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Le médicament se fait la malle

Publié le 23 mars 2002
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Officine et hôpital sont amenés à cohabiter pour une meilleure prise en charge du patient, du moins en région parisienne, où la difficile « rétrocession hospitalière » passe majoritairement par l’officine. Mais chacun n’a qu’une hâte : voir les médicaments hospitaliers choisir clairement leur circuit de distribution. Un voeu qui devrait – en partie – être très rapidement exaucé avec l’imminence d’un décret attendu depuis dix ans.

Le refus de la pharmacie centrale des hôpitaux de Paris de délivrer en urgence des médicaments de la réserve hospitalière à un patient traité au domicile est une atteinte à la santé publique. » « Quinze jours au minimum pour honorer nos commandes ! Cette annonce est-elle la conséquence de l’application des 35 heures ou faut-il comprendre que le secteur public de la santé veut moins se fatiguer pour le secteur privé ? » Ces jugements d’officinaux à l’égard de la Pharmacie centrale des hôpitaux de paris, récemment renommée Agence générale des équipements et produits de santé des hôpitaux de Paris (voir encadré p. 33), ne sont pas rares, y compris dans les colonnes du Moniteur.

En cause donc, l’allongement des délais de livraison des produits rétrocédés en ville par l’hôpital et qui passent par le circuit officinal. Alain Chevallier, responsable du service chargé de la rétrocession hospitalière à Paris (la dispensation aux patients externes ou DPE), ne cache pas avoir un problème avec les officinaux, « parce qu’ils ne connaissent ni notre raison d’être ni notre façon de travailler », assène-t-il tout en relativisant : « Sur les 1 400 officinaux avec lesquels nous sommes en relation, nous avons des histoires avec une centaine. A une autre extrême, certains, très dévoués, viennent eux-mêmes chercher des produits à notre comptoir pour leurs patients. La plupart n’émettent jamais de réaction, cela doit donc fonctionner… »

« C’est un service qui s’est retourné contre les pharmaciens avec l’allongement des délais », estime néanmoins Jean Lamarche, pharmacien à Paris et représentant l’officine au comité Prescription et délivrance de l’Afssaps, qui travaille à ce titre avec les médecins et pharmaciens hospitaliers sur la réglementation touchant à la rétrocession hospitalière. « Or je ne pense pas qu’avec l’application du principe de précaution on puisse revenir à des délais inférieurs à une semaine, ajoute-t-il. Dans ce système non sécurisé et non rémunéré, je ne suis pas sûr qu’il faille engager le pharmacien à rendre ce type de service, pourtant je l’ai fait régulièrement ! Y compris aller chercher moi-même des produits à minuit à la pharmacie à usage intérieure de Nanterre, dans le 92, alors que j’exerçais à Sevran, dans le 93, pour une cliente qui au final m’a incendié. ça marque ces choses-là ! »

Le circuit officinal, une spécialité francilienne

C’est donc l’histoire d’un service que tout le monde rend bénévolement sans contenter personne. Car le patient est lui aussi parfois à la limite de l’exaspération : « Il nous est impossible d’envoyer 4 000 coursiers dans le mois à tous nos clients, caricature Alain Chevallier. Mais le patient n’a pas conscience que l’accès à son traitement ne relève pas de l’urgence médicale. Le problème c’est le manque d’information de la part du prescripteur hospitalier. Quand le patient a fait deux ou trois officines avant de savoir où et comment il peut ou doit récupérer son produit, il est logique que l’exaspération le gagne. » Sans parler des ruptures de stock, loin d’être rares, qui débouchent parfois sur des délivrances de quinze jours voire dix seulement.

