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« La répression s’accentuera

Publié le 17 octobre 2009
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Ancien médecin-conseil national adjoint, Pierre Fender est depuis 2006 directeur du contrôle du contentieux et de la répression de la fraude à la CNAM. Il a accepté d’évoquer pour « Le Moniteur », tout en protégeant ses moyens de lutte, les petites et grosses combines de certains pour frauder l’assurance maladie. Mais aussi la volonté de la CNAM de tout mettre en oeuvre pour y mettre fin.

« Le Moniteur » : Pouvez-vous nous décrire votre ordre de bataille contre les fraudeurs ?

La lutte contre la fraude est une priorité depuis 2006, qu’il s’agisse d’assurés sociaux, d’établissements ou de professionnels de santé libéraux. La direction dont j’ai la charge depuis trois ans dépend directement de la direction générale de la Caisse nationale d’assurance maladie. Quatre départements s’y rattachent : Détection, Investigation, Contentieux, Métier et veille stratégique. Le département Détection fait « tourner les moulinettes » dans les banques de données informatiques, repère des informations synonymes de suspicion de fraude concernant les pharmaciens, les médecins, les assurés, etc. Le deuxième département prépare des méthodes, encadre et organise les investigations et, dès que nécessaire, lance les actions sur le terrain avec le concours des médecins-conseils et des pharmaciens-conseils, des agents des CPAM, des agents contrôleurs… Vous voyez bien que les ressources sont mobilisées au-delà de nos quatre départements sur le thème de la fraude. Beaucoup de choses se font d’ailleurs sans remonter jusqu’à nous ; ce serait inimaginable, il y a 16 000 fraudes par an en France. Ici, nous organisons et déclenchons les opérations, et l’action est conduite sur le terrain. Le troisième département, le Contentieux, assiste le département Investigation ainsi que les caisses locales pour indiquer quel recours lancer (pénal, ordinal, transaction, civil) ou simplement réclamer des indus… L’objectif de notre direction est que tout le monde soit traité sur le territoire de la même façon : qu’une personne qui fraude ait autant de chances d’être détectée quel que soit l’endroit, que l’investigation soit partout encadrée de la même façon, et que tous ceux qui ont commis tel type de fraude soient sanctionnés de la même façon. Le dernier département, Métier et veille stratégique, réfléchit sur les métiers et observe ce qui se passe en matière de fraude dans les autres administrations (Caisse d’allocations familiales, assurances maladies d’autres pays…). Nous avons aussi un policier dans notre équipe qui nous indique quelle voie emprunter avec la justice et les services de police, leur section financière, la gendarmerie.

Vous avez créé un groupe de pharmaciens-conseils ?

Oui, le contrôle des pharmaciens d’officine va être confié à un pôle métier de pharmaciens-conseils, associés parfois à des médecins, jusqu’au pôle du contrôle contentieux et répression de la fraude.

Où entrent en jeu les comités locaux de lutte contre la fraude ?

Quand, de temps en temps, le service contentieux pense qu’une affaire concerne aussi les autres organismes sociaux ou qu’il y a un lien à faire avec la justice, ils peuvent l’évoquer au sein des comités locaux. Mais nous pouvons aussi le faire seuls, l’opération étant déclenchée au niveau de l’Assurance maladie : le directeur de la CPAM saisit le parquet qui contactera la police, avec enquête préliminaire… C’est l’Etat qui a organisé les comités locaux de lutte contre la fraude, lieux d’échanges qui rassemblent tous les organismes sociaux et services de l’Etat impactés (CAF, URSSAF, CRAM, CPAM, Pôle emploi, impôts, douanes, police, gendarmerie, justice…), sous l’autorité du préfet et parfois sous celle du procureur. Avec comme intérêt l’échange de données. Des réunions régulières et formelles servent à échanger certaines informations suspectes et voir si un autre organisme est impacté et peut corroborer la fraude. Certains thèmes se prêtent à ce type d’échanges entre administrations. Nous mobilisons en ce moment les parquets sur le sujet des EHPAD. Autre exemple : le domaine des transporteurs dont les données « assurance maladie » peuvent être croisées avec celles de la DRASS qui délivre les agréments pour les automobiles et l’URSSAF pour les cotisations… Plusieurs organismes peuvent ainsi se mettre en piste sur un cas, souvent sous couvert d’une saisine coordonnée par la justice.

