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LES ACHATS GROUPÉS DANS LA TOURMENTE

Publié le 14 juillet 2012
Par Francois Pouzaud
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CAP, SRA, rétrocessions… Les difficultés économiques des officines poussent les pharmaciens à faire appel à ces modes d’achats groupés de produits non remboursables. Mais, pour diverses raisons, ces dispositifs ne peuvent pas donner toute leur mesure. Et la tutelle devra se prononcer sur la légalisation des rétrocessions.

Le décret sur les centrales d’achats pharmaceutiques (CAP) et les structures de regroupement à l’achat (SRA) date du 19 juin 2009. Sur le papier, il doit offrir aux pharmaciens de nouvelles possibilités d’achats groupés au meilleur prix sur les médicaments non remboursables et le hors-AMM (parapharmacie, diététique, accessoires, etc.). Dans l’esprit des pouvoirs publics, CAP et SRA doivent permettre de vendre moins cher à la clientèle, lisser les écarts tarifaires entre officines et mieux accompagner les déremboursements en évitant une flambée des prix. Conséquence du décret : la revente de médicaments entre pharmacies est réglementée. Au milieu de l’année 2011, le ministère de la Santé, sensibilisé par différents acteurs de la chaîne du médicament à la problématique de la traçabilité, a rappelé que la rétrocession entre pharmaciens n’avait pas de cadre légal et que les pharmaciens devaient utiliser les CAP et SRA.

Les gros laboratoires hostiles à l’esprit du décret

Trois ans après leur introduction, le constat est très mitigé : CAP et SRA affichent une faible réussite et n’ont que partiellement répondu aux attentes des officinaux. A ce jour, plusieurs centaines de SRA, selon l’UNPF (aucun chiffre exact n’est disponible), ont été créées et 18 CAP autorisées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Pourquoi un tel insuccès ? Parce que CAP et SRA rencontrent les mêmes problèmes que les groupements : certains laboratoires pharmaceutiques(1) leur proposent des conditions commerciales plus défavorables que celles habituellement pratiquées, tant sur les prix et volumes de commande que sur les conditions de livraison et de facturation, allant parfois jusqu’au refus de vente ou de livraison.

Thomas Brunet, titulaire à L’Ile-Bouchard, en Indre-et-Loire, dirigeant de la SAS Pyxis Pharma, SRA regroupant aujourd’hui près de 250 pharmaciens, peut en témoigner. « Alors que les petits laboratoires ne font aucune difficulté pour travailler avec notre SRA, les quinze plus gros laboratoires organisent des politiques commerciales contraires à l’esprit du décret pour nous dissuader de travailler avec eux, dénonce-t-il. Comme le décret nous l’impose, nous demandons que les produits soient livrés directement à l’établissement pharmaceutique mandaté par la SRA pour stocker et distribuer dans nos officines, ils s’en servent comme prétexte pour nous imposer les conditions, moins intéressantes, appliquées aux grossistes. » Depuis novembre 2011, la SRA s’est adossée à un nouveau prestataire qu’elle a elle-même créé : Sagitta Pharma, établissement pharmaceutique installé à Tours chargé de livrer les produits de la soixantaine de laboratoires référencés par Pyxis Pharma (voir l’« Evénement » du Moniteur n° 2920).

« La pratique des rétrocessions s’est malheureusement amplifiée par l’attitude de ces laboratoires qui, en refusant de travailler avec les groupements structurés, ne respectent pas les règles commerciales définies par la loi », déplore à son tour Michel Quatresous, président d’Optipharm. Pascal Louis, président du Collectif des groupements, n’est pas surpris par ces comportements industriels. Selon lui, les relations commerciales entre laboratoires, groupements et pharmaciens reposent sur d’anciens modèles qu’il faut faire évoluer : « Nos relations n’ont pas atteint un degré de maturité suffisant ; on discute uniquement des remises commerciales, il n’y a pas de prise en compte du sell-out(2) et le merchandising est faible sur le point de vente. » Pour Lucien Bennatan, président du groupe PHR, les laboratoires récalcitrants finiront par céder. « Ils auront besoin de réseaux organisés autour de la prise en charge du patient avant, pendant et après sa maladie qui leur apporteront de la croissance et du chiffre d’affaires », affirme-t-il. « Laboratoires et groupements doivent se retrouver sur des intérêts communs, les engagements doivent être réciproques, poursuit Pascal Louis. La loi HPST, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, la loi de financement de la Sécurité sociale 2012 donnent un cadre pour mieux conseiller et accompagner nos clients patients. Cette règle doit concerner toute l’activité de la pharmacie, du médicament à la parapharmacie. »

La Direction générale de la santé a été saisie à plusieurs reprises, tant par des pharmaciens que des directeurs généraux des agences régionales de santé, des difficultés rencontrées par les SRA et a alerté le Conseil national de l’ordre des pharmaciens. Les politiques aussi sont interpellés. Avant même de prendre ses nouvelles fonctions au gouvernement, Marisol Touraine, députée d’Indre-et-Loire, s’était inquiétée, en novembre 2011, des difficultés d’approvisionnement des pharmaciens de sa circonscription rurale déjà sinistrée par la désertification médicale. Dans une question écrite en janvier 2012, elle interroge Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, sur ce qu’il compte faire concrètement afin de remédier à cette situation.

