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LA NOUVELLE-CALÉDONIE PAIE CASH LA BAISSE DES PRIX
La crise de l’officine n’épargne pas les îles de la Nouvelle-Calédonie. A la baisse de prix des médicaments qui s’est accélérée en métropole en 2010 s’en est ajoutée une seconde, de près de 10 %, décidée par les autorités locales fin 2011. Depuis, les pharmaciens mais aussi les grossistes-répartiteurs se demandent s’il ne serait pas préférable pour eux de s’approvisionner chez leurs voisins australiens ou néo-zélandais.
S’approvisionner en France ou pas. La question restera vraisemblablement à l’état d’hypothèse pour des raisons légales et pratiques. « Etre territoire français nous oblige à vendre des médicaments ayant reçus des autorisations de mise sur le marché, indique Clément Leroux, docteur en pharmacie et directeur général d’Unipharma, l’un des deux grossistes répartiteurs calédoniens. Par ailleurs, si l’on s’approvisionnait par exemple en Australie, il faudrait refaire le boîtage en français. Enfin, notre système douanier protégeant les produits européens, je ne suis pas sûr que nous vendrions les médicaments moins cher. » Rien n’empêcherait toutefois les services du gouvernement calédonien de présenter un texte en ce sens au Congrès du territoire. Mais le système actuel, qui convient à tous les acteurs du secteur, a également pour gros avantage de constituer un bouclier face à la contrefaçon.
Trois mois en moyenne entre une commande et sa réception
Réglementation et éloignement conditionnent la gestion des stocks. Si, en métropole, un grossiste-répartiteur a généralement deux semaines d’avance, ici on raisonne en mois. « Nous avons en moyenne 6,5 mois de stock. 80 % des produits arrivent par bateau alors qu’il y a quinze ans nous utilisions l’avion, explique Clément Leroux. Mais, à cette époque, pour financer la compagnie aérienne locale, Aircalin, une taxe a été instituée. Elle est de 8 % de la valeur coût/assurances/fret [1 franc Pacifique français vaut 0,008 euro et 1 euro, 119,33 francs Pacifique, NdlR]. Par bateau, elle n’est que de 6 %. »
Le trajet Le Havre-Nouméa est de quarante jours. Délai entre une commande et sa réception : trois mois. Les suppositoires, les produits à température dirigée, ceux coûteux, et ceux issus de la réserve hospitalière continuent, eux d’arriver, par fret aérien. Le prix public étant fixé par la loi, pour soutenir leur marge, les professionnels n’ont eu d’autres solutions que baisser leur coût de revient. « Ainsi, avant la baisse de 2011, nous livrions nos clients pharmaciens du Grand Nouméa jusqu’à quatre fois par jour. Aujourd’hui, nous sommes à deux », ajoute Clément Leroux.
Les pharmaciens doivent « participer à l’effort de guerre »
En réponse aux « événements » et à l’embrasement du territoire durant la décennie 80, les accords de Matignon-Oudinot (1988) puis, dix ans plus tard, ceux de Nouméa ont sculpté un statut particulier à la Nouvelle-Calédonie. Ainsi, les trois assemblées de provinces (Sud, Nord, Iles) forment le Congrès qui est compétent pour régler les affaires communes de l’archipel. Celui-ci définit les réglementations locales et les lois de pays. En effet, selon les accords de Nouméa, « certaines des délibérations du Congrès du territoire auront valeur législative ». Le Congrès a ainsi compétence sur la réglementation des prix. Et les professionnels y voient une « double peine » : baisses locales et baisses nationales « En effet, les baisses de prix des médicaments en métropole s’appliquent automatiquement chez nous », commente Geneviève Carnier-Banny, président du syndicat des pharmaciens, titulaire au Mont-Dore, qui déplore en outre que les compensations prévues par la convention signée à Paris en mai 2012, entre pouvoirs publics et syndicats de pharmaciens, ne s’appliquent pas ici. Si le prix du médicament est aujourd’hui 22,3 % plus cher qu’en métropole, il a également perdu 10 % ces deux dernières années, sur décision locale. « Nous sommes le territoire le plus éloigné de la métropole, fait remarquer Clément Leroux, où la majoration de vie chère pour un fonctionnaire de l’Etat est de 70 %, où les yaourts importés coûtent 200 % de plus qu’à Paris. Mais, aujourd’hui, le médicament est ici le moins cher de l’outre-mer. »
Pour redresser le Régime unifié de l’assurance maladie-maternité (RUAMM) en déficit de trois milliards de francs Pacifique (XPF), soit 8,38 millions d’euros, les autorités ont en effet décidé, en 2011, de baisser le prix du médicament. Economie escomptée, 700 millions de francs Pacifique (586 608 €). La responsable de la santé et de la solidarité de l’exécutif local de l’époque (la santé est du ressort du gouvernement calédonien) a ainsi demandé aux pharmaciens de « participer à l’effort de guerre faute de voir notre régime couler ». Ceux-ci ont été les premiers amenés à réduire leurs marges. « En métropole, la convention nationale a été négociée durant deux ans ; chez nous, cela s’est fait sans concertation ! », regrette Geneviève Carnier-Banny. « Le vendredi 25 novembre 2011 au matin, raconte Thierry Van Waerebeke, récemment élu à la tête de l’Ordre, le syndicat des pharmaciens est reçu par un membre du gouvernement et se voit annoncer une baisse unilatérale de 20 % du prix du médicament. Le mardi suivant, un arrêté fixait à 9,15 % la baisse. » A la suite d’un intense lobbying mené durant le week-end auprès des élus, la barre a été ramenée à moins de 10 %, les pharmaciens mettant en avant les conséquences d’une baisse à deux chiffres sur l’emploi (immédiatement touché) et sur la santé financière des officines.