Vous parlez de 16 000 fraudes. Votre service a été mis en place parce que l’on pressentait une hausse des fraudes ou bien par volonté politique ?

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Il y a une volonté politique de lutter contre la fraude de façon plus intense et plus performante. En matière d’assurance maladie, la majorité des demandes de prise en charge est déclarative. Dès lors, il revient à l’Assurance maladie de vérifier qu’elle paye bien chaque euro de façon justifiée, correcte. Cette fonction-là avait été investie avant 2006, mais pas de façon organisée. La lutte était moins performante qu’aujourd’hui et elle était hétérogène sur le territoire : faible à certains endroits, importante ailleurs. En 2005 nous avons évalué à 13 millions d’euros le montant de préjudice détecté stoppé. En 2008, on en était à 132 millions. Nous tablons sur 150 millions en 2009. Cela étant, je ne pense pas qu’il y ait plus de fraudes aujourd’hui qu’il y a quatre ans.

Comment repérez-vous les fraudeurs ?

Grosso modo, nous avons deux méthodes. Primo, sortir de nos bases de données des indicateurs mettant en évidence un profil plus suspect que les autres. Secundo, travailler à partir du signalement par un agent de caisse détectant quelque chose d’anormal, ou à partir de la dénonciation d’assurés, de voisins, de « chers confrères », de collaborateurs voire d’ex-conjoints… En réalité, la plupart des cas de fraudes sont détectés par la première méthode. Une fois un profil aberrant révélé, nous extrayons tous les remboursements qui y sont liés, puis ils sont analysés pour conclure s’il y a ou non fraude. Certains profils aberrants s’expliquent parfois de manière tout à fait légitime, par exemple si le pharmacien est situé près d’un hôpital drainant beaucoup de personnes avec des pathologies lourdes (infection HIV, sclérose en plaques…).

Quelle est la proportion de professionnels concernés ?

On est entre 1 °/°° et 1 % chez les professionnels libéraux. Plutôt autour de 1 % en ce qui concerne les pharmaciens. On reste heureusement dans le phénomène exceptionnel.

Qu’entendez-vous par fraude ? La vignette facturée en trop ou bien le cas beaucoup plus lourd ?

Nous identifions trois stades : fraudes, fautes et abus. Chez les pharmaciens, nous n’avons pas vraiment d’abus. Le terme concerne principalement les prescripteurs qui « abusent » de soins, qui font revenir un peu trop fréquemment les patients en consultation compte tenu du suivi nécessaire à leur(s) pathologie(s)… En matière de délivrance de médicaments, on sera plutôt dans des griefs qualifiés de fraude ou de faute. La fraude, ce sera « je facture ce que je n’ai pas délivré » ou « je facture plus que ce qu’indiquait l’ordonnance ». On voit par exemple « 3 boîtes » se transformer opportunément en « 13 boîtes », en prenant bien soin d’apposer le tampon de l’officine sur le nombre pour le rendre illisible. Autre exemple : se mettre en cheville avec un établissement de soins pour délivrer et facturer des médicaments pour des patients hospitalisés. Tout le monde s’y retrouve : l’établissement, qui économise sur ses achats de médicaments, et le pharmacien qui réalise du chiffre d’affaires et de la marge en dehors de la ville. D’autres pharmaciens vont s’amuser à facturer des renouvellements alors que le patient ne vient plus chez eux ou n’est venu qu’une fois. D’autres encore créent eux-mêmes des faux à partir de cartes Vitale. En revanche, le choix du mauvais conditionnement, par exemple, relève plutôt de la faute. Sauf si cela se répète. Si le phénomène est massif, que les indus ont déjà été réclamés par la caisse primaire et que le pharmacien continue, il s’agit alors d’une fraude car c’est manifestement volontaire… et il aura été prévenu.

Quel est le profil type d’un pharmacien fraudeur ?

