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L’argent que les ruptures d’approvisionnement vous font perdre
Au-delà du préjudice causé aux patients, les pénuries de médicaments ont des conséquences économiques non négligeables pour les officines. Le Moniteur des pharmacies dévoile en exclusivité une étude mesurant la perte de chiffre d’affaires induite par les ruptures de stock, réalisée en partenariat avec Offisanté. Le manque à gagner par officine se chiffre en moyenne à plus de 8 000 € sur une année.
Depuis 2006, le nombre de ruptures d’approvisionnement en médicaments s’envole. Les chiffres sonnent comme un cinglant échec à la fois pour les pouvoirs publics et les différents acteurs de la chaîne de distribution du médicament en France. Au-delà du préjudice pour les patients, les pharmaciens paient un lourd tribut aux ruptures de stock, difficilement chiffrable sur le plan économique. En effet, elles entraînent à la fois des coûts directs (ventes perdues, conséquences sur les remises si la substitution est impossible en cas de générique non disponible ou si le titulaire doit s’approvisionner dans une autre marque de génériques à des conditions de remises plus faibles, substitution « à l’envers » de générique à princeps, impact sur la rémunération sur objectifs de santé publique, etc.) et indirects (temps passé à chercher une alternative, incidences des variations de stock sur l’immobilisation de trésorerie, etc.).
Le vrai coût de la perte sèche
A l’origine de Vigirupture, une solution collaborative pour répondre aux ruptures de médicaments, Offisanté a chiffré le manque à gagner pour une pharmacie de taille moyenne, avec un chiffre d’affaires (CA) de 1,6 M€, en prenant dans le champ de son étude les 500 premières spécialités en tension d’approvisionnement. Sur le plan méthodologique, la société de services a suivi sur une période de 12 mois cumulés, arrêtée à fin septembre 2019, les différents épisodes de ruptures qu’a connues cette pharmacie. Elle a calculé le manque à gagner en prenant en compte le nombre de jours de ruptures (sur 313 jours d’ouverture de l’officine) et les ventes moyennes mensuelles des spécialités concernées. Il ressort de cette analyse, qui ne tient pas compte de la vente du produit de remplacement, une perte sèche de CA de 8 314 €, soit 0,52 % du CA de l’officine.
Cette même analyse statistique, réalisée auprès d’un petit échantillon de pharmacies, fait montre d’un manque à gagner dont la médiane s’établit à 7 940 € sur les 12 derniers mois. « Le manque à gagner est globalement proportionnel à la taille de la pharmacie, ce qui est un résultat logique car les éventuels stocks tampon des grosses officines sont absorbés par leurs ventes et tout le monde est logé à la même enseigne en cas de rupture locale ou nationale », explique Nicolas Buglio, directeur associé d’Offisanté.
Il précise par ailleurs que « les pharmacies qui ont une forte part de médicaments à TVA 2,1 % dans la répartition de leur chiffre d’affaires ne sont pas plus perdantes que les autres. Au contraire, les pharmacies à faible part de CA à TVA 2,1 %, qui sont souvent de très grosses pharmacies avec un volume conséquent d’ordonnances, ne sont pas épargnées par l’impact des ruptures, avec, pour les plus grandes officines, jusqu’à 40 000 € de manque à gagner. »
Un coût de gestion non négligeable
Si pour des produits comme la prednisolone, pour lesquels la tension a été durable et a touché un grand nombre de pharmacies sur le territoire national, le manque à gagner n’est pas énorme en raison de son faible prix de vente, « il est disproportionné par rapport aux coûts induits par les actes du back-office liés aux tensions sur cette molécule, qui ont été nombreux et répétés », remarque Nicolas Buglio. Car, pour certaines ruptures, le temps consacré à gérer un incident de rupture peut valoir son pesant d’or. « Il est en moyenne de 20 minutes », signale Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), selon les résultats de l’enquête menée par le syndicat en septembre 2017. Sur une semaine, les chiffres sont encore plus édifiants. Selon une étude réalisée par le Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE), les pharmaciens européens ont consacré en moyenne 5,6 heures par semaine, en 2018, à la gestion des pénuries de médicaments.
