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La pharmacie au cœur de l’affaire
L’arrivée des fonds d’investissement et d’outils financiers innovants a contribué à la profonde mutation du marché officinal. Ce phénomène de financiarisation déjà constaté depuis quelques années ira-t-il jusqu’à l’ouverture du capital à des non-pharmaciens ?
En 2016, le fonds Sagard a pris le contrôle, via une holding, de Paris Pharma (devenu aujourd’hui Aprium Pharmacie). Quelques mois plus tard, c’est au tour du fonds d’investissement Five Arrows Managers, filiale du groupe Rothschild, d’entrer au sein du capital du groupement Lafayette. Ces deux montages financiers et juridiques ont suffi à montrer l’appétit des fonds pour le marché de la pharmacie et l’ambition des groupements à vouloir vite grossir. Toute la profession s’interrogeait alors sur une éventuelle remise en cause de l’indépendance du pharmacien. L’histoire avait fait couler beaucoup d’encre. D’autant que les fonds d’investissement ne se sont pas arrêtés là. Ils ont également pris pied sur le marché des transactions, par le biais de projets pilotés par des pharmaciens installés, désireux de devenir eux-mêmes investisseurs avec l’aide d’un fonds. Ceux-là rachètent alors des officines au travers de sociétés par actions simplifiées (SAS) le plus souvent, en souscrivant et détenant des obligations convertibles en actions (OCA). Ce type de titres financiers a tout son intérêt lorsqu’il est utilisé dans le respect de son objet, de l’indépendance du pharmacien et de la réglementation pharmaceutique.
Vices et vertus…
« Il existe des montages viciés avec les OCA et d’autres qui sont vertueux », admet Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet LLA et président du groupement Conseil Gestion Pharmacie (CGP). Serge Gilodi, directeur associé et fondateur de Serendipity Conseil, invite, lui, les pharmaciens à sortir de cette vision manichéenne : « Fort heureusement, il existe aussi des projets sains avec un partage de la création de valeur entre un fonds d’investissement et un titulaire », affirme-t-il.
Un risque à (re) prendre au sérieux ?
« La financiarisation de la pharmacie a bel et bien commencé », poursuit Serge Gilodi. Elle est le fruit de la convergence de plusieurs phénomènes. La crainte de certains titulaires de ne pas trouver de repreneur pour leur pharmacie et les difficultés de recrutement les rendent plus sensibles aux offres proposées par les nouveaux acteurs financiers qui s’intéressent à la pharmacie. « Le discours anxiogène entretenu sur les petites officines qui n’ont plus d’avenir, qui ne se vendent plus et sont condamnées à fermer, risque à terme de mettre en péril le maillage territorial et d’entraîner une diminution des opportunités d’installation », estime Cyril Colombani, pharmacien titulaire à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes) et président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo) du département des Alpes-Maritimes. Il y a une dizaine d’années, il a été victime d’un montage d’acquisition par OCA et de l’échec du réseau Galien Développement qui avait parié sur l’ouverture à des capitaux extérieurs. « Quand les petites officines de proximité auront disparu, il ne restera plus que des grosses pharmacies à acquérir, ce qui fera le jeu des fonds d’investissement qui réclament l’ouverture du capital », redoute-t-il. « Il est évident que des pharmacies de 2 000 m2 et plus ne peuvent être financées que par des structures financières », met en garde à son tour Joël Lecoeur. De plus, les jeunes générations aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ce qui les rend moins enclines que les précédentes à s’engager dans le rachat d’un fonds ou de parts d’association. Une des solutions pour faciliter la transmission générationnelle et faire barrage au risque d’ouverture du capital est, selon Joël Lecoeur, « de faire évoluer le statut du pharmacien adjoint et de s’inspirer des solutions mises en place en ce domaine par d’autres professions libérales ». Bataillant contre les stratégies de certains fonds d’investissement émetteurs d’OCA devenus en sous-main propriétaires d’officines, dénonçant les dérives qu’elles entraînent dans l’exercice professionnel des jeunes recrues (salariat déguisé, spoliation du titulaire, etc.), David Alapini, président du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens des Hauts-de-France, s’interroge sur l’issue de cette financiarisation de la profession. En tolérant l’intrusion des investisseurs extérieurs, la profession pourra-t-elle continuer à faire valoir les règles du code de la santé publique face aux instances européennes, si elle les bafoue elle-même ? Les officines pourraient-elles connaître le même sort et suivre la même tendance que les vétérinaires (lire encadré ci-contre) ?