Ça, je ne le révélerai pas… Tout est question de mode opératoire, du côté des fraudeurs comme du nôtre. Si je vous donne des indications sur la manière de repérer des pharmaciens indélicats, que deviendront nos pare-feu par rapport à certains modes opératoires ? Les auteurs de la fraude en changeront-ils ? Car il s’agit souvent de récidivistes. L’exemple typique est celui de l’HaØ-les-Roses, en région parisienne [un pharmacien de 58 ans appréhendé en août dernier car suspecté d’avoir détourné au moins 700 000 euros. La CPAM l’a repéré via la répétition de demandes de remboursements émanant des mêmes clients. Des échanges de parapharmacie semblaient être à la clé. Le pharmacien a avoué que l’escroquerie lui aurait rapporté 10 000 euros par mois depuis 2004]. Or ce pharmacien avait déjà été condamné auparavant par l’Ordre à 6 ou 7 mois d’interdiction d’exercer. A son retour, il a été suspecté de s’être remis à frauder : cette fois, c’est la police qui a fait une descente chez lui, aurait trouvé des dizaines de cartes Vitale dans sa caisse. Il va bientôt passer au tribunal.

Pour vous, un fraudeur finit toujours par récidiver ?

Non, je n’ai pas dit cela. On ne peut pas généraliser, vous avez effectivement des gens qui resteront toujours des escrocs en puissance. A côté de cela, vous avez aussi des pharmaciens qui, las de voir leur voisin multiplier certaines pratiques, peuvent à leur tour être amenés à tenter la même chose. Si cela passe dans un premier temps, ils pourraient continuer. A ceux-là, certainement beaucoup plus nombreux que le faible nombre de « vrais » fraudeurs, je dis : attention, nous avons aujourd’hui les moyens de décrire ce que vous faites, de saisir la justice, l’Ordre et la police pour investiguer (si notre suspicion de fraude se confirme), et cela peut avoir des conséquences graves pour vous. Je dois dire que l’Ordre des pharmaciens exerce bien son rôle disciplinaire, il sanctionne les pharmaciens pris dans des irrégularités de type fraude à la hauteur des faits.

Constatez-vous des particularismes géographiques ?

Il y a une proportion de pharmacies franciliennes suspectes de fraude supérieure à la représentation de cette région par rapport à la population française.

Des représentants professionnels avancent que la multiplication de fraudes peut aller de pair avec les difficultés économiques croissantes de la profession…

Je ne me permettrais pas d’en juger. Le fraudeur invétéré n’a manifestement pas besoin de la conjoncture pour s’y prêter. Quant à ceux qui seraient tentés parce qu’ils traversent des difficultés économiques, je leur dirais que la solution ne passe pas par là. A un moment donné, le traitement de nos bases de données va faire ressortir leur profil, ils feront l’objet d’une investigation – sans qu’ils en aient forcément connaissance d’ailleurs – et ils tomberont des nues lorsqu’arrivera une plainte et que la police « entrera dans la danse ».

A voir se multiplier les cas de professionnels de santé qui se font « coincer » pour fraude, on pourrait penser que l’on finit irrémédiablement par tomber dans vos filets…

Oui, on peut dire qu’avec notre organisation actuelle, c’est à peu près imparable tôt ou tard. En tout cas c’est ce que j’affirme : à un moment donné ils se feront pincer dès lors qu’il s’agit d’un mode opératoire que nous avons repéré. C’est pourquoi les signalements-dénonciations sont intéressants : ils nous permettent parfois de découvrir de nouveaux modes opératoires en faisant ressortir des choses que nos traitements informatiques n’avaient pas mises en évidence. En enrichissant dans la foulée nos banques de données, cela nous permet ensuite de découvrir automatiquement, à terme, ceux qui sont dans ces nouvelles « tendances ».

Est-il exact qu’un contrôle systématique se déclenche à partir de certains codes CIP ?

Oui, mais pas seulement…

Pouvez-vous nous dire aujourd’hui quelle liste de médicaments fait l’objet d’une telle surveillance ?

Il y a évidemment le profil très particulier des pharmaciens entrant dans la délivrance-facturation accrue de produits liés à la substitution aux opiacés et à tout ce qui va avec, comme les stupéfiants. Souvent, ceux qui ont ce profil ne commettent d’ailleurs pas d’autres fraudes, ils sont « spécialisés ». Nous avons une affaire en cours dont l’instruction est menée par le juge d’instruction Berthelat-Geoffroy.

Une alerte est-elle donnée à chaque boîte de Subutex vendue ?

Cela dépend. Sur ce produit, comme sur d’autres, il faudra que la façon de prescrire/délivrer ou le niveau de délivrance corresponde à l’un de nos profils générateurs d’alerte pour déclencher les choses. Nous ne pouvons pas tout vérifier : il y a un milliard de feuilles de soins qui sont émises chaque année !

