Les biosimilaires avenir de la pharmacie et… des finances publiques
Stratégie et Gestion Réservé aux abonnés

Les biosimilaires avenir de la pharmacie et… des finances publiques

Publié le 5 octobre 2024
Par Oriane Raffin
Mettre en favori

Les biosimilaires sont amenés à se déployer dans les années à venir permettant des gains importants pour le système de santé et un souffle d’air pour l’économie officinale. Toutefois, les industriels fabriquant ces thérapeutiques doivent toujours faire face à de nombreux obstacles. Entretien avec Sébastien Trinquard, directeur général du syndicat de génériqueurs et fabricants de biosimilaires (Gemme).

Quelle est la place des biosimilaires en France aujourd’hui ?

Le taux de pénétration des biosimilaires en France reste faible. En 2023, il s’établissait à 32 %, alors que la stratégie nationale de santé avait fixé ce taux à 80 % en 2022. Cet objectif de 80 % a été repris cette année par l’Assurance maladie.

Fait-on moins bien que les autres pays européens ?

C’est un peu compliqué d’obtenir des données récentes. Une certitude : le Canada est précurseur où une série de mesures ambitieuses pour soutenir et encourager le recours aux biosimilaires ont été mises en place. Dans la plupart des provinces, le taux de pénétration est supérieur à 80 %. En Colombie-Britannique, le recours aux biosimilaires grimpe jusqu’à 93 % pour l’étanercept, l’adalimumab et l’insuline glargine. En France, nous ne dépassons pas les 45-55 % pour ces thérapeutiques.

Comment expliquer ce retard français ?

En France, le déploiement des biosimilaires a longtemps été porté par la prescription. Les pays où les taux de pénétration sont les plus élevés ont mis en place des stratégies de diffusion impliquant l’ensemble des professionnels du médicament ainsi que les patients. Certains États, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Canada, ont même décidé de limiter la prise en charge totale aux seuls biosimilaires. La Finlande, l’Islande, la Norvège et les Pays-Bas commencent également à substituer largement.

Publicité

Quel rôle le pharmacien va-t-il jouer dans le déploiement des biosimilaires ?

Lorsque les génériques ont été substitués par les pharmaciens, nous avons observé une accélération massive des taux de pénétration. Le même phénomène devrait se produire pour les biosimilaires dès 2025, une fois que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) aura rendu ses avis sur les thérapeutiques substituables. Lors des auditions réalisées par l’ANSM, le Gemme a défendu une approche pluriprofessionnelle pour renforcer le recours aux biosimilaires, combinant à la fois le médecin et le pharmacien. Ce dernier, grâce à sa proximité avec le patient, peut faciliter l’acceptation d’un nouveau traitement. Le GEMME plaide pour une substitution pleine et entière des biosimilaires.

Peut-on chiffrer les économies possibles grâce aux biosimilaires ?

Plusieurs gisements d’économies sont envisageables. Plus vite nous aurons les avis de l’ANSM sur les conditions de substitution des 11 groupes de biosimilaires, plus vite la substitution pourra s’enclencher. L’économie attendue sur ces groupes est estimée à 80 millions d’euros, si la substitution atteint un taux de pénétration de 80 %.

Mais d’autres leviers existent : la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) de 2024 prévoit une substitution par les pharmaciens deux ans après la commercialisation d’un biosimilaire. Or, pendant ces deux ans, l’Assurance maladie paye des traitements équivalents beaucoup plus chers. Supprimer ce délai permettrait de générer une économie de 120 millions d’euros. Opérer une telle modification nécessiterait de passer par la loi. D’ici 2030, les finances publiques pourraient économiser jusqu’à 7 milliards d’euros grâce à la multiplication de ces traitements, un grand nombre de molécules biologiques tombant dans le domaine public d’ici cette date.

Enfin, les hybrides substituables se limitent aujourd’hui à deux classes thérapeutiques. Le Gemme a identifié 33 nouvelles classes potentiellement substituables. Nous les avons communiquées à l’ANSM et au ministère de la Santé pour qu’elles soient évaluées. L’élargissement à ces 33 classes permettrait 80 millions d’euros d’économies supplémentaires.

À terme, le prix des biosimilaires pourrait-il décroître aussi fortement que celui des génériques ?

Un alignement serait destructeur de valeur pour ces produits et pourrait remettre en question les économies que nous venons d’évoquer. Comme le préconisent de nombreux rapports, les économies liées aux biosimilaires seront massives grâce à un effet volume, et non à une baisse des prix de ces thérapeutiques.

Quelle est votre position sur la clause de sauvegarde ?

La clause de sauvegarde n’est plus soutenable. Elle remet en question toute la viabilité du secteur des génériques et des biosimilaires. Ces médicaments supportent un prix bas au titre des économies attendues par leur développement, mais paradoxalement, ce développement est sanctionné par la clause de sauvegarde. À droit constant, la clause de sauvegarde pourrait tripler en 2025 pour le secteur des génériques, faisant chuter la profitabilité à -2,4 %. Le maintien de cette clause pourrait avoir des conséquences sur l’accès aux traitements à un coût abordable. Nous souhaitons une application différenciée de cette clause, exonérant les produits générateurs d’économies.

Les remises sur les biosimilaires pourront-elles être identiques à celles des génériques ?

Si la question se pose, il est important que les remises ne remettent pas en cause la soutenabilité du modèle.

Certains industriels pourraient-ils refuser de développer et de commercialiser des biosimilaires en France pour des questions de coûts ?

Il y a déjà quelques biosimilaires qui ne sont pas lancés en France en raison d’un manque de perspectives de croissance. Le modèle économique des biosimilaires est différent de celui des génériques. Les coûts de recherche et de production sont beaucoup plus élevés. Le processus d’enregistrement et d’évaluation est également beaucoup plus complexe, impliquant un plus grand nombre d’acteurs.