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L’EXCELLENCE POUR LEVIER ÉCONOMIQUE

Publié le 14 décembre 2013
Par Marie Luginsland
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Entérinée par le rapport Gallois en novembre 2012, l’idée d’une industrie pharmaceutique, fleuron de l’industrie française susceptible d’impulser une nouvelle dynamique économique à la France, fait aujourd’hui son chemin.

L’industrie pharmaceutique et, de manière plus générale, l’industrie de la santé, font partie des rares filières à conjuguer une recherche académique très forte –  et de notoriété mondiale – à un appareil productif conséquent. A elle seule, l’industrie de la santé induit 200 000 emplois dont près de la moitié dans l’industrie pharmaceutique ; sa balance commerciale, excédentaire (5,4 Md€ en 2011), figure au 4e rang français. De quoi susciter l’intérêt de trois ministères, la Recherche, la Santé et le Redressement productif. Et de quoi convaincre le gouvernement de valoriser le potentiel de renouveau économique que détient cette filière. Relançant le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) et créant, en janvier dernier, la filière santé, le gouvernement a signé le 5 juillet un contrat de filière avec les industriels. Ce pacte scelle pas moins de 44 mesures et le lancement de nombreux chantiers engageant conjointement le gouvernement et l’industrie.

L’INDUSTRIE CONNAÎT SON PREMIER DÉCLIN

En septembre dernier, le PLFSS a douché cet enthousiasme naissant, avec son milliard d’euros de réductions des coûts. « Nous demandons au gouvernement de tenir compte des engagements pris dans le contrat de filière santé. Des pistes d’économies plus intelligentes que les baisses de prix arbitraires peuvent être mises en œuvre. Certaines mesures comme le développement de l’automédication autour du pharmacien pourraient redonner des volumes de production à certaines de nos usines en France tout en permettant des économies immédiates de 500 millions d’euros pour l’assurance maladie », insiste Marc de Garidel, président d’Ipsen et du G5 santé, vice-président du Comité stratégique de filière des industries et technologies de Santé.

Alors qu’elle est épargnée par la crise qui secoue l’Europe, pour être « hors des champs cycliques macro-économiques », comme le précise Olaf Tölke, responsable du secteur « pharma » pour l’Europe chez Standard & Poors, l’industrie de la santé n’en reste donc pas moins soumise aux volontés de l’Etat de réduire la dépense publique. Aujourd’hui, elle va devoir décoder le double langage, redressement productif d’un côté et économies de coûts de l’autre, alors qu’elle connaît un déclin pour la première fois de son histoire et qu’elle est aux prises avec un marché domestique en récession pour la cinquième année consécutive. Les annonces de réductions de coûts chez Merck, Lilly et Teva ne sont que les présages de la mutation en cours. Les groupes pharmaceutiques doivent relever de multiples défis. Au-delà du champ conjoncturel qui voit baisser les prix et décroître les volumes, les acteurs sont contraints de trouver une réponse à leur surcapacité, principalement dans les galéniques classiques, en l’orientant vers de nouvelles activités de production.

Ces difficultés structurelles sont renforcées par le fait que les deux tiers des produits sont aujourd’hui matures. « L’enjeu est de maintenir la production actuelle tout en renouvelant son volume », concluait il y a un an le consultant Roland Berger. Et Guillaume Clément, président du cluster pharmaceutique Polepharma, par ailleurs président de Leo Pharma France, de renchérir : « Pour conserver leurs volumes et donc leur potentiel, les industriels doivent pouvoir rapatrier les molécules. » Car c’est de l’attractivité de la France comme site d’attribution des molécules de lancement qu’il s’agit. « Nous sommes très sollicités par d’autres pays pour développer des activités de R&D ou de production sur leur sol national. Dans cette compétition entre les Etats, la France doit conserver sa place de grand pays des sciences de la vie », plaide Marc de Garidel.

Car le renforcement de la filière passe par sa force de persuasion au niveau international. Même s’il est parfois difficile de convaincre les décideurs de la lisibilité règlementaire et fiscale française, les écosystèmes que sont les clusters d’excellence sont un argument d’attractivité. Du reste, certains exemples de « rapatriement » sont assez rares pour être soulignés, comme c’est le cas de Cardizem et Allegra qui quittent cette année Kansas City (Missouri), aux Etats-Unis, pour l’usine Sanofi de Tours (Indre-et-Loire) !