En revanche, une fois un professionnel de santé repéré, il se peut que nous mettions en place un suivi systématique, un contrôle au quotidien du pharmacien où tout est passé au crible…

Quels sont les autres groupes de médicaments particulièrement suivis ?

Je ne vous donnerai pas non plus cette liste.

Les érythropoïétines ?…

Je ne veux pas vous donner ce genre d’information, vous allez casser ma mécanique !

Les médicaments chers, souvent soumis à des AMM très particulières. Sont-ils davantage surveillés ?

Ils le sont… comme d’autres.

Avez-vous les moyens de savoir si une vignette a été facturée deux fois ?

A ma connaissance, non.

Quelle est l’échelle des sanctions réellement appliquées ?

Nous avons deux possibilités. La première, aller directement au pénal, qui sera suivi par l’ordinal, le disciplinaire n’intervenant qu’avec l’accord du procureur (qui souhaite parfois enquêter sans mettre la puce à l’oreille du pharmacien, d’où la volonté de ne pas saisir l’Ordre immédiatement). Par exemple, le classique échange de parapharmacie contre des ordonnances de complaisance nécessite une enquête policière car il faut des témoignages. Nous ne pouvons apporter une preuve à nous seuls : le professionnel s’en sortirait trop facilement dans un recours uniquement disciplinaire. Autre option, nous ne saisissons que l’Ordre lorsque nous avons moins de difficultés à apporter la preuve que nous sommes sûrs qu’il n’y a pas de bande organisée. Un bon exemple : celui qui va récidiver dans la faute fera l’objet d’une action ordinale ou d’une saisine de la section des assurances sociales de l’Ordre, plutôt qu’au pénal. En revanche, pour celui qui apparaît coupable de fraude (fausses ordonnances, fausses facturations, faux et usage de faux, falsifications, usage détourné de cartes Vitale…), c’est directement une action du pénal (puis de l’ordinal). Au pénal, les sanctions peuvent aller jusqu’à 5 ans de prison et 375 000 euros d’amende. Exemple d’une des plus grosses condamnations de pharmacien que nous ayons obtenues jusqu’à maintenant : 18 mois de prison avec sursis et 3 ans d’interdiction d’exercer ; d’autres, en cours, devraient être du même ordre. Quant aux « simples » pénalités financières, elles concernent des fautes « d’importance minime ou moyenne » (mais au-delà des « indus par erreur »). Le pharmacien qui a « appuyé deux fois sur le bouton » se verra juste appliquer un indu. Si ces facturations erronées se reproduisent sans cesse et sans volonté démontrée d’amender, cela devient irritant… On basculera sur une faute qui entraîne donc des pénalités financières en sus des indus.

En sus du disciplinaire et du pénal, il est prévu des sanctions conventionnelles…

Nous n’en avons pas encore usé, c’est très compliqué.

Certains titulaires se sentent gênés vis-à-vis d’un associé dont ils ont découvert les pratiques douteuses...

La police et la justice pèseront le pour et le contre. Quant à nous, si nous détectons un problème sur une pharmacie, nous ne pouvons pas faire la part des choses entre l’un et l’autre des associés. Je précise simplement que tolérer les pratiques frauduleuses de son associé, cela relève déjà de la complicité passive dans le meilleur des cas. Et c’est d’autant plus dangereux que l’indélicat pourra avoir un comportement tout aussi malhonnête vis-à-vis de son associé en le « chargeant » sans vergogne lorsqu’ils seront tous les deux face à la justice ! De plus, si la justice fait la preuve que les associés avaient une masse financière commune, elle considérera que les deux en tiraient profit, même celui qui est présumé honnête. Or je vois mal comment on séparerait les comptes dans une pharmacie.

Pour le médicament, les pouvoirs publics semblent vouloir mettre davantage l’accent sur le respect de l’ordonnance bizone en 2010. C’est chez vous, ça ?

Oui. En 2006, on avait repéré 1 300 médecins hors des clous. En 2008, on en était à 326. On voit bien que le phénomène a décru. Les pharmaciens sont plus à la marge sur ces dérives mais ceux qui le font sont facilement repérés. Pour ces professionnels, il ne peut s’agir que d’un acte volontaire, et donc d’une faute. Le médecin a sur ce sujet beaucoup plus d’arguments que le pharmacien pour défendre sa position sur le protocole de soins, le traitement lié à la pathologie. Nous sommes ici dès le départ beaucoup plus stricts avec un pharmacien qui n’a pas exécuté les ordonnances correctement. Répété, le cas ira à l’Ordre.

