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LA COURSE AUX TUBES
Financiarisation par les chaînes de SEL, explosion des prix des laboratoires. La réforme de la biologie médicale a ouvert la boîte de Pandore, précipitant un peu plus la fin de la biologie libérale. Et la question des holdings ne se posera bientôt plus…
Très tôt, les biologistes ont été confrontés à l’émergence de réseaux de compétences et de plateaux techniques de haut niveau, dont la capacité de traitement n’a plus rien de commun avec le caractère artisanal du laboratoire d’antan. Dès le coup d’envoi des SEL en 1990, la biologie s’est lancée dans une consolidation de ses structures et dans une concentration financière via les regroupements et les SEL. Mais, aujourd’hui, la course à la concentration et aux économies d’échelle s’emballe. La réforme de la biologie conduit à la fois à un regroupement des laboratoires et au maintien d’une limite territoriale de leurs activités, tandis que les laboratoires dirigés par un biologiste responsable deviennent multisites.
« Une ordonnance du 13 janvier 2010 a fait exploser la biologie médicale traditionnelle », rappelle Philippe Taboulet, du cabinet d’expertise-comptable Audit Révision Conseil. Cette ordonnance autorise un même laboratoire à disposer de un ou plusieurs sites, sans autre restriction que la localisation de ces sites sur un, deux ou au maximum trois territoires de santé infrarégionaux limitrophes. Certaines limites ont été posées pour éviter le développement géographique d’une cascade de SEL ou la création de situations hégémoniques au niveau de l’offre de biologie dans un territoire de santé. Ainsi, la part de marché d’un laboratoire ne peut dépasser 25 % ou 33 % du total des examens de biologie médicale réalisés sur un territoire de santé, l’ouverture d’un nouveau site n’étant possible que s’il y a la fermeture concomitante d’un autre site. En assouplissant la réglementation antérieure, l’ordonnance défend ouvertement une biologie purement industrielle et déshumanisée au détriment d’une biologie praticienne.
La construction d’empires régionaux est en marche
S’il reconnaît que la médicalisation de l’exercice est un point positif de l’ordonnance, Robert Desmoulins, président du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens, n’en pointe pas moins des aspects négatifs : « le regroupement des laboratoires sur des très grandes zones géographiques et l’industrialisation de la phase analytique ». L’ordonnance du 13 janvier 2010 n’est toutefois toujours pas ratifiée par une loi et pourrait même être abrogée.
En ouvrant ainsi le champ d’action, la construction au niveau national d’empires régionaux prenant le contrôle des territoires de santé est en marche. En région parisienne, par exemple, les territoires de santé définis par l’agence régionale de santé correspondent peu ou prou aux départements. Ainsi, une organisation peut tisser sa toile sur trois territoires de santé contigus, sauter un territoire mitoyen pour pouvoir aller coloniser une autre métropole régionale et recréer localement, sur trois départements, une nouvelle organisation consolidée et un nouveau modèle de participations dans des SEL.
