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« L’AVENIR DU GÉNÉRIQUE APPARTIENT AU MÉDECIN »

Publié le 24 juin 2011
Par Stéphanie Bérard
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La morosité ambiante est bien installée, les marchés de la pharmacie se dégradent. On a connu des perspectives plus réjouissantes. L’économiste Claude Le Pen livre son analyse pour retrouver le chemin de la croissance.

Le Moniteur : Comment se sont portées les officines en 2010 ?

CLAUDE LE PEN : Comme dans beaucoup d’autres secteurs d’activité, la pharmacie est à un moment charnière. Avec un chiffre d’affaires qui stagne et une marge en baisse, les pharmaciens vivent actuellement une situation délicate, qu’ils n’avaient pas connue jusque-là. Cet état des lieux entraîne une morosité dans le secteur, qui devra forcément revoir ses structures d’organisation, sa rémunération et même son nombre de points de vente. Nous sommes à une période où l’officine doit remettre en cause ses anciens modèles. Si l’on se projette à cinq ans, je ne crois pas que le diagnostic soit vraiment plus favorable. A mon avis, cette stagnation va durer.

Comment expliquer cette morosité ?

C. LE PEN : Elle ne peut être déconnectée de la politique des pouvoirs publics visant à augmenter la prescription de génériques. La pression sur les prescripteurs, les contrôles renforcés de la Cnam et le système des Capi commencent à porter leurs fruits. Le marché du générique, source importante de revenus aux premières années de substitution, semble se tarir pour le pharmacien. Désormais, les pouvoirs publics axent leur politique de promotion des génériques sur les médecins afin qu’ils prescrivent davantage en DCI. Or, la plupart des médecins libéraux peuvent, très facilement, écrire sur une ordonnance l’équivalent d’un princeps en générique car beaucoup disposent d’un logiciel comportant ces équivalences. Par conséquent, l’avenir du générique n’appartient plus au pharmacien, qui a déjà joué son rôle, mais au médecin.

Mis à part le médicament, la plupart des marchés développés à l’officine sont en baisse. Est-ce seulement l’effet de la crise ? Comment expliquez-vous cette tendance ?

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C. LE PEN : Non, je crois que la crise n’a rien à avoir avec le déclin des marchés dans les circuits officinaux. Depuis quelques mois, une régulation se met en place sur la difficile coexistence entre deux univers dans les pharmacies. D’un côté, il y a la vente de médicaments. Pour le consommateur, l’officine est vécue comme un lieu naturel pour éradiquer une maladie et se soigner. Mais les pharmacies ressemblent de plus en plus à des lieux de bien-être, offrant de larges gammes cosmétiques, d’huiles de massage, voire des séances de relaxation. Ce crédo a paru indispensable à la plupart des pharmacies pour trouver d’autres vecteurs de croissance que le médicament. La coexistence de ces deux univers peut être confusante pour le patient-client. Peuvent-ils se concilier au sein du même espace qu’est l’officine ? Je m’interroge. La tendance à la baisse des marchés dermo-cosmétiques est, je pense, liée à cette confusion des genres.

Est-ce aussi lié à la menace de la grande distribution ? L’officine doit-elle alors se consacrer exclusivement à la vente de médicaments ?

C. LE PEN : Oui. Le bien-être est pris d’assaut par l’industrie agro-alimentaire et la cosmétique, qui créent dans la GMS des espaces beauté. La grande distribution a réussi à capter une clientèle pour ce segment. Or, je doute que l’officine, avec cette confusion des genres, réussisse à faire venir une clientèle pour le confort et le bien-être. Ou alors il faudrait que cet espace soit séparé de la zone de vente des médicaments. Peut-être que l’officine devra choisir, pour plus de cohérence dans son point de vente, entre l’expertise en médicament et celle en bien-être.

Y-a-t-il des solutions pour que les pharmacies retrouvent le chemin de la croissance ?

C. LE PEN : Les solutions, s’il y en a, ne sont plus à trouver dans de nouveaux marchés qui seraient des vecteurs de croissance. Maintenant, les pharmaciens doivent penser à se regrouper pour trouver une nouvelle respiration financière et se donner les moyens de croître à nouveau. Le modèle de la pharmacie indépendante doit être revu, et modernisé. Car, à partir du moment où toutes les professions de santé, y compris les hôpitaux et les cliniques, sont forcées à se regrouper, pourquoi les officines échaperaient-elles à ce mouvement ?

Quels sont, à votre avis, les problèmes que rencontrent les officines ?

C. LE PEN : C’est, en outre, un fait incontestable que les officines sont trop nombreuses aujourd’hui, notamment dans les centres villes. Dans les zones rurales, elles se heurtent à des problèmes de désertification médicale. Dans les campagnes, le pharmacien est considéré comme un service de proximité, annexe à celui du médecin. Or, la répartition des officines ne pourra jamais compenser la répartition géographique des médecins. Car, dans un village où le médecin s’en va, le pharmacien n’a plus de raison d’exister. Il pourra d’ailleurs difficilement survivre, puisque les patients iront naturellement chercher leurs médicaments en sortant du cabinet médical.

Pour relancer la croissance des officines, l’ouverture du capital ne serait-elle pas la solution ultime ?

C. LE PEN : Oui, je le pense. Bien sûr, l’ouverture du capital comporte un risque, mais elle ne me paraît pas être une mauvaise solution. Si le capital des officines était ouvert, bien entendu sous conditions, elles pourraient là encore retrouver une respiration financière, investir et mieux gérer la dualité entre le médicament et le bien-être. Il est possible de trouver des modalités d’ouverture du capital qui soient favorables aux pharmaciens. C’est, à mon sens, la seule solution viable : dans la situation actuelle, le statu quo ne me semble pas, lui, viable. Une remise à plat va s’imposer. Les groupements ont, dans ce contexte, une vraie carte à jouer. Ils peuvent devenir les acteurs-clés du maillage officinal, en offrant des services aux patients et des conditions d’achat plus favorables.

Claude Le Pen

Diplômé d’HEC, professeur agrégé de sciences économiques à l’université Paris-Dauphine

Il y dirige le Master d’économie de la santé. Président du Collège des Economistes de la Santé (CES), il participe à de nombreuses commissions et conseils. Il est également consultant pour la société américaine IMS-Health.