Depuis quelque temps, on a le sentiment que le discours politique est un peu exagéré sur le rôle que peut jouer la lutte contre les fraudes concernant les comptes de la Sécurité sociale… Peut-on vraiment espérer en récupérer de très grosses sommes ?

Tout à fait… A la Caisse nationale de l’assurance maladie, nous n’avons jamais prétendu que la lutte contre les fraudes allait résoudre le déficit de l’assurance maladie ! En revanche, nous disons qu’il n’y a aucune raison que chaque euro n’aille pas là où il doit aller et que la fraude n’est pas tolérable au plan moral. Même si le montant des fraudes est bien en dessous de la différence entre les recettes et les dépenses, nous nous devons de continuer et cette lutte restera prioritaire. L’ensemble du champ des prestations aura été balayé d’ici la fin de l’année et nous recommencerons les années suivantes. Quant au discours politique, j’ai surtout entendu ces derniers temps, à propos des 10 milliards de déficit, qu’il y avait un problème de recettes.

Vous développez des formations pour vos équipes ?

Oui. Les pharmaciens-conseils seront par exemple formés aux techniques d’investigation et au droit afférent (débouchés, limites, droit du contradictoire, respect de la présomption d’innocence…). On ne peut pas non plus tout se permettre !

Un message pour les pharmaciens ?

Oui. Il serait dommage que les pratiques de quelques-uns ternissent le travail d’une profession par ailleurs si proche des patients. C’est pourquoi nous sommes à leurs côtés et aux côtés du Conseil de l’Ordre pour que les fraudeurs soient détectés. Nous ne mollirons pas en termes de contrôles et nous saisirons la justice dès que possible.

Ce qu’il peut en coûter de frauder l’assurance maladie

Voici, selon les dispositions du décret n° 2009-982 du 20 août 2009, publié au Journal officiel du 21 août, les pénalités financières maximales infligées, en sus des indus, en cas de fraude à l’assurance maladie.

En cas d’infraction au Code de la Sécurité sociale

– 50 % des sommes indûment présentées au remboursement en cas de prestations non réalisées ou de produits non délivrés ; de détournement de l’usage de cartes ; de délivrance répétée de produits sans que le nom du pharmacien figure sur la prescription (substitution aux opiacés) ; de délivrance répétée du conditionnement qui n’est pas le plus économique ; de délivrance répétée hors respect de l’établissement du protocole de soins ALD.

– 1 fois le plafond de la Sécurité sociale (soit une pénalité de 2 859 euros pour 2009) pour obstacle au contrôle de l’officine par un organisme d’assurance maladie (refus d’accès à une information, absence de réponse ou réponse fausse, incomplète ou abusivement tardive à une demande d’information ou une convocation…).

– 50 % du plafond de la Sécurité sociale pour non-respect de l’obligation d’apposer sur l’ordonnance les mentions relatives aux médicaments de listes I et II et aux stupéfiants.

A noter que l’assurance maladie ne peut pas parallèlement recourir à une sanction conventionnelle.

En cas de fraude

Selon le Code de la Sécurité sociale, « sont qualifiés de fraude […] les faits commis dans le but d’obtenir ou de faire obtenir un avantage ou le bénéfice d’une prestation injustifiée au préjudice d’un organisme d’assurance maladie […], d’un organisme mentionné à l’article L. 861-4 [mutuelle, institution de prévoyance ou assurance complémentaire !] ou de l’Etat… ». Le montant maximal de la pénalité en sus des indus est :

u le double des sommes indûment présentées au remboursement ou quatre fois le plafond de la Sécurité sociale si le comportement frauduleux n’a pas généré d’indu : en cas de faux et usage de faux ; falsification de documents réels ; avoir bénéficié en connaissance de cause d’activités d’une bande organisée ; facturation répétée de prestations non réalisées et de produits non délivrés.

En cas de fraude en bande organisée

« Dès lors que plusieurs acteurs s’entendent pour agir de façon organisée dans le but conscient et commun d’en retirer directement ou indirectement un profit, un avantage ou un bénéfice » au préjudice d’un organisme d’assurance maladie ou d’un organisme complémentaire, la pénalité maximale prévue pour chaque membre de la bande est de :

300 % des sommes en cause.