Reste que l’usage du circuit officinal par la rétrocession hospitalière, censé faciliter la vie du patient, est désormais une particularité quasi francilienne. A Marseille et à Lyon, deux agglomérations qui se sont aussi dotées d’un service centralisé de rétrocession, celle-ci ne se fait qu’au comptoir du service hospitalier. « Nous sommes longtemps passés par le circuit officinal, explique Martine Bongrand, en charge du service centralisé de l’AP-HM. Mais on a arrêté pour des soucis de responsabilité. Nous ne le faisons plus que de façon exceptionnelle. » A la pharmacie centrale des Hospices civils de Lyon, on n’utilise pas non plus le circuit grossistes mais un système de colis postal (Colissimo ou Chronopost) pour envoyer les produits chez les patients éloignés. « Notre circuit d’envoi à domicile fonctionne bien et concerne 250 à 300 colis par mois, soit 8 % de la rétrocession hospitalière, indique Isabelle Carpentier, pharmacien responsable du service de vente aux particuliers. Le système officinal choisi sur Paris doit être très lourd à gérer. Sur Lyon, nous envisageons plutôt, compte tenu de la taille de l’agglomération, de multiplier les antennes de la pharmacie centrale aux quatre points cardinaux de la ville pour faciliter les possibilités de dispensation au comptoir hospitalier. »

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Faute de pharmacie centrale comme à Paris, Lyon ou Marseille, tous les hôpitaux publics devraient pouvoir faire de la rétrocession. C’est le cas à Nice, où le circuit officinal n’est pas exploité non plus : « On n’a pas mis de système de ce type sur pied car il n’y a pas eu la demande. Passer par l’officine est parfois, rarement, le choix du patient mais c’est alors le pharmacien qui vient à la pharmacie centrale. »

On voit bien que l’expérience officinale ne tente pas grand monde dans l’Hexagone au niveau hospitalier. Mais l’exception parisienne concerne quand même toujours un Français sur six, avec les difficultés de circulation que l’on sait… Difficile donc de remettre en cause ce système, si ce n’est en mettant davantage de produits concernés à la disposition des grossistes-répartiteurs… Or pour une fois, la réglementation devrait justement contribuer à clarifier les choses et à normaliser l’accès à ces produits puisqu’un décret imminent doit permettre l’arrivée en ville d’un tiers des produits régulièrement rétrocédés, estime-t-on à la DPE (voir p. 36). En fait c’est l’AMM d’un millier de produits qui doit être revue en un an pour savoir s’ils resteront dans une réserve hospitalière « pure et dure » ou s’ils basculeront dans la catégorie « prescription hospitalière ». Un vrai coup de pied dans la fourmilière, car les trois à quatre cents sorties de la réserve hospitalière attendues depuis très longtemps avaient fini par tenir lieu d’arlésienne, en grande partie en raison des freins de l’industrie s’accordent à dire les observateurs.

« 2 % des ordonnances que nous recevons peuvent conduire en réa »

Demain, la réserve hospitalière sera donc « absolument hospitalière » et réduite. « Il faudra laisser à l’hôpital les produits difficiles à manipuler ou susceptibles d’être utilisés pour dopage, ou bien très chers (certains reviennent à 10-15 000 francs [1 524 Euro(s)-2 287 Euro(s)] l’ampoule)…, insiste Jean Lamarche. Les autres seront disponibles chez les grossistes et délivrables sur prescription hospitalière. Mais cela obligera aussi ce dernier à avoir sur ces médicaments les mêmes connaissances que les pharmaciens hospitaliers. » Et surtout à des vérifications attentives car les ordonnances hospitalières n’échappent pas aux erreurs de rédaction, au même titre que les ordonnances ambulatoires.

Sauf que les conséquences peuvent être plus graves compte tenu des produits concernés. « 2 % des ordonnances hospitalières que nous recevons sont susceptibles de vous conduire en réanimation, avance Alain Chevallier. Et environ 10 % comportent des erreurs ou des oublis. Nous devons régulièrement prendre contact avec le prescripteur avant de préparer l’ordonnance… » « On intervient assez fréquemment pour faire valider un schéma de prise ou une posologie », confirme Isabelle Carpentier.