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Pourquoi tant d’hostilité de la part des laboratoires ? « Ils ne veulent pas se couper de leurs forces de vente et entendent garder la maîtrise du réseau de distribution, avance Jean-Luc Tomasini, président d’Europharmacie. Si des groupes d’officines s’organisent et deviennent trop puissants et que cela oblige le laboratoire à délester sa force de vente, le rapport de force s’inverse. » Christian Grenier, président de Népenthès, pense aussi que les laboratoires sont pieds et poings liés par leurs forces de vente. La CAP de ce groupement fonctionne bien (60 laboratoires référencés, 2 000 pharmacies commandent régulièrement à la centrale) mais est confrontée aux refus de vente de laboratoires, aux réductions des avantages commerciaux, à l’application de conditions où la proportionnalité entre remises et volumes n’est pas respectée et aux difficultés d’accès à l’intégralité des gammes. Christian Grenier s’interroge sur les dessous de ce boycott des CAP et SRA et livre une analyse décapante : « Certains laboratoires veulent faire échouer les pharmaciens dans leur objectif de proposer des produits moins chers à leurs patients, de manière à pouvoir faire sortir certains médicaments du monopole et les vendre en grande distribution. »

Les laboratoires complices de la rétrocession

« La rétrocession est devenue en peu d’années incontournable pour améliorer la rentabilité de l’officine », constate Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise. Malheureusement, commander pour le compte d’autrui, recevoir et stocker restent des activités réglementées et enfreindre ces règles est passible pour le pharmacien de sanctions ordinales et pénales (voir encadré p. 30). Un autre danger guette. « La rétrocession fait courir un danger de perte de la traçabilité, alors que ce risque n’existe pas avec les CAP qui, en tant qu’établissements pharmaceutiques, sont à même de la garantir », met en garde Christian Grenier.

Face aux difficultés économiques, plusieurs voix s’élèvent dans la profession pour que la rétrocession soit autorisée et encadrée par un décret. Les syndicats proposent de la réserver aux médicaments non remboursés et à la parapharmacie, sans dépasser 5 % des achats.

La perspective de SPF-PL (sociétés de participation financière des professions libérales) milite aussi pour la légalisation de cette pratique. Il paraît difficilement concevable qu’une holding, en tant que prestataire pour le compte de ses filiales, ne puisse pas réaliser des achats groupés et ensuite les rétrocéder en partie à chacune des sociétés filles ! « Notre proposition, examinée notamment par la DGCCRF et la DGS, a fait l’objet d’un accueil attentif par le cabinet du ministre de la Santé, signale Philippe Besset, président de la commission économie de la FSPF. Toutefois, les modifications réglementaires nécessaires à sa mise en œuvre n’ont pas pu être prises avant les élections présidentielles. »

Thomas Brunet craint qu’un tel décret entraîne de nouvelles dérives : « Une pharmacie qui réalise 1 million d’euros d’achats aura le droit de faire 50 000 euros de rétrocessions, et celle qui fait dix fois plus, 500 000 euros ! Demain, certains pharmaciens ne feront plus le même métier, certains seront à moitié officinaux et à moitié distributeurs en gros. Nous avons mieux à faire avec les nouvelles missions que le législateur nous a attribuées. »

(1) Les laboratoires que nous avons contactés n’ont pas souhaité répondre.

(2) Actions et outils qui favorisent les ventes.

Un pharmacien satisfait de sa SRA

Cédric Cuq, installé à Beauvoir-sur-Niort (Deux-Sèvres), est connu des délégués commerciaux des laboratoires pour être dur en affaires. Ce titulaire négocie des prix nets attractifs pour ses clients et a pour principe de ne référencer que des gammes sur lesquelles il obtient des prix compétitifs. Cette philosophie s’est accentuée avec son adhésion à une SRA locale qui compte entre 100 et 150 adhérents. « Je suis très satisfait de ma SRA. Grâce à elle, j’obtiens le maximum de remises sans avoir les contraintes des quantités. Même en achetant dix boîtes à l’année, je peux avoir 50 % de remises ! »