisse des prix et des taux de remboursement de certains princeps ?

Mon positionnement fait que plus de 98 % du chiffre d’affaires est réalisé par des patients porteurs d’ordonnances et donc que la rémunération est la plus haute possible. Cette stratégie limite les effets de la baisse de certains prix et des taux de remboursement, garantissant ainsi la pérennité économique de l’officine.

Propos recueillis par Françoise Sigot