« Le découpage territorial de l’offre de soins correspond à la taille d’un département !, s’insurge Robert Desmoulins, qui s’interroge : Comment voulez-vous prétendre conserver un exercice médical indépendant et responsable dans des structures où cet exercice sera de plus en plus dilué ? Comment assurer les examens d’urgences si le site analytique est distant de 100 kilomètres du site de prélèvement ou si ce dernier est fermé l’après-midi ? Les valeurs individuelles vont être sacrifiées au profit des valeurs de la finance. »
La course aux tubes pour asseoir les volumes d’activité, les concentrations, les prix stratosphériques des laboratoires (150 % du chiffre d’affaires en région parisienne), la concurrence, la voracité des acteurs pour maîtriser leur zone géographique et rationaliser leur territoire médical sont autant de facteurs qui ouvrent la voie à de grands acteurs tels que Labco, Unilabs ou Novescia. La recherche de nouveaux fonds propres est nécessaire car les opérations de rapprochement ne se résument pas à de simples fusions ou acquisitions financées par endettement. C’est là qu’entrent en jeu les partenaires financiers qui offrent leurs services sous des formes multiples. Philippe Taboulet décrit les montages du « grand capital » : « A partir d’une base logistique de production dans un lieu central de communication, on trace un cercle dans la limite d’une heure de transport. On crée une tête de pont à l’étranger, là ou le capital des laboratoires est ouvert à tous les investisseurs (les principales fortunes du CAC 40). Une plate-forme d’analyses concentre la production locale dans un rayon compatible avec les zones et lieux de prélèvements (2 à 3 000 dossiers par jour). »
Des labos transformés en entités juridiques
Un monde sépare ces structures quasi industrielles dont l’activité est supérieure à 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et un laboratoire isolé qui réalise 400 000 euros, condamné à la fermeture lorsque son directeur partira à la retraite. Quant aux unités de taille intermédiaire, elles sont appelées tôt ou tard à évoluer vers des structures plus importantes. « 70 % des 4 500 laboratoires privés réalisent moins de 1 million d’euros par an, et les biologistes qui les exploitent n’ont qu’un désir, se concentrer rapidement sous forme de chaînes pour atteindre 10 à 30 millions d’euros de CA et créer leur plateau technique », indique Philippe Taboulet. Résultat : les laboratoires de proximité se transformeront en centres de prélèvements avec à la clé, des fermetures de sites non rentables. De là la douloureuse émergence d’une nouvelle définition : le laboratoire n’est plus l’unité qui produit et restitue les résultats des examens biologiques, mais l’entité juridique qui regroupe les centres de prélèvement et le plateau technique.
CHIFFRES CLÉS
Les chiffres clés de la biologie médicale en France au 1er janvier 2010 :
• 5 155 pharmaciens biologistes et 1 008 médecins biologistes exerçant dans des laboratoires de biologie médicale (LBM) du secteur privé.
• 4 259 laboratoires dont :
– 814 en exploitation en nom propre (– 11,4 % par rapport à 2009) ;
– 2 803 en SEL (+ 7 %) ;
– 332 en SCP (– 14,4 %) ;
– 103 en SARL (– 10,4 %) ;
– 86 en EURL (– 10,4 %) ;
– 17 en SA (– 22,7 %) ;
– 104 autres.
• 1 231 SEL qui exploitent 2 803 LBM dont :
– 463 SEL à actions simplifiées (+ 67,75 % par rapport à 2009) ;
– 89 SEL à forme anonyme (– 1,11 %) ;
– 2 141 SEL à responsabilité limitée ;
– 110 SEL en commandite par actions (– 1,79 %).
Sources : Conseil national de l’ordre des pharmaciens et Conseil national de l’ordre des médecins (chiffres des médecins biologistes libéraux).
Le couperet de l’accréditation
La consolidation géographique des laboratoires de biologie est également cadencée par la qualité, en application de l’ordonnance du 13/01/2010 et de l’article L6221-1 du code de la Santé publique. A l’échéance du 1er novembre 2013, ils devront avoir justifié de leur entrée dans une démarche d’accréditation* – pour un coût de 2 à 4 % du CA –, sachant qu’à compter du 1er novembre 2016 tout laboratoire non accrédité par le Comité français d’accréditation (Cofrac) devra fermer. « Avec cette perspective, les SEL multisites et les chaînes prennent le pas sur les autres formes d’exploitation à une vitesse extraordinaire », précise Philippe Taboulet (Audit Révision Conseil).
Organisme unique chargé de l’accréditation, en coordination avec la Haute Autorité de santé, le Cofrac a dû commencer lui-même par s’adapter pour cette mission de service public. Malgré la création en son sein d’une section « santé humaine » entièrement dévolue aux problématiques des LBM, « les exigences et les normes de cet organisme à culture industrielle sont totalement inadaptées à la biologie », juge Bertrand de Larrard, vice-président du Syndicat national des médecins biologistes. « La procédure d’accréditation du Cofrac est formatée pour l’industrie, pas pour répondre à des exigences en termes de santé publique », reproche également Robert Desmoulins. « On est en train de construire un système soviétique autour des laboratoires. Cet organisme certificateur aura droit de vie ou de mort sur eux », renchérit Bertrand de Larrard.
* Arrêté du 14/12/2010 publié au JO du 21/01/2011.
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