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Le temps de la substitution… et de l’aventure

Publié le 28 juin 2024
Par Christelle Pangrazzi et Véronique Hunsinger
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Les pharmaciens n’osaient plus y croire. D’ici 2025, ils pourront enfin substituer un plus large éventail de biosimilaires. Si ce nouveau champ de compétences peut largement améliorer l’économie officinale, de nombreux points restent encore en suspens. Explications.

 

Attendue avec impatience, la mesure est arrivée fin 2023. Depuis la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2024, les pharmaciens sont autorisés à substituer un médicament biologique par un biosimilaire dès lors que celui-ci est commercialisé depuis au moins deux ans et sauf avis contraire de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). La Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) était, elle aussi, très favorable à cette réforme. Et pour cause : les biosimilaires sont vendus, en moyenne, 30 % moins chers que leurs homologues. Résultat ? Leur usage généralisé permettrait de réaliser… 7 milliards d’euros d’économie à l’horizon 2027 pour les finances publiques, selon une étude du cabinet Iqvia commandée par Sandoz. Côté pharmaciens, leur dispensation élargie gonflerait l’enveloppe conventionnelle de 200 millions d’euros. Si l’ensemble de ces perspectives semble réjouir tous les acteurs, plusieurs points restent en suspens. Parmi eux, le nombre de biosimilaires concernés par la substitution, le pourcentage lié aux éventuelles remises, mais aussi la remise en cause ou non de tous les accords passés en raison de la dissolution de l’Assemblée et d’un remaniement ministériel. Quels sont les freins au déploiement des biosimilaires à l’officine ? Que peuvent vraiment en espérer les officinaux ? Voici des éléments de réponses à travers six sujets de réflexion.

Un taux de pénétration trop faible en France

 

Les biosimilaires sont un peu l’arlésienne de l’officine. Depuis des années, les pharmaciens réclament de pouvoir les substituer. En vain. Aujourd’hui, sur la soixantaine de marques de médicaments biosimilaires commercialisés, pour dix classes thérapeutiques, seuls deux sont substituables à l’officine : le pegfilgrastim et le filgrastim. De fait, le taux de pénétration de ces facteurs de croissance utilisés lors des chimiothérapies sont très bons, respectivement de 79 % et 96 %. En revanche, le taux général de pénétration pour l’ensemble des biosimilaires stagne à 38,6 % pour les prescriptions de ville. Des résultats médiocres comparés à l’Allemagne ou aux Etats-Unis, où il s’élève à 80 %. Il est même de 84 % au Royaume-Uni. Le Canada, pourtant très vigilant en matière de politique sanitaire, dérembourse les médicaments biologiques à partir du moment où un biosimilaire existe.

La substitution officinale élargie dès 2025

 

Grâce à un amendement déposé au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, le déploiement des biosimilaires en France va enfin s’accélérer dès 2025. Soutenue par de nombreux acteurs de la santé, cette mesure prévoit que deux ans après la publication de l’inscription au remboursement du premier biosimilaire d’un groupe donné, un arrêté ministériel autorise la substitution par le pharmacien au sein de ce groupe, sauf avis contraire de l’ANSM. Pour favoriser la mise en place de ce nouvel arrêté, l’établissement public a donc créé, en avril 2024, un comité scientifique temporaire visant à définir les conditions de la substitution. Composé d’associations de patients et de professionnels de santé, il réunit des membres permanents, aux compétences transversales, et d’autres conviés spécifiquement pour l’examen de certains groupes de biosimilaires. Un avis dressant la liste des médicaments concernés sera rendu avant le 31 décembre 2024.

Une économie stimulée jusqu’à quel point ? 