Dissocier le calcul du prix calédonien du médicament du prix métropolitain
Lorsque l’arrêté a été publié, les pharmaciens ont observé un mouvement de grève perlée pendant une semaine. Mouvement qui a été accompagné solidairement par les salariés des grossistes. « J’ai toujours sur mon bureau unefeuille de réquisition du haut-commissaire… », rappelle Clément Leroux. Quelques semaines plus tard, l’ensemble des élus et leurs suppléants au conseil de l’Ordre ont donné leur démission, se sentant trahis par le pharmacien-inspecteur de la DASS. « Il assistait à toutes nos réunions, c’est une obligation légale. A aucun moment il ne nous a parlé de cette réforme… », déclarait alors Laurent Renaud, président de l’Ordre à l’époque. « Résultat, il n’y a plus eu d’Ordre pendant dix-sept mois. Il a fallu attendre l’arrivée d’un nouveau pharmacien-inspecteur pour que le gouvernement calédonien appelle à une nouvelle élection, le 21 juin 2013 », explique aujourd’hui Thierry Van Waerebeke.
Ne pas être asphyxié ! Voilà ce que veut éviter Geneviève Carnier-Banny. Alors que se poursuit la négociation nationale sur une rémunération à l’acte, le syndicat des pharmaciens souhaite, afin d’obtenir un coefficient calculé sur le prix hors taxes du grossiste-répartiteur, que le calcul du prix calédonien du médicament soit désolidarisé du prix métropolitain.
« Le métier de pharmacien évolue et nous souhaitons que celui-ci puisse aussi être rémunéré sur la dispensation et le suivi des patients comme en métropole. Mais nous sommes d’ores et déjà touchés par les premières baisses subies par la métropole, précise Geneviève Carnier-Banny. Si dans deux ans nos discussions n’aboutissent pas, une dizaine de pharmacies pourraient disparaître en Nouvelle-Calédonie. Ce qui signifierait une mort lente de notre secteur ! »
Quelques données de santé
• Deux centres hospitaliers : le centre hospitalier du Nord, constitué de deux établissements à Koumac et Poindimié, et le centre hospitalier territorial, composé de 4 établissements dont le centre Raoul-Follereau sur la presqu’île de Ducos près de Nouméa. La léproserie héberge les malades les plus durement touchés. Une dizaine de cas de lèpres sont détectés chaque année en Nouvelle-Calédonie.
• 245 580 habitants, dont 97 579 habitants à Nouméa (recensement de 2009).
• Espérance de vie : 77, 4 ans.
• Taux de natalité : 16,7 naissances vivantes pour 1 000 habitants. Taux de mortalité de 4,8 pour 1 000 (contre 8,5 en métropole).
• Densité de population : 13,4 habitants au kilomètre carré.
• 223,4 médecins pour 100 000 habitants (contre 339 en métropole).
• 79,4 pharmaciens pour 100 000 habitants. 200 pharmaciens étaient en activité régulière en 2011 dont 62 titulaires et 121 adjoints.
(Source : Direction des affaires sanitaires et sociales-DASS 2011)
Repères
61 pharmacies en Nouvelle-Calédonie dont 39 dans le Grand Nouméa, 18 en « brousse » et 4 dans les îles Loyauté (1 à Ouvéa, 1 à Maré et 2 à Lifou). La Nouvelle-Calédonie compte 3 pharmacies mutualistes.
Un « Caillou » dans le marché océanien
Depuis 2010, deux drapeaux peuvent flotter sur les édifices publics néocalédoniens : le français et le kanak. Geste symbolique s’il en est. Le territoire travaille à construire son destin politique. Pour quel avenir ? Indépendance, maintien dans l’ensemble français, autonomie accentuée ? La période 2014-2018 devrait permettre aux électeurs de se prononcer. On ne peut comprendre la Nouvelle-Calédonie, située à 22 000 kilomètres de la métropole, si on ne l’intègre pas dans l’ensemble océanien, comme nous, européens, parlons d’Europe en tant que référence géographique. Un continent océanien dont les deux vigies, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, exportent de plus en plus leurs produits de grande consommation.
![DRAME EN TROIS ACTES](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/07/article-defaults-visuel-680x320.jpg)