J’y crois pas !
Six ans après son acquisition par Five Arrows, le capital d’Hygie31, holding de Laf Santé qui détient le groupe Lafayette, passe dans les mains de deux nouveaux investisseurs français : Latour Capital et BPI France. « Ils n’ont pas vocation à investir dans le capital des pharmacies du réseau », assure Hervé Jouve, président d’Hygie31, qui ne croit pas du tout à l’ouverture du capital en France : « Il n’y a aucun signe avant-coureur pour que l’État décide d’ouvrir le capital à des non-pharmaciens et ce n’est pas quelque chose que nous revendiquons, les conventions passées avec les pharmacies affiliées à notre enseigne nous suffisent. » François Rochet, le président de Boticinal, un réseau associé à G Square Capital, définit, lui, les fonds d’investissement qui acquièrent des groupements comme un outil de développement exponentiel. « Les groupements-enseignes ont besoin de moyens afin de se structurer et d’être en capacité de développer les services attendus par leurs adhérents, explique-t-il. Nombre d’entre eux s’appuient logiquement sur un partenaire “industriel” du type grossiste répartiteur ou sur un partenaire financier, voire sont organisés en coopérative. Ces organisations particulières répondent aux spécificités et aux attentes de leurs adhérents. » Concernant les OCA ou les obligations à bons de souscription d’actions (OBSA), « ces outils financiers ont favorisé la transmission de grandes officines de destination, constate François Rochet. Faut-il s’en priver ? À chacun sa réponse. »
Partenaire particulier cherche…
À la question « Y a-t-il une raison objective de ne pas autoriser en pharmacie ce qui l’est dans le domaine des laboratoires de biologie médicale ou des cliniques vétérinaires ? », François Rochet pense que non. « Comme les pharmaciens, les professionnels de santé des laboratoires ou des cliniques vétérinaires continuent d’exercer leur profession avec éthique et indépendance », répond-il. « À chacun de décider de son mode d’exercice et d’apprécier à quel niveau il souhaite préserver son autonomie de décision et à quel niveau il a, au contraire, besoin d’assistance, de sous-traitance, de mutualisation, de services… », résume Serge Gilodi. Face à la multitude des solutions d’accompagnement qui sont proposées aux pharmaciens, chacun peut trouver le partenaire qui lui convient… ou rester isolé.
Sur la piste des vétos
La pharmacie n’est pas le seul secteur de la santé à susciter les convoitises des fonds d’investissement. Chez les vétérinaires, « les barrières réglementaires ont tendance à s’assouplir et à ouvrir le jeu pour de nouvelles opportunités d’acquisition de cliniques », constate Marc Sabaté, directeur général d’In Extenso Finance. En effet, ces fonds peuvent entrer au capital de sociétés commerciales ou de sociétés d’exercice libéral (SEL) de vétérinaires (jusqu’à 49,99 % pour les premières et 25 % pour les secondes).
« Le secteur vétérinaire connaît un fort mouvement de consolidation, comme d’autres activités de santé réglementées avant lui telles que les laboratoires de biologie, de radiologie… », analyse Olivier Renault, avocat associé au cabinet Lamartine Conseil. Malgré les restrictions d’ordre légal et réglementaire, une douzaine de groupes français et européens (IVC Evidencia, Anicura, Mon Véto, etc.) restructurent la profession jusqu’à un point d’équilibre qui, selon les prévisions, se stabilisera autour de 50 % du marché*. Ces groupes adossés à des fonds financiers apportent des fonctions support, répondant aux principales attentes des vétérinaires : développement des performances, aide au recrutement, gestion des tâches administratives, meilleures conditions de travail, formation, transmission de l’entreprise, etc. C’est un confort énorme pour les vétérinaires, mais continuent-ils à être décisionnaires dans la structure ?
* Source : Cabinet Phylum.
La concentration s’accélère chez les vétérinaires canins
En 2022, 19 % des vétérinaires canins en France travaillaient pour l’un des 12 consolidateurs du marché. Ce pourcentage était de 7 % en 2020. Et à l’horizon 2025, le cabinet de conseil Phylum prévoit que 50 % des vétérinaires canins et 40 % des cliniques canines appartiendront à un groupe.
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