Citant le cas de sa pharmacie à Montélimar (Drôme), Gilles Bonnefond indique avoir affecté une préparatrice à faire la chasse aux manquants. « Elle consacre 2 à 3 heures par semaine à passer en revue la liste des génériques en rupture et à regarder ceux éventuellement disponibles chez d’autres génériqueurs », indique-t-il.
Selon que ce travail minutieux est confié à un préparateur, un adjoint, voire réalisé par le titulaire lui-même, le coût en salaires chargés peut varier dans d’importantes proportions par officine, selon les cas : pour un équivalent temps plein, coût horaire brut chargé d’un préparateur coefficient 240, 53,68 € ; d’un adjoint coefficient 500, 134,25 €, ou d’un titulaire avec une rémunération de gérance de 5 600 €, 160 €. Ainsi, pour un temps moyen de 5,6 heures par semaine, la facture hebdomadaire se monte pour l’entreprise, dans ces 3 cas, respectivement à 300 €, 752 € et 896 €.
Environ 20 heures par mois, c’est le temps passé au téléphone avec le grossiste, le laboratoire pharmaceutique, des confrères pour un éventuel dépannage et avec le médecin afin de trouver une alternative thérapeutique, estime également Martial Fraysse, membre de l’Académie nationale de pharmacie. « Les numéros des centres d’appels des grossistes sont tous payants (numéro en 08 surtaxé), y compris pour les temps, la facture de téléphone hors forfait se monte dans mon officine à environ 110 € hors taxes par mois », comptabilise-t-il, au vu de ses relevés mensuels.
Les ruptures jouent un mauvais tour aux stocks
Autres coûts cachés : les frais pour immobilisation de stock… et paradoxalement de surstock lié à la non-optimisation des achats et le coût du temps passé aux rectifications de stock incessantes en fonction des arrivées ou non des produits… En effet, « en cas de rupture d’une spécialité, la pharmacie commande un produit de substitution disponible, mais le titulaire ne désactive pas le déclenchement automatique d’une commande proposée par le logiciel de gestion officinale afin de pouvoir reconstituer le stock qui est à zéro dès que le produit manquant est de retour », explique Gilles Bonnefond. Ce chevauchement de commandes du produit manquant et de son produit de substitution peut conduire au surstockage, entraîner des coûts supplémentaires, « et accessoirement complexifier le rangement dans les tiroirs ou sur les étagères d’un robot », complète le président de l’USPO. Il ajoute : « Lorsqu’un produit est disponible chez un grossiste qui n’est pas votre répartiteur numéro 1, celui-ci peut vous facturer des frais de livraison quand les quotas de vente ne sont pas atteints. »
Des sanctions renforcées
Agnès Buzyn, ministre de la Santé, trouvera-t-elle la formule magique ? Le 8 juillet, pour inverser la tendance, elle a dévoilé une feuille de route, en 4 axes (transparence et qualité de l’information, nouvelles actions de prévention et de gestion sur l’ensemble du circuit du médicament, coordination nationale et coopération européenne, gouvernance nationale). Elle va s’appuyer sur des propositions concrètes des acteurs de la chaîne de distribution du médicament, celles qui seront formulées par le comité de pilotage (Copil) chargé de la stratégie de prévention et de lutte contre les pénuries de médicaments qui a tenu sa première séance le 23 septembre. Ses premières conclusions sont attendues pour janvier 2020.