Dans ce contexte, que deviendront donc les services centralisés de rétrocession hospitalière ? « A chaque sortie de la réserve hospitalière, on se dit que notre activité va chuter, rassure Isabelle Carpentier, or il y a toujours de nouveaux produits qui nécessitent une dispensation hospitalière. » « 25 à 30 % des antirétroviraux sont passés à l’officine, mais les patients ont régulièrement un nouveau produit qui les conduit à venir à l’hôpital, ou bien ils sont en échappement thérapeutique, argumente Sylvia Puglièse. Et puis il y aura toujours des produits qui auront le double circuit, notamment les antirétroviraux. Je vois mal les associations de malades accepter un seul circuit pour certains produits pour des raisons de confidentialité. Certains patients sont angoissés à l’idée que quiconque en ville, même leur pharmacien, connaisse leur pathologie. C’est peut-être ce qui explique que 70 % des patients sous antirétroviraux passent par l’hôpital. »

De plus, il existe un risque de désengagement de certains hôpitaux publics en matière de rétrocession, dont l’activité se reportera alors sur les services centralisés comme la DPE à Paris. En cause, la trop faible marge prévue pour cette activité (15 euros par ligne d’ordonnance) soit un taux de marge moyen de 3 à 3,5 % du chiffre d’affaires contre 7 % avec l’ancien système, où la marge était plafonnée à 15 % sur la plupart des produits mais nulle sur les antirétroviraux. Et d’évoquer, côté hospitalier, l’éventualité d’une part de compressions de personnel dans les services concernés, et d’autre part d’une distorsion de concurrence induite par une marge très largement inférieure à celle réalisée en officine, pour les produits en double circuit. Décidément le débat hôpital-officine n’est pas clos.

Sémantique de la rétrocession

Dans le jargon de la pharmacie hospitalière, le terme rétrocession recouvre la mise à disposition de patients externes à l’hôpital de produits normalement réservés à ce dernier. Une entorse à la définition de rétrocession, qui représente normalement le transfert de propriété d’un bien ! Ici, la pharmacie hospitalière reste « propriétaire » des produits et doit se faire régler directement par l’assurance maladie, le pharmacien ne faisant « que » les réceptionner.

Circuit de l’ordonnance et des produits rétrocédés via l’officine en région parisienne

Le service de dispensation aux patients externes (DPE) de la PCH note les dates de réception des ordonnances et de départ des produits. Avant et après, le délai dû au circuit grossiste qui effectue bénévolement la liaison avec les officines dépend de l’éloignement de l’officine du patient (le produit peut transiter par plusieurs livreurs selon leur secteur). Le circuit le plus court représente 12 jours, compte tenu d’un week-end intercalé et d’un lundi matin où le grossiste ne livre pas. Une exception possible, pour les officines se trouvant dans le même secteur de livraison que la DPE (qui est dans le 5e arrondissement de Paris) où le circuit peut alors passer sous la semaine voire beaucoup moins. Mais c’est l’exception qui confirme la règle. « Nous disons quinze jours aux patients pour ne pas les angoisser », précise-t-on à la DPE.

On retrouve ici l’exemple d’un patient de Chartres fourni par la DPE de Paris. Son ordonnance – à l’aller – et ses médicaments – au retour – passeront par deux livreurs différents, celui de Chartres et celui de Longjumeau, compte tenu de l’organisation du circuit grossiste en secteurs.

Activité de la dispensation aux patients externes

(DPE, région parisienne) du 2 janvier au 2 mars 2002

– 9 276 ordonnances traitées

– dont 7 826 ordonnances de prescripteurs hospitaliers – 1 450 ordonnances de prescripteurs de ville

– pour 5 116 patients

– 2 138 prescripteurs

– 16 PC de grossistes répartiteurs concernés

– Le cap des 10 000 ordonnances a été passé le 6 mars

– 1 408 pharmacies d’officine concernées rien qu’en janvier