* A noter que ces pénalités s’ajoutent aux sanctions/amendes pouvant être infligées au pénal et au disciplinaire.

Les contrôles des arrêts de travail seront une priorité en 2010

« La lutte contre les fraudes n’apportera pas à elle seule une solution aux difficultés financières de la Sécurité sociale, même si les sommes en jeu sont loin d’être négligeables. Améliorer l’efficacité de la lutte contre les fraudes est avant tout une question de justice », peut-on lire dans la présentation du PLFSS 2010. Cette politique sera donc renforcée, annonce le gouvernement qui cite un montant de 365 millions d’euros de fraudes détectées en 2008, toutes branches confondues.

Côté assurance maladie, c’est sur les arrêts de travail que l’effort sera porté. L’exposé des motifs parle de fortes disparités géographiques en matière d’indemnités journalières « qui ne sont pas liées à l’état de santé ou aux caractéristiques de la population » : durées d’arrêt variant de 17 à 25 jours pour une appendicite selon le département, de 30 à 90 jours pour une lésion interne du genou. 13 % d’arrêts de moins de 45 jours sont trop longs ou injustifiés, selon une étude 2008 de la CNAMTS citée dans l’avant-projet de loi. Conséquence, le gouvernement entend généraliser en 2010 l’expérimentation qui permettait aux employeurs des contre-visites médicales, entraînant nécessairement une décision du service médical de la caisse (nouveau contrôle ou arrêt d’indemnisation). De même, la reprise du versement des indemnités journalières suspendu suite à un contrôle sera soumise à l’avis du contrôle médical de la CPAM. Le développement des contrôles d’arrêts maladie dans le public sera aussi effectif dans le public en 2010, affirme-t-on. Son efficacité sera également renforcée au sein du régime social des indépendants (RSI) : tout ou partie des indemnités journalières restant à courir pourra désormais être suspendue en cas de non-respect d’une de ses obligations par le travailleur indépendant (heures de sortie autorisées, acceptation des contrôles).

PLFSS 2010 : des professions contrôlées par échantillonnage !

La mesure a de quoi surprendre. L’avant-projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010 prévoit de pouvoir contrôler les professions de santé à forte activité (pharmaciens, transporteurs sanitaires, laboratoires d’analyses) sur la base d’un échantillon et d’en déduire une pénalité se rapportant à l’ensemble de leur activité. Argument : « les actes facturés par ces professionnels de santé portent sur des volumes tels qu’ils rendent impossible un contrôle exhaustif de leur activité ». La ville se verrait ainsi appliquer des modalités qui existent déjà pour le contrôle de la tarification à l’activité des hôpitaux, justifie le gouvernement.

Mais c’est la méthode qui fait grincer des dents. S’exprimant au Centre national des professions de santé le lendemain de la présentation du PLFSS, le président délégué de l’USPO, Patrice Devillers, indiquait que contrôler de la sorte constituerait un cas majeur de conflit : « L’arsenal répressif est suffisant. Si ce projet venait à être adopté, cela remettrait en cause les termes de la convention négociée en 2006 », prévient-il.

Concrètement, à partir du moment où plus de 10 % d’anomalies sont détectées sur l’échantillon d’activité étudié, le professionnel serait susceptible d’être redressé sur l’ensemble de son activité à partir d’une extrapolation statistique portant sur les deux dernières années ! En clair, la Sécurité sociale pourrait réclamer le recouvrement des indus ainsi calculés et infliger des pénalités fixées par des commissions, sans avoir à se justifier. Par contre, les pharmaciens qui estiment avoir été injustement sanctionnés devraient en faire la preuve. Le gouvernement précise que « cet outil sera utilisé de façon mesurée » : la pénalité infligée au professionnel « sera limitée à 5 % des dépenses annuelles prises en charge par l’assurance maladie ». Rassuré ?

Débanaliser la fraude

Depuis le 12 octobre, et durant trois semaines, une campagne grand public contre la fraude à l’assurance maladie sera diffusée sur les grandes radios. Dix spots rappelleront, par des cas concrets, que les fraudeurs « portent atteinte aux valeurs de solidarité de toute notre société et que les pouvoirs publics se mobilisent contre la fraude ». Une fraude vis-à-vis de laquelle les attitudes des Français sont jugées trop complaisantes.