Une poignée de jours plus tôt, le 19 septembre, le Premier ministre Edouard Philippe et la ministre de la Santé ont reçu à Matignon une délégation de chefs d’entreprise du médicament afin d’aborder les actions pour faire face aux ruptures d’approvisionnement de médicaments. A la suite de cette rencontre, le Premier ministre a annoncé plusieurs dispositions actées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020. Les industriels auront désormais l’obligation de constituer un stock de sécurité de 2 à 4 mois sur les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et d’approvisionner, à leurs frais, des solutions alternatives en cas de pénurie pouvant faire courir un risque grave pour la santé. Les sanctions sont renforcées avec la création de nouveaux cas : défaut de constitution d’un stock de sécurité, défaut d’information à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de situation de rupture ou de risque de rupture. En cas de rupture, l’entreprise pourra se voir appliquer une sanction pour chaque jour de rupture pouvant aller jusqu’à un maximum de 30 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé en France, dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires annuel ou 1 million d’euros.
UN BREXIT QUI N’ARRANGE RIEN
La situation sur les ruptures et les tensions d’approvisionnement risque encore d’empirer avec une sortie sans accord de plus en plus probable du Royaume-Uni de l’Union européenne. Formalités administratives et contrôles douaniers ralentiront sans nul doute la circulation des marchandises. « Nombre de médicaments, dont une grande partie de génériques, sont fabriqués outre-Manche et importés en France, les délais de disponibilité vont être rallongés et les pharmacies françaises en subiront les conséquences », redoute Martial Fraysse, membre de l’Académie nationale de pharmacie. Inquiets également, les industriels du médicament et les autorités françaises se sont préparés à un défi logistique sans précédent et à un bouleversement du paysage réglementaire. Concernant les médicaments les plus indispensables traversant actuellement la Manche pour lesquels il n’y a pas de problématique de rupture d’approvisionnement ou de tension identifiée, « les laboratoires ont augmenté leurs niveaux de stocks pour pallier d’éventuels retards d’approvisionnement », indique Anne Carpentier, directrice des affaires pharmaceutiques au Leem (Les entreprises du médicament).
Face au risque de rupture sur des produits sensibles, du fait des procédures administratives et complexifications douanières, les autorités de santé cherchent à mettre en place des solutions pragmatiques qui garantiront la continuité des flux de marchandises. « L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, très engagée sur le sujet, a pu donner des autorisations d’importation parallèle en provenance de pays tiers du Royaume-Uni ou de la zone Europe », ajoute-t-elle.
À RETENIR
• La non-vente de médicaments en rupture entraîne une perte sèche moyenne annuelle de plus de 8 000 €.
• Le temps consacré à gérer chaque incident est en moyenne de 20 minutes.
• 5,6 heures, c’est le temps que les pharmaciens européens ont consacré en moyenne, en 2018, à la gestion des pénuries de médicaments.
• Le coût hebdomadaire des ressources humaines mobilisées évolue de 300 à 896 €.
REPÈRES
LES CHIFFRES SUR LES RUPTURES DE STOCK DE MÉDICAMENTS
Par FRANÇOIS POUZAUD
RUPTURES SUR LES CORTICOÏDES : LES PHARMACIENS ONT FAIT LE JOB !
Selon des résultats collectés par l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), à la date du 21 juin, 92 % des officinaux français ont souffert des ruptures totales ou partielles de corticoïdes avec, pour conséquence, une réorganisation des achats des pharmaciens à laquelle s’est intéressée la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Les pharmaciens ont très bien fait leur travail en « switchant » les laboratoires et/ou les molécules princeps ou génériques », rapporte Denis Millet, président de la commission études et stratégies économiques de la FSPF. Ayant recensé et comparé le total des ventes des princeps Cortancyl, Solupred et de leurs spécialités génériques respectives en prednisone et prednisolone de juillet versus celui du même mois de 2018, le total de 2019 est quasi identique au total de 2018 (16 776 boîtes vendues en moins cette année) avec, en revanche, de grandes disparités entre les produits. « Certains sont en forte baisse, d’autres en hausse indépendamment du laboratoire d’approvisionnement », remarque Denis Millet.
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