L’ÉMERGENCE DE « CLUBS SANTÉ PAYS »

Il y a urgence car le pays ne recense plus dans l’industrie pharmaceutique que 81 100 emplois contre 82 500 il y a encore deux ans, selon l’INSEE. Le nombre des sites de production demeure stable à 224. Pour autant, les investissements de ces derniers mois, tout comme les 2,6 milliards d’euros investis entre 2008 et 2011, concernent principalement des extensions d’activités. Exception faite des 600 millions d’euros de l’usine GSK à Saint-Amand-les-Eaux (Nord).

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Si elle veut pérenniser sa production locale et son taux d’exportation à 53 %, l’industrie pharmaceutique française a donc besoin d’un nouveau souffle. L’export constitue l’un des axes du contrat de filière santé en cohérence avec le commerce extérieur. « Nous avons mis en place des actions d’accompagnement des PME par les grands groupes français en créant des clubs santé pays », décrit Marc de Garidel. L’objectif de ces clubs est de regrouper les services de l’Etat et les entreprises du secteur présentes dans le pays afin de fournir une offre française complète et adaptée aux enjeux locaux et de valoriser tous les acteurs de la médecine française. Après le club Santé Chine qui a vu le jour en avril dernier sous le patronage du président de la République, le Club Russie a été lancé fin septembre avec Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur.

Un autre appel d’air pourrait venir des génériques dont la production est encore trop faible comparée à celle d’autres pays européens, et des biotechs dont le nombre de sites reste insuffisant, même si l’on compte les investissements de deux acteurs majeurs Lilly et Novo Nordisk. Sans parler de la production des biosimilaires encore balbutiante en raison des investissements importants requis.

La propriété intellectuelle reste l’un des dossiers les plus épineux du volet innovation au même rang que la recherche clinique. Dans ce domaine, la France, accumulant les handicaps des méandres administratifs et d’une lourdeur réglementaire, prend un retard considérable nuisant à la compétitivité des acteurs français au plan international. Sans compter, comme le précise Marc de Garidel, « les procédures d’accès au marché en France pour les innovations qui vont devoir être adaptées pour tenir compte de l’arrivée de nouvelles solutions de santé, notamment multitechnologiques ».

Allègement des procédures, ouverture entre les différents métiers et pragmatisme décisionnel constituent pour Claude Bertrand, vice-président d’Ipsen en charge de la R&D et directeur de l’ARIIS (Alliance pour la recherche et l’innovation des industries de santé), le remède à ces maux si français et qui font souvent oublier combien l’Hexagone est « un terreau de recherche, détenant un consortium de biointelligence gigantesque ». Une carte que pourraient bientôt jouer les industriels s’ils parviennent à s’entendre et à faire jouer les synergies.

La transversalité insufflée par la restauration des liens accords privés-publics et par la volonté gouvernementale devrait être prolongée au sein de la filière. « Il nous faut davantage de passerelles entre les différentes industries de santé porteuses d’innovation comme associer par exemple l’imagerie médicale et le diagnostic à la production de produits de santé, décrit Claude Bertrand. L’innovation ne se décrète pas, il faut créer les événements afin de susciter un environnement propice et intensifier dans les prochaines années les partenariats privés-privés. » Il cite en exemple les Rencontres internationales de recherche (RIR) organisées par l’ARIIS et qui permettent aux industriels de franchir chaque année une nouvelle étape dans leur coopération.

L’HERBE N’EST PAS PLUS VERTE AILLEURS

Cette innovation d’un nouveau genre – que l’on songe aux trois filières industrielles reconnues comme stratégiques, la médecine cellulaire et régénératrice, la médecine personnalisée et translationnelle et l’e-santé – promet l’émergence de produits différenciés sur le marché, y compris à l’international. Du reste, cette faculté française à se diversifier ne passe pas inaperçue. Les agences de notation sont sensibles à ce facteur de compétitivité. Comme le relève Olaf Tölke, « l’internationalisation ne nuit en rien à un groupe. Bien au contraire, elle est facteur de croissance même sur son marché domestique et a même, à terme, des effets positifs en termes d’emplois, notamment en renforçant la R&D ». Il en veut pour autre exemple la diversification menée par des groupes dans la médecine animale et le générique. Et de souligner que Sanofi bénéficie pour ces raisons de la très bonne notation AA.

