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Les pieds dans le plat

Publié le 29 novembre 2003
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Le problème des surremises consenties par les génériqueurs aux pharmaciens éclate au grand jour. La presse et les politiques, qui se sont emparés du sujet dans le cadre du débat sur la réforme de l’assurance maladie, ont mis ce thème sous les feux de l’actualité. Commentaires.

Sur le générique, les pharmaciens bénéficient de remises commerciales au-delà du plafond de 10,74 % autorisé par la loi. Voilà, c’est dit. Le secret de Polichinelle dont nous ne pouvions ouvertement parler, sous peine d’être accusés par les uns ou par les autres de « trahir » la profession, est désormais sur la place publique. Le Journal du dimanche et Le Monde, notamment, ont récemment publié des articles détaillant les mécanismes du marché des génériques, des remises commerciales et des contrats de coopération. Le quotidien du soir parle de « remises déguisées », lesquelles pourraient atteindre 60 à 70 % du prix du générique. « Selon certains spécialistes – qui tiennent à l’anonymat -, la moyenne des remises se situerait plutôt aux environs de 40 % », précise même le journal.

Mais ce n’est pas tout. Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé (CEPS), y a fait allusion lors d’une conférence organisée par le quotidien Les Echos. « Le TFR est un moyen de confisquer de la marge aux pharmaciens, de récupérer la surmarge du générique et ainsi de trouver des économies pour financer l’innovation », a-t-il lancé, précisant qu’il souhaitait l’application d’une seconde vague de TFR. Lors du même débat, Yves Bur, député UMP et président du groupe d’études « médicaments » de l’Assemblée, y est aussi aller de sa petite phrase : « La réforme de la Sécurité sociale devra aborder les questions qui fâchent. A ce titre, nous souhaitons rapidement avoir un débat sur les marges arrières des pharmaciens pour qu’elles reviennent à l’assurance maladie. »

« Le marché n’y survivrait pas ».

A entendre ces deux personnalités, une alternative se dessine : soit étendre le TFR, soit partager les surremises avec l’assurance maladie. L’officine devra choisir. Les syndicats ne l’ignorent pas. Ils ont déjà creusé la question. Première certitude pour eux, il est hors de question de remettre en cause le principe même des remises. Pour une raison simple : elles sont indispensables au marché du générique.

« Si on avait appliqué le « 10,74 % », le marché du générique ne serait pas là où il en est, assure Claude Japhet, président de l’UNPF. Sans les remises, ce marché disparaît. » « Le marché n’y survivrait pas, analyse également Bernard Capdeville, président de la FSPF. Beaucoup de pharmaciens ont mené le combat du générique dans une hostilité totale. Si on leur étrangle les remises, ils étrangleront le marché par abstinence. » Le gouvernement le sait. Et il ne peut prendre le risque de voir se tarir un marché qui représentera une source d’économie indispensable à la politique d’innovation qu’il souhaite conduire sur le marché du médicament.

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La solution du partage.

Néanmoins les syndicats, conscients de l’enjeu, souhaitent assainir le système. S’ils réclament tous un déplafonnement, condition sine qua non d’un partage avec l’assurance maladie, ils ont des positions divergentes sur les moyens d’y parvenir. « Voilà plus de deux ans que nous sommes mandatés, à la FSPF, sur le dossier des remises. Il fallait effectivement une meilleure rémunération pour la substitution mais il faut aussi qu’elle soit légale, d’où l’idée de libéraliser les remises sur le générique tout en trouvant un moyen d’intéresser l’assurance maladie. On sait qu’industriels et répartiteurs avaient fait échouer ce dossier dans un premier temps, en 2001, mais les négociations ont repris. »

Concrètement, si un tel système, déjà pratiqué pour les cliniques, était repris pour l’officine, le pharmacien verrait figurer la remise totale sur sa facture, « dont ACOSS 30 ou 50 % » (somme reversée directement par le fabricant à l’ACOSS).

« Personne ne peut se satisfaire du système tel qu’il fonctionne aujourd’hui, assure Claude Japhet. Avec les contrats de coopération, les pharmaciens ont une épée de Damoclès en permanence au-dessus de leur tête. Il faut jouer la transparence. La première chose à faire est de libéraliser les conditions commerciales. Maintenant, si l’Etat veut faire des économies, très bien : qu’il nous fixe un objectif, le montant des économies qu’il souhaite récupérer. Si l’objectif n’est pas atteint, on peut envisager une contribution complémentaire ou une baisse de prix des génériques. »

L’USPO propose 25 % de remise.

L’USPO est sur la même longueur d’onde : le système est en bout de course. « S’il faut libéraliser les conditions commerciales, il ne faut pas toucher à l’équation : « marge générique égale marge princeps plus une incitation pour le pharmacien », qui reste le moteur de la substitution, explique Gilles Bonnefond, son secrétaire général. Le mécanisme des remises est un stimulant pour le marché des génériques, mais il doit se trouver en harmonie avec la réglementation. Si l’Assurance maladie veut faire des économies, il existe un moyen simple : la baisse des prix des médicaments génériques. C’est donc aux laboratoires de génériques, à l’Etat et au CEPS de fixer des prix qui lui permettent de récupérer une partie des remises. »

Si tout le monde est d’accord sur le partage des remises, il reste à déterminer le ratio de ce partage. Il semble que les chiffres ne soient pas encore à l’ordre du jour des négociations. « Ce serait à voir dans le cadre d’une discussion annuelle sur cette contribution ACOSS », précise Bernard Capdeville. Seule l’USPO se risque à avancer le chiffre de 25 %. Du côté des groupements on reste prudent. Pour Gilles Brault-Scaillet, président du Collectif, ce n’est pas aux groupements mais aux syndicats de négocier sur ce qui revient à être une marge pour l’officine, même s’il estime que les groupements de pharmaciens sont ici indirectement visés par certains lobbies. « Les groupements seront évidemment en phase avec une politique de transparence et préféreront toujours une certaine liberté », commente-t-il.

Même s’il apparaît évident aux pharmaciens que leurs efforts sur le générique méritent largement les surremises consenties jusqu’ici, il faut rester conscient du fait que les dépassements de remises restent en marge de la réglementation, avec tous les risques que cela comporte si le gouvernement donne un jour consigne à la DGCCRF de se réintéresser au sujet. Mais fallait-il vraiment, pour les politiques, s’attaquer justement à ce sujet alors que le marché des génériques décolle enfin ? « Honnêtement, commente Bernard Capdeville, les dépassements de remises sont de bien peu de poids au regard de ce que dit la Cour des comptes sur le médicament à l’hôpital… »

RÉACTION

HUBERT OLIVIER : Vice-président du GEMME

Evoquer les remises ne tient que si l’on considère l’ensemble de la problématique des génériques. Aujourd’hui, le générique ne fonctionne en France que grâce aux pharmaciens. Pour cela, il faut qu’ils y trouvent la rémunération de leurs efforts. Vu cette situation, le TFR a déjà représenté un hold-up pour eux. Alors, il serait bon de définir un cadre qui pérennise le marché en France. Et pour cela il faut voir comment pérenniser les efforts des pharmaciens sans qu’ils puissent craindre que les fruits de ces efforts leur soient repris dans un ou deux ans.