 

A l’instar des génériques, la substitution des biosimilaires représentera un intérêt économique pour le pharmacien si elle est associée à l’égalisation des marges et à des remises sur ces thérapies. Au moment des négociations conventionnelles, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) ont exigé de Frédéric Valletoux, ministre délégué à la santé et à la prévention, un écrit leur garantissant la publication rapide de l’arrêté sur les marges et l’inscription au PLFSS 2025 des remises. La preuve tant attendue est intervenue deux jours après la rencontre avec les syndicats. L’avenant économique numéro 1 fait également mention du soutien de l’engagement de la Cnam pour « l’égalisation des marges des pharmaciens appliquées entre bioréférents et biosimilaires, les hybrides, une substitution élargie et la définition d’un cadre réglementaire applicable aux remises favorisant le développement des biosimilaires ».

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Quels bénéfices réels pour les officines ?

 

Potentiellement, la FSPF table sur une économie de 1,4 milliard d’euros à l’horizon 2027 pour les biosimilaires et de 1,4 milliard d’euros pour les hybrides, soit 2,8 milliards d’euros. Selon son président, Philippe Besset, l’hypothèse d’un taux de substitution de 50 % sur un Répertoire moyennement élargi et un taux de remise à 15 % permettrait de générer 10 000 € par an et par officine. Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO est, lui, plus circonspect. Il a, pour sa part, estimé cette ressource économique à partager avec l’Assurance maladie à 1 milliard d’euros par an. Toutefois, il souligne l’absence de données chiffrées fiables – montant des remises et taux d’élargissement de la substitution – permettant de modéliser les bénéfices réels pour l’économie officinale.

Rosp sur les biosimilaires : aucune décision n’est prise

 

Frédéric Valletoux, ministre délégué de la Santé et de la Prévention, n’a donné aucun gage sur ce sujet. Dans un document adressé aux syndicats, la Cnam indique se laisser la possibilité d’intégrer à la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) « Bon usage des produits de santé » (indicateur 3) les biosimilaires et hybrides. Pour Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, cette option est toutefois compromise. Dans la convention médicale signée avec les syndicats médicaux le 4 juin, la Cnam flèche vers les médecins 50 % des économies réalisées en 2025 sur la substitution du ranibizumab (Lucentis). « Les pharmaciens vendent, mais ce sont les médecins qui touchent les bénéfices », conclut-il.

La dissolution pourrait rebattre les cartes

 

Malgré l’engagement de Frédéric Valletoux, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ni l’arrêté sur l’égalisation des marges ni l’arrêté ministériel de l’avenant économique à la convention pharmaceutique n’ont pas paru au Journal officiel (JO). Par ailleurs, un remaniement ministériel est très probable. Or, « même une fois publié au JO, l’arrêté ministériel sur l’avenant économique de la convention pharmaceutique pourrait être abrogé ou retiré par de nouveaux ministres de la Santé ou de l’Economie s’ils devaient le juger défavorable aux finances publiques ou, inversement, desservant trop fortement la profession », prévient André Borg, pharmacien et avocat au cabinet Massilia Juris Conseils à Marseille (Bouches-du-Rhône).

 
 
 
 

Les associations de patients arcboutées sur la substitution

De longue date, les associations de patients ne sont guère favorables à la substitution des bioréférents par le pharmacien. « C’est un sujet vraiment compliqué : les familles de molécules sont très différentes d’un bioréférent à un biosimilaire. Dans le cas des rhumatismes inflammatoires, les traitements sont d’une grande complexité. C’est pourquoi il ne nous semble pas pertinent aujourd’hui de mettre en place la substitution par le pharmacien », explique Sonia Tropé. Selon l’Association nationale de défense contre l’arthrite rhumatoïde (Andar) qu’elle dirige, le parcours des patients est déjà « très difficile », car l’efficacité d’un traitement doit être évaluée à travers le recueil du ressenti du patient ainsi que par une prise de sang. « En cas de perte d’efficacité, il faut revoir le rhumatologue dont les délais de rendez-vous peuvent être particulièrement longs dans certaines régions. Il y a donc une perte de chance si un switch back est nécessaire. On peut aussi craindre une diminution d’adhésion au traitement si celui-ci est moins bien supporté ou de moins bon usage lorsque, par exemple, la nouvelle molécule n’a pas la même durée de conservation que la première. »