Ce constat devrait tempérer le scepticisme des industriels français. Vue sous un angle européen, l’herbe n’est donc pas plus verte chez nos voisins. Et l’analyste de citer en exemple les politiques de remboursements bien plus drastiques en Grande-Bretagne et en Allemagne. « Les études sur l’amélioration du service médical rendu y sont bien plus strictes qu’en France », affirme-t-il, observant que cette attitude peut obérer à moyen terme le développement de produits. Il rappelle ainsi que Boehringer Ingelheim a évité de mettre en vente sur son marché domestique un antidiabétique dont il savait qu’il ne serait jamais remboursé.

Il n’empêche, les industriels français, conscients de posséder des atouts et d’être leaders sur des filières stratégiques, rongent leur frein tant ils se sentent encore mal aimés des politiques. Et Marc de Garidel d’énumérer : « Il nous faut une forte impulsion des pouvoirs publics. Cela va de l’amorçage des projets de recherche à l’application dans la vie réelle. Car il faut assurer la création d’un marché solvable à travers des déploiements de grande envergure de projets, rénover l’évaluation pour l’adapter aux évolutions de la médecine, structurer la filière de l’e-santé, développer la médecine personnalisée par l’utilisation des méthodes de diagnostic compagnon, lever les freins à l’émergence de la filière de la médecine cellulaire et régénératrice… »

S’il ne veut pas se retrouver au chevet de la filière, le gouvernement a donc tout intérêt à lui fournir un traitement d’accompagnement. D’urgence.

REPÈRES

Dispositifs médicaux : forces et faiblesses d’une exception française

Les PME, qui composent pour 94 % l’ensemble des fabricants de dispositifs médicaux (DM), constituent une force dans leur maillage du territoire industriel français. Elles le sont également dans leur potentiel d’innovation dans des secteurs aussi diversifiés que la mécanique, le textile, la chimie ou encore l’électronique. « La réglementation sur les DM est encore jeune et, à l’inverse des produits pharmaceutiques, leur cycle de vie d’innovation est très court : trois à cinq ans en moyenne. Cette caractéristique fait que notre secteur fait preuve d’un fort pouvoir d’adaptation », décrit Eric Le Roy, directeur général du Snitem, le principal syndicat des DM. « Plus de la moitié des premières mondiales des 50 dernières années en France concerne des DM. Nous profitons de très bons médecins-chercheurs, notamment dans le domaine des implants », poursuit-il, insistant sur les connaissances et le savoir-faire français en matière de télémédecine, de robotisation et d’e-santé. Fait remarquable pour ce tissu industriel de PME, alors que les autres marchés européens du DM sont dominés par de grands groupes, de starts-up alimentent également en France ce potentiel d’innovation. Or, elles sont, tout comme les PME, fragilisées par les politiques menées. « Pour le seul PLFSS, nous subissons une baisse de prix sélectif de l’ordre de 120 millions d’euros. Des mesures qui sont très pénalisantes pour des acteurs agissant sur ces marchés de niche, dénonce Eric Le Roy. Une baisse des prix administrés conduira inéluctablement à la disparition de certains produits. » L’inscription des actes constitue cependant un signal positif pour le secteur et devrait réduire considérablement les délais. A titre d’exemple, l’évaluation scientifique par la HAS, la hiérarchisation et la tarification par l’UNCAM ainsi que l’inscription à la classification commune des actes médicaux (CCAM) prennent en moyenne trois ans aujourd’hui.

Trois questions à
Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (les entreprises du médicament)

« Il faut offrir aux entreprises un cadre lisible, prévisible et prédictible »

Quatrième place en termes d’excédent commercial de la France, 25 milliards d’euros en exportation, 102 000 emplois directs, un chiffre d’affaires généré de 52 milliards d’euros, l’industrie pharmaceutique serait-elle susceptible de redresser la situation économique française ?

Certainement pas à elle seule, surtout dans le contexte de récession du marché que nous connaissons. Mais il est incontestable qu’avec des secteurs comme l’aéronautique, l’aérospatiale, l’énergie ou le luxe, les entreprises du médicament sont l’un des rares secteurs à représenter un levier de croissance pour le pays. C’est très important de le rappeler, car la France est engagée dans un défi historique de redressement économique, budgétaire, industriel et social. Or, notre industrie a la capacité de participer significativement à ce redressement, dans toutes ses dimensions. Nos entreprises sont un élément fort de stabilisation de l’emploi, elles sont un axe fort de résistance contre l’exode de la production, et elles cumulent les atouts pour actionner tous les ressorts de la compétitivité. Encore faut-il le leur permettre.

Justement, vous avez récemment souligné les incohérences dans la politique menée par le gouvernement : d’un côté, la tenue d’un Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) autour du Premier ministre et la signature d’un contrat de filière dans le cadre du Comité stratégique de filière industries et technologies de santé (CSFSanté), et, de l’autre côté, deux mois plus tard, un PLFSS qui comprend une nouvelle fois une baisse de prix, d’une ampleur sans égale de 960 M€…

Dans la lignée du rapport Gallois, le CSIS et le CSF Santé ont confirmé le caractère stratégique des industries de santé. En définissant, de manière concertée, des objectifs et des stratégies communes entre l’Etat et les industriels, ils ont constitué un excellent signal en termes d’attractivité de la France pour les investissements en santé. Mais nous avons toujours insisté sur l’idée que, dans la continuité de cette démarche, il était essentiel que la France adopte une politique cohérente et pérenne, où les efforts d’attractivité déployés ne soient pas demain démentis par des mesures de régulations brutales. Les annonces du PLFSS 2014 montrent que, de toute évidence, nous n’avons pas été entendus : ce projet de loi nous semble à l’opposé des ambitions industrielles affichées au plus haut niveau de l’Etat, et il ne fait aucun doute qu’il contribuera à affaiblir le tissu économique dans toutes ses composantes – des grandes entreprises d’innovation aux producteurs de génériques ou encore à la sous-traitance.

Quelles promesses la France peut-elle faire aux investisseurs et aux laboratoires de recherche étrangers, qui exigent une lisibilité en termes de fiscalité et de stabilité des prix pour s’implanter et se développer ? Et quels sont, selon vous, les leviers à actionner afin que la France conserve son rang parmi les grandes nations de la recherche et de la production de médicaments ?

L’industrie du médicament souffre de la fiscalité générale et sectorielle la plus lourde d’Europe. Cette fiscalité n’est pas suffisamment contrebalancée par des initiatives tel le crédit d’impôt recherche. En matière de régulation, le mécanisme conventionnel de fixation des prix a été longtemps considéré comme un élément d’attractivité, mais il est aujourd’hui annihilé par le caractère unilatéral des mesures de régulation, qui induisent une perte de lisibilité pour les investissements. Bien sûr, la France demeure un grand pays pour l’industrie du médicament, grâce à la qualité et à la densité de sa recherche, tant publique que privée, grâce à son tissu hospitalier, à ses infrastructures ou à la taille de son marché. Mais pour continuer d’attirer les investissements, il faut aussi offrir aux entreprises un cadre lisible, prévisible et prédictible.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE LUGINSLAND

REPÈRES

Polepharma : renforcer la filière par la création d’un écosystème.

Depuis dix ans, Polepharma anime la production pharmaceutique dans quatre régions (Centre, Haute et Basse-Normandie, Ile-de-France), constituant ainsi le premier pôle exportateur de médicaments français et 53 % de la production pharmaceutique française. Cette mise en commun de ses 150 membres (fabricants, façonniers, logisticiens, conditionneurs) constitue un levier pour la filière au niveau régional mais aussi national. « Une mise en réseau qui aide les adhérents par le partage de leurs compétences à être plus compétitifs et à se faire entendre », décrit Guillaume Clément, président du cluster « pharma » de Polepharma et président de Leo Pharma France. Cette position de plate-forme virtuelle ou place de marché détenue par Polepharma permet également de mutualiser les ressources et de constituer un relais local. L’entité joue également la carte de la fluidité en ressources humaines dans les bassins d’emploi (27 000 emplois au total), en synergie avec les structures de formation. Pour les investisseurs étrangers souhaitant s’investir sur le long terme, la cohérence d’un système représenté par les clusters d’excellence peut être un gage de stabilité. « Manque la stabilité des prix, qui est également une marque de reconnaissance, regrette Guillaume Clément. Ce serait une marque de reconnaissance pour la branche qui jusqu’à présent est surtout considérée comme une variable